Prédication du 8 juin, "Heureux les dégonflé.e.s"

 

Heureux les dégonflé.e.s, par Line Dépraz, pasteure

 

J’adore ce récit de la fête de Pentecôte.

 

Il y a dans ces quelques lignes un tel foisonnement, une telle vitalité qu’à chaque fois que je l’entends, il m’emmène, loin de là où je suis.

 

Je vois des images.

J’entends des sons.

Je respire les odeurs des marchés orientaux où les effluves des épices se mêlent à ceux de la sueur humaine.

 

Pour un peu, j’aurais l’impression de faire partie de la foule bigarrée réunie ce jour-là à Jérusalem.

 

Ce jour-là, évidemment, je n’y étais pas.

 

Mais, vous le savez, comme moi : le propre d’un texte sacré, c’est d’être parole vivante et non lettre morte.

 

En ce sens, un texte sacré n’a jamais fini de livrer sa signification. Il est impossible d’en tourner une page et de penser que son contenu est révolu.

 

Tout texte sacré demande à être interprété, encore et encore. Jour après jour. Génération après génération. Pour révéler sa résonance et son sens dans le présent.

 

Ce qui m’autorise à penser, ce matin, que d’une certaine manière, vous et moi formons bel et bien une part de cette foule bigarrée.

 

Contrairement à dimanche dernier où nous avons rejoint Élie sur le Mont Horeb, ce récit de Pentecôte coche toutes les cases de ce qu’on appelle une théophanie traditionnelle. C’est-à-dire la manière dont Dieu vient rencontrer les humains.

 

Ici, Dieu se donne à rencontrer dans le vent, le feu, le bruit, l’agitation.

Il assume.

Ça en jette.

Et c’est efficace, parce que le récit nous précise que ça ne laisse personne indifférent.

Peu d’Églises peuvent se targuer d’un tel impact aujourd’hui.

 

Mais cela montre aussi que Dieu s’adapte en fait assez bien à son auditoire.

Élie avait besoin d’une voix de fin silence.

Les apôtres avaient besoin d’être regonflés, à bloc.

Dieu agit en conséquence.

 

Jean-Sébastien Bach a bien perçu cette dynamique et Jean-Christophe Geiser s’en fera l’interprète dans l’interlude après la prédication.

Il nous jouera l’œuvre emblématique de Bach, la fameuse toccata en ré mineur. 

 

Or, cette œuvre, elle est à rapporter à Pentecôte.

Elle commence par le vent de l’Esprit ; on entend ensuite les langues de feu. Vous les reconnaîtrez, j’en suis sûre.

 

Cela dit, je disais que Dieu s’adapte plutôt bien à son auditoire.

Ce qu’il suscite est tout aussi impressionnant.

 

Les langues de feu qui descendent rendent les disciples soudainement capables de parler d’autres langues que la leur.

À cette capacité de parler autrement, répond le miracle de l’écoute. Chaque personne de la foule entendant ce qui est dit dans sa langue maternelle.

 

Je reviens sur la capacité de parler, puis celle d’écouter.

 

Face au nombre et à la diversité des personnes qui constituaient la foule ce jour-là à Jérusalem, les disciples ont sans doute eu un peu peur de sortir de la maison où ils étaient réunis et de s’exprimer.

 

Ils ont néanmoins consenti à ce mouvement. Ils sont sortis au-devant de la foule. Ils se sont exprimés. Ils ont été entendus.

 

Qu’est-ce que cela dit de l’Église naissante ? Qu’est-ce que cela implique pour nous ? 

 

Dans le fond, c’est assez clair.

Si la langue de feu qui s’est emparée des disciples avait pour but, ce jour-là, de leur permettre de communiquer avec des personnes étrangères. Qui ne faisaient pas partie de leur groupe constitué. Qui n’avaient ni la même langue, ni les mêmes codes qu’eux.

 

Alors aujourd’hui, en ce jour de Pentecôte, nous sommes pareillement appelés à sortir de nos murs et de l’entre-soi qui nous guette.

À nous défaire de notre patois de Canaan pour communiquer avec celles et ceux qui ne sont pas de notre groupe, qui n’ont ni le même langage ni les mêmes codes que nous.

 

C’est ce à quoi l’Esprit nous pousse.

