Prédication du 8 décembre, "Espérer envers et contre tout"

Espérer envers et contre tout

 1 Pierre 1,3

Espoir et optimisme ne sont guère de mise. Guerre en Ukraine, 7 octobre et guerre à Gaza et au Liban, guerres silencieuses et oubliées qui se poursuivent en Afrique et ailleurs, crise climatique, génèrent déprime et pessimisme. Du coup, moral en berne, au point que l’angoisse lit sur bien des visages, et tout particulièrement sur ceux de millions de femmes, d’enfants et de personnes âgées déplacées ou quittant leur pays en guerre en laissant derrière eux ou à la frontière, épouse ou mari, mère ou père, compagne, ami, fille, fils...Quant aux nuages de conflit majeur, ils ne cessent de s’amonceler… Et comme moi vous avez remarqué combien détresse et désespoir ont tracé bien des routes sur les cartes ex-posées ici à St François et La cathédrale.

C’est dire que les mots de Pierre dans sa 1ère lettre il nous a fait renaître pour une espérance vivante sont à entendre et recevoir au moment même où tant de groupes s’étirent le long des frontières de la citadelle européenne ou sur les mers qui la bordent, le long de la frontière mexicaine, etc. Et s’il faut bien sûr acheminer au plus vite des biens de première nécessité, des vivres, des habits et des médicaments, il faut aussi suppléer en espérance. Or celle-ci manque de plus en plus, elle est en très forte diminution, on en est quasi à cours, à l’inverse des budgets militaires qui partout, y c. en Helvétie, ou presque ont pris l’ascenseur. Du coup, la mort, ô combien menaçante, pourrait bien être la mort de l’espérance.

Or l’évangile souligne, confesse l’importance, la nécessité, de l’espérance en nous. Pourquoi ? Pour une seule raison, c’est que l’espérance est porteuse de vie. C’est que si Dieu est sur nos chemins, c’est Lui qui y sème l’espérance par sa présence même. Et je tiens de suite à distinguer ici l’espérance de l’espoir, important lui aussi, tant il est vrai que lorsqu’un individu ou un peuple n’a plus aucun espoir, alors la mort guette. La mort menace soit de manière suicidaire (contre soi), soit de manière meurtrière (contre autrui), n’importe quel acte s’offrant à lui/elle, y c. terroriste.

Les paraboles du grain de moutarde et du levain indiquent que ce qui est susceptible de grandir et de permettre la maturation paraît à première vue sans importance. Et si l’humain le comprend lorsqu’il pense culture ou fabrication du pain, il l’oublie instantanément en matière de vie, au point de limiter son regard à ce qu’il voit ou ressent. Alors, force est de le constater aujourd’hui, désespoir et déprime prennent le dessus. Or les mots de Pierre se font insistants : il nous a fait renaître pour une espérance vivante par la résurrection de son fils.

Certains estimeront qu’au vu des détresses actuelles ces mots ne sont que du vent bien sympathique, mais qu’ils n’insufflent que de fausses promesses. Pourtant les mots de Pierre n’invitent pas à une lecture géopolitique et optimiste des événements, et pas au 1er siècle plus qu’en 2024. Sinon, pourquoi ajouterait-il aussi tressaillez-vous d’allégresse, même s’il faut, que pour un temps, vous soyez affligés par diverses épreuves ? Non, les mots de Pierre invitent au contraire à distinguer plus en profondeur espoir et espérance.

L’espoir privilégie l’horizontalité. Il s’appuie sur des calculs, des évaluations et des hypothèses et c’est pourquoi le mot espoir s’allie à l’augmentation des dé-penses militaires, la dissuasion prétendant régler les problèmes. La rationalité paraît fonder l’espoir, alors qu’il se heurte si souvent à l’irrationalité ou à des intérêts non pris en compte, l’histoire récente en est le signe tragique. Au niveau individuel, on pourrait reprendre ces mots qu’on entend parfois Toujours attendre et espérer, tel est le propre du benêt.

