Prédication par Virgile Rochat, pasteur
Comment est-ce possible ?
Comment ce Jésus messager de paix, ce Jésus prophète de l’amour, ce Jésus doux et humble de cœur, qui dit : « Prenez mon joug sur vous et vous trouverez du repos pour vos âmes (Mt 11. 29)
Comment ce Jésus qui donne, qui guérit, qui soutient, qui relève… Comment peut-il se montrer si sévère, si exigeant. Comment peut-il énoncer les propos si brutaux, si intransigeants que nous venons d’entendre : haïr sa famille, porter sa croix, renoncer à tout ce que l’on possède…
Comment peut-on conjuguer les propos acceptants de Jésus avec des propos si clivants ?
C’est sur cette question que nous allons nous arrêter un moment maintenant.
Si l’on suit le texte à la lettre, celui-ci commence par ces mots : « de grandes foules faisaient route avec Jésus, il se retourna et leur dit : ». (Imaginons la scène : nous marchons, nous sommes dans la foule, nous somme intéressés. Tout à coup Jésus s’arrête, la foule aussi. Il se retourne et il nous harangue.
Bon, on pourrait dire que, fort de ses succès préalables, (les grandes foules sont attirées), Jésus peut « serrer la vis ». Il peut « amener la marchandise » comme on dit vulgairement, il peut « ferrer le poisson » en termes de pêche… (Ce que, au passage, l’Eglise ne s’est pas privée de faire lorsqu’elle était en force, en mesure de le faire…)
Mais non ! Jamais Jésus ne se serait permis cela. C’est anti évangélique au possible, ce serait manipulatoire, ce serait faire fi de la liberté, liberté à laquelle l’Evangile est fortement attachée.
Mais alors pourquoi Jésus casse-t-il l’ambiance, pourquoi devient-il rebelle (critique de la famille) pourquoi prend-il le risque de passer pour un moralisateur (prendre sa croix), et pourquoi refroidir les éventuels enthousiasmes suscités par sa prédication (l’histoire de la tour et du combat projetés ?)
Je vous propose ce matin une réponse possible. C’est un pas de côté, mais vous en verrez assez vite le sens. Elle nous est proposée par un personnage important de la vie Lausannoise, personnage dont on commémore cette année les 50 ans de sa mort après 30 années de vie au Sacré Cœur à Lausanne : Maurice Zundel. L’abbé Zundel.
Dans sa conception des choses concernant l’humain (son anthropologie), Zundel considère que, lorsque nous naissons, quand, bébés nous accédons à la vie, nous ne sommes pas une page blanche, un document vierge où tout serait à écrire à partir de rien, mais au contraire, nous sommes des êtres préfabriqués. Des êtres déterminés, subis, déjà marqué par une multitude d’éléments non choisis qui peuvent peser lourd dans la constitution de notre personnalité profonde … Et que la tâche tout au long de la vie va être de se libérer, de se défaire de ce fatras hérité, pour accéder à son identité singulière, à sa stature authentique telle que Dieu la veut en nous créant (et donc pour nous) …
Ce passage de l’être préfabriqué ou naturel à l’être qu’il est appelé à devenir, Zundel n’est pas le seul à le proposer : St Paul le développe abondamment quand il distingue le vieil homme de l’homme nouveau et le nécessaire passage de l’un à l’autre. Dans l’épitre aux Ephésiens, l’apôtre dit : « Il vous faut, renonçant à votre existence passée, vous dépouiller du vieil homme qui se corrompt sous l’effet des convoitises trompeuses, il vous faut être renouvelé par la transformation spirituelle de votre intelligence et revêtir l’homme nouveau créé, selon Dieu dans la justice et la sainteté qui viennent de la vérité (Eph 4,22-24).
