Prédication du 9 novembre, "Être le prochain d'un autre"

« Être le prochain d’un autre », par Line Dépraz, pasteure

 

« Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, il tomba sur des bandits qui, l'ayant dépouillé et roué de coups, s'en allèrent, le laissant à moitié mort… »

 

Ainsi commence l’histoire bien connue du bon Samaritain.

 

Une histoire tellement connue, que l’expression « être un bon Samaritain » a passé les murs des églises pour trouver sa place dans le langage courant et profane. Désignant une personne bienveillante et compatissante au-delà de ce que l’on pourrait, légitimement, attendre d’elle.

 

Être un bon Samaritain, c’est faire preuve d’une grande compassion, d’une charité désintéressée. C’est faire le bien, pour la beauté du geste.

 

Dans le récit que raconte Luc, on est en droit d’attendre que, de par leurs fonctions, le prêtre et le lévite s’arrêtent auprès de l’homme agressé pour le secourir.

 

Et on pourrait comprendre que le Samaritain, lui, passe son chemin. Pourquoi ?

Parce que, vous vous en souvenez, il y a des querelles récurrentes entre Juifs et Samaritains. Ils se regardent en chiens de faïence.

 

Pensez, dans l’évangile de Jean, à la rencontre entre Jésus et la Samaritaine, au bord du puits de Jacob qui pose la délicate question des lieux sacrés, des lieux de culte : où est-il juste de prier Dieu ? Sur le Mont Garizim ou à Jérusalem ? Sous-entendu, qui a la bonne pratique : qui fait juste ? Qui fit faux ?

 

Si les dissensions se sont, ce jour-là, cristallisées, autour de cette question précise du lieu de culte, il y avait depuis longtemps déjà une forte rivalité en Israël entre le Royaume du Nord et le Royaume du Sud.

 

Le Royaume du Nord était appelé Israël et avait pour capitale Samarie.

Le Royaume du Sud était appelé Juda et avait pour capitale Jérusalem.

 

Bien avant l’époque de Jésus, Saül régnait sur Israël, David sur Juda.

Et sur ce même chemin qui va de Jérusalem à Jéricho, David s’était fait agresser par Shiméï, un homme du clan de Saül, qui l’avait maudit, et attaqué à coup de pierres.

 

Dans le récit de Luc, sur ce chemin-là (toujours aussi peu sûr), 3 hommes auraient pu s’arrêter pour en secourir un quatrième.

 

Au final, seul le Samaritain, paradoxalement le plus anti-judéen de tous ces hommes, s’arrête et porte secours.

 

C’est le monde à l’envers…

 

Cela dit, il y a un indice, au début du récit, qui nous permet, si ce n’est d’excuser, peut-être de comprendre pourquoi le prêtre et le lévite ne s’arrêtent pas.

 

On dit de l’homme ayant été attaqué par les bandits, qu’il est à moitié mort. En grec : Ήμιθανή(hémithané). Ήμιθανή comme hémicycle ou hémiplégie.

 

Toucher un mort, ou un homme à moitié mort, ça revient au même dans ce cas, c’est se rendre impur. Le prêtre et le lévite le savent. Et pour eux, cette menace d’impureté est un motif suffisant pour “passer à bonne distance“. Faire un grand pas de côté, détourner la tête et poursuivre leur route comme si de rien n’était. 

 

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils portent une attention très scrupuleuse à ce que la loi dit sur la pureté et l’impureté. Et pour eux, ça ne se discute pas : c’est la pureté avant tout !

 

Le problème, c’est que leur inclination à respecter la loi et les rites de façon absolue, leur enlève toute humanité et même toute éthique. Puisqu’ils ne s’embarrassent pas de laisser un homme crever seul sur le bord du chemin.

 

À cette approche doctrinale, rituelle, codifiée de la relation à autrui, répond l’approche humaine du Samaritain.

 

Il ne voit pas un demi-mort, lui, mais un demi-vivant. Et c’est ce qui l’attire, ce qui motive sa conduite.

Il s’attache à la moitié vivante de cet homme et décide de tout mettre en œuvre pour lui donner une chance d’être à nouveau pleinement vivant.

 

Et je crois que c’est pour cela, c’est parce qu’il voit un demi-vivant et non un demi-mort, que le Samaritain est ému aux entrailles. Qu’il est saisi de compassion. Qu’il a pitié.

 

N’ayant pas peur de se salir les mains, il prend l’homme à bras le corps pour l’emmener là où un autre que lui pourra s’en occuper le temps nécessaire.