Expression terrible, mais juste, si notre espérance ne trouve pas son fondement à l’horizontalité des calculs en tout genre, si cette espérance ne se fonde pas sur la verticalité d’une croix, signe de mort devenu signe de vie. Terrible, mais juste, si l’espérance n’oriente l’existence que vers un futur, vers une compréhension de la résurrection qui n’est qu’assurance post mortem. Terrible, mais juste si l’on confond futurologie et espérance, si l’avenir n’est qu’une extrapolation.

Terrible, mais juste, si l’espérance de-meure extérieure à moi, si elle ne m’ha-bite pas. Terrible, mais juste, si l’espérance est une fuite de la réalité. Terrible, mais juste, parce qu’alors nous ne rendons pas compte de l’espérance dont nous sommes dépositaires, si elle ne porte pas de fruits, en nous et autour de nous.

Or que signifie renaître pour une espérance vivante, sinon être appelé à percevoir dans les situations de notre quotidien quelles décisions prendre en vue de la communauté ? Et je ne parle pas seulement ici de quelque communauté ecclésiale locale, mais plus largement de la communauté humaine.

Je n’ai jamais oublié un graffiti à Lausanne, au pied au pont Bessières. Quelqu’un avait écrit ces mots terribles : Attention, chute d’espoir !

Avant la crise sanitaire du Covid, des foules majoritairement de jeunes marchaient pour exprimer leur souci du vivant, ils étaient chauds pour le climat et espéraient de profonds changements sociétaux. Mais l’espoir a faibli et le désespoir grandi : l’éco-anxiété a remplacé le Covid et devient maladie contagieuse. Autant dire que l’espérance doit être plus forte que tous ces signes mortifères. Aujourd’hui, la paix paraît lointaine, d’autant plus que si des accords de cessez-le-feu sont signés, ils le sont d’abord sur champs de ruines plutôt qu’ils ne sont semaison d’une paix véritable.

Aujourd’hui, les Eglises sont bien silencieuses. Certaines sont engagées sur le terrain humanitaire, et je m’en réjouis, mais quel temps consacrent-elles à déposer dans la prière l’horreur qui atteint et détruit tant d’hommes, de femmes et d’enfants ? Certes, elles participent avec d’autres à l’accueil de réfugiés, elles récoltent des fonds, mais ces même Eglises, dont le silence fut assourdissant pendant la pandémie, restent encore bien trop silencieuses alors que l’horreur gagne du terrain. NON, force est de constater, elles ne rendent pas, ne rendent plus compte de leur espérance ou si peu.  Certes, elles ne se privent pas de temps à autre de belles déclarations généreuses, ce qui ne sert strictement à rien si les paroles étincelantes ne s’articulent pas avec des actes coûteux.

Mais je ne fais pas mieux, moi aussi, je rends bien mal compte de l’espérance qui est en moi. Mais j’y suis appelé, malgré les épreuves alentour, je ne puis l’oublier. Ma foi m’interdit à croire au statu quo, à la mort qui veut tout emporter.  Et si je crois celles et ceux qui disent que cela ne sert à rien de déposer devant Dieu l’horreur qui déferle en Europe, alors pourquoi continuer à prier pour quoi que ce soit ? Dieu nous fait renaître pour une espérance vivante. Chacun·e doit en rendre compte, en chassant le désespoir alentour et les de toute façon cela ne sert rien de… Mais je refuse de rester voyeur de cette souffrance qui se déverse au travers des écrans. Je veux déposer devant Dieu tout cela, non pas sûr qu’à court terme les missiles se tairont et que les bombes ne pleuvront plus et que cesseront les dé-placements de population, mais assuré que Celui qui a vaincu la mort l’a fait pour que tout homme, toute femme, tout enfant vive. Et ce n’est qu’en semant l’espérance au plus quotidien de mes relations qu’à ma manière, tout comme les disciples hier, je serai minuscule grain de moutarde et partie intégrante du levain existentiel. 

Et ce n’est qu’en semant l’espérance au plus quotidien de mes relations que je serai au côté du Dieu vivant présent sur les chemins empruntés par ses enfants en souffrance. Ce n’est qu’en semant l’espérance que je serai au côté du Christ qui passe les frontières que nous ne cessons d’ériger. Et que Noël revêtira vraiment du sens…

Amen