C’est ce dont il nous rend capables.

 

Quant à ceux qui ont écouté, ils ont entendu les apôtres, chacun dans sa langue maternelle…

 

… Cette première langue que nous avons entendue. Qui, dans le ventre de notre mère déjà nous berçait. Langue des premières émotions, des premiers balbutiements.

 

Cette langue qui nous revient aussi dans les moments douloureux de l’existence. C’est bien connu, quand on a mal, à moins d’être un super espion, on dit “aïe“ dans sa langue maternelle.

 

Cette langue enfin qui reste nôtre jusqu’à la toute fin. Celle avec laquelle tant d’êtres humains appellent leur maman avant de rendre leur dernier souffle.

 

Que par son Esprit, Dieu veuille, Dieu puisse, être entendu par chacun dans sa langue maternelle, en dit long sur la relation qu’il souhaite construire avec nous.

 

Prenons-en la mesure.

 

Et, en termes de mesure, j’aimerais terminer, en revenant sur cette expression : « Ils furent tous remplis d’Esprit Saint. »

 

On a longtemps enseigné qu’avoir la foi, c’était avoir la réponse à toutes les questions. 

 

Les grands catéchismes traditionnels en témoignent, eux qui sont constitués d’une succession de questions auxquelles des réponses, souvent doctrinales, sont apportées.

 

Les formes ont certes évolué, mais ce schéma existe encore qui défend le fait que le catéchisme, c’est apprendre des choses sur Dieu. C’est emmagasiner du savoir.

 

Alors, oui, pour une part, bien sûr. Mais notre relation à Dieu ne se satisfait pas de cela. Elle ne se réduit pas à du catéchisme, à du savoir.

 

Que les réponses aux questions ne viennent plus ou ne nous convainquent plus tout à fait. Que les certitudes se lézardent. Et voilà qu’on entend dire « j’ai perdu la foi ». Malheureuse expression qui révèle un cruel malentendu.

 

La foi ne se perd pas comme on perd ses clés ou son manteau.

 

La foi se cultive, comme une relation.

 

Et Pentecôte nous rappelle à juste titre que la foi, comme toute relation, est aussi faite d’aspiration. Et qu’il faut être tendu par le désir pour recevoir le souffle. 

 

Parce qu’il y a du vide en nous, du désir, des aspirations non encore assouvies, Dieu peut nous gonfler. Agrandissant ainsi notre intériorité. Donnant ainsi de l’envergure à nos vies. 

 

Pentecôte nous rappelle cette évidence : l’Esprit Saint ne peut remplir que celles et ceux qui ne sont pas déjà pleins. Que celles et ceux qui ne sont pas gavés de leurs propres certitudes et imbu d’eux-mêmes.

 

En ce sens, heureux celles et ceux qui ont, en eux, de la place pour un autre qu’eux-mêmes.

Dieu les enthousiasmera par son Esprit.

 

En trois mots comme en cent : « Heureux les dégonflé.e.s ».

 

CQFD

 

lecture de Actes 2 : 1 à 12

Lorsque arriva le jour de la Pentecôte, ils étaient tous ensemble en un même lieu.

Tout à coup, il vint du ciel un bruit comme celui d'un violent coup de vent, qui remplit toute la maison où ils étaient assis. Des langues leur apparurent, qui semblaient de feu et qui se séparaient les unes des autres ; il s'en posa sur chacun d'eux. Ils furent tous remplis d'Esprit saint et se mirent à parler en d'autres langues, selon ce que l'Esprit leur donnait d'énoncer.

Or des Juifs pieux de toutes les nations qui sont sous le ciel habitaient Jérusalem. Au bruit qui se produisit, la multitude accourut et fut bouleversée, parce que chacun les entendait parler dans sa propre langue. Étonnés, stupéfaits, ils disaient : Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ?  Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle ? Parthes, Mèdes, Élamites, habitants de Mésopotamie, de Judée, de Cappadoce, du Pont, d'Asie, de Phrygie, de Pamphylie, d'Égypte, de Libye cyrénaïque, citoyens romains, Juifs et prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons dire dans notre langue les œuvres grandioses de Dieu ! Tous étaient stupéfaits et perplexes ; ils se disaient les uns aux autres : Qu'est-ce que cela veut dire ?