 

En agissant ainsi vis-à-vis du blessé, en le regardant, en le relevant, c’est un véritable geste de résurrection qu’accomplit le Samaritain.

 

Et si un jour, pour quelque raison que ce soit, vous vous êtes retrouvé à terre, dans la rue, en montagne, n’importe où, vous savez qu’il n’y a rien de plus important à ce moment-là qu’un visage qui se tourne vers le vôtre, qu’une main qui se tend vers la vôtre pour vous aider à vous relever…

 

… Pour aller encore plus loin dans cette différence d’attitude entre les deux premiers passants et le troisième, je reviens sur le grec biblique qui nous livre une perle.

 

Dans la traduction française de la TOB, les deux premiers « passent à bonne distance » et le troisième « s’approche ».

 

En grec il s’agit d’un même verbe qui veut dire « passer, aller » : παρερχομαι

Mais le préfixe change.

 

Quand on détourne la tête pour ne rien voir et ne rien faire, le verbe devient αντι-παρερχομαι.

Quand on s’approche du blessé, il devient προσ -παρερχομαι.

 

Il y a donc, dans ce récit, deux « anti » et un « pro » qui se fait le « prochain » du blessé.

 

Partant de là, la question qui passe les siècles et nous rejoint aujourd’hui dans notre vie personnelle, comme dans la construction de notre communauté : à qui voulons-nous ressembler ?

 

Aux « anti » ou au « pro » ?

 

Sommes-nous de celles et ceux qui privilégient le dogme à la réalité ou l’inverse ? Peut-être tantôt l’un, tantôt l’autre.

 

Osons-nous agir, quitte à nous tromper ? Ou avons-nous besoin de toutes les certitudes possibles avant une action ?

 

Voulons-nous être de celles et ceux qui voient la part mortelle et impure de l’existence et des êtres humains et qui ont peur de se salir les mains ?

 

Ou voulons-nous être de celles et ceux qui qui sont sensibles au plus petit souffle de vie au point de prendre à bras le corps un homme voué à mourir si rien n’est fait ?

 

Question subsidiaire : Si nous détournons le regard de notre prochain, arriverons-nous nous regarder, en face, dans le miroir ?

 

Nous avons toujours plus de choix à faire dans des situations qui semblent toujours plus complexes.

 

Je n’ai de conseils à donner à personne.

 

Mais, pour moi, le recours à l’interprétation des récits bibliques m’offre régulièrement des clés pour comprendre les enjeux de mon quotidien, de mon présent.

 

Aujourd’hui, je retiens de cette parabole que l’important n’est pas de savoir qui est mon prochain a priori, mais qu’il me revient de décider de qui je veux être le prochain.

 

 

 

lecture de Luc 10 : 25 à 37

Et voici qu'un légiste se leva et lui dit, pour le mettre à l'épreuve : « Maître, que dois-je faire pour recevoir en partage la vie éternelle ? » Jésus lui dit : « Dans la Loi qu'est-il écrit ? Comment lis-tu ? » Il lui répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même. » Jésus lui dit : « Tu as bien répondu. Fais cela et tu auras la vie. »

Mais lui, voulant montrer sa justice, dit à Jésus : « Et qui est mon prochain ? » Jésus reprit : « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, il tomba sur des bandits qui, l'ayant dépouillé et roué de coups, s'en allèrent, le laissant à moitié mort. Il se trouva qu'un prêtre descendait par ce chemin ; il vit l'homme et passa à bonne distance. Un lévite de même arriva en ce lieu ; il vit l'homme et passa à bonne distance. Mais un Samaritain qui était en voyage arriva près de l'homme : il le vit et fut pris de pitié. Il s'approcha, banda ses plaies en y versant de l'huile et du vin, le chargea sur sa propre monture, le conduisit à une auberge et prit soin de lui. Le lendemain, tirant deux pièces d'argent, il les donna à l'aubergiste et lui dit : “Prends soin de lui, et si tu dépenses quelque chose de plus, c'est moi qui te le rembourserai quand je repasserai.” Lequel des trois, à ton avis, s'est montré le prochain de l'homme qui était tombé sur les bandits ? » Le légiste répondit : « C'est celui qui a fait preuve de bonté envers lui. » Jésus lui dit : « Va et, toi aussi, fais de même. »

 

lecture de Galates 5 : 13 à 14

Vous, frères, c'est à la liberté que vous avez été appelés. Seulement, que cette liberté ne donne aucune prise à la chair ! Mais, par l'amour, mettez-vous au service les uns des autres. Car la loi tout entière trouve son accomplissement en cette unique parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même.