Cette tâche de libération, nécessaire, n’est pas seulement de St Paul, elle est aussi magistralement décrite par Jésus dans son entretien avec Nicodème, ce notable juif venu de nuit vers lui pour s’enquérir de la substance de son enseignement. Pour entrer dans le royaume, Jésus lui dit qu’une nouvelle naissance, des nouvelles naissances sont nécessaires pour advenir à la juste et pleine dimension à laquelle nous sommes conviés et destinés ! Et Zundel ne se contente pas de formuler le diagnostique et la thérapie, il donne aussi les moyens d’y arriver.
Devenir disciple de Jésus n’est donc pas le résultat de contraintes morales, d’obligations légales. Laisser advenir l’homme nouveau, naître d’en haut, s’opère par petites touches : d’émerveillements en émerveillements, c’est-à-dire par des expériences d’illuminations qui peu à peu transforment mystiquement notre être profond, le rendant de plus en plus transparent à la Présence divine, Présence divine par ailleurs mystérieusement présente en chacun…
Ainsi, pour Maurice Zundel, toute la tâche du chrétien consiste à se laisser libérer de ces réalités qui collent à la peau, qui attirent vers le bas, qui retiennent du côté obscur de la force. Et ainsi accéder à l’amour, cet amour, cette acceptation, c’est accueil qu’apporte Jésus et qui fait constitue la Bonne Nouvelle, l’Evangile
C’est une manière tellement plus douce, tellement plus positive, tellement plus élevante que celle d’un christianisme étouffoir, culpabilisant, écrasant que l’on a souvent entendu prêcher mêmes dans les meilleurs endroits…
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Remarquez.
Remarquez que ça ne signifie pas que par miracle tout soit léger et facile… cheminer de naissances en naissances nécessite fatalement des ruptures importantes. Parvenir à la pleine stature de disciple (en fait à l’amour) demande pas mal de travail, et de travail sur soi. Et notre texte s’en fait un bel écho, et c’est pourquoi Jésus peut être cassant dans son message.
« Si quelqu’un vient à moi, sans me préférer (haïr) à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple » (v26).
Si, du temps de Jésus la famille était le lieu de transmissions des valeurs (donc de l’homme préfabriqué) avec des structures sociales qui pouvaient bloquer la survenue de l’Evangile. De nos jours ce n’est plus guère la famille au sens concret (elle est en piteux état et nécessite plutôt d’être fortement soutenue). De nos jours Jésus incriminerait plutôt notre société actuelle et ses valeurs centrées sur l’argent, la consommation le paraître…
Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à l’accumulation de ses biens, à la croissance exponentielle, au pillage des ressources de la terre, en fait à lui-même, il ne peut être mon disciple. (Cela a du sens alors que nous entrons dans le mois de la Création). Aller d’émerveillements en émerveillements va conjointement de détachements en détachements…
Et notre texte de poursuivre : « celui qui ne porte pas sa croix, et ne marche pas à ma suite, ne peut pas être mon disciple » v.27
Là aussi se détacher du vieil homme et faire advenir l’homme nouveau ne va pas sans difficultés ou tensions de tous ordres, il y a des ajustements à faire, mais ces difficultés ne s’inscrivent pas dans un processus misérabiliste de souffrances rédemptrices, mais dans un processus de naissances, donc de vie ! (avec les souffrances que cela implique… mais en vue de la vie ! ce qui change passablement le point de vue ! mais n’enlève rien à la difficulté…
Car il faut bien le dire, se mettre à la suite du Christ est quand même une sacrée affaire si on peut dire. Ce n’est pas une promenade dans un jardin d’agrément.
Et les deux petites histoires placées par Luc dans notre chapitre invitant à bien réfléchir avant de s’engager, et de continuer de réfléchir après d’être engagé !
J’en retiendrai une seule idée, c’est l’invitation de Jésus à s’asseoir : « en effet, dit le texte lequel d’entre vous, quand il veut bâtir une tour, ne commence par s’asseoir pour calculer la dépense et juger s’il a de quoi aller jusqu’au bout » ou encore : « Ou quel roi, quand il part faire la guerre à un autre roi, ne commence pas par s’asseoir pour considérer si il est capable de gagner son combat.
S’asseoir. Se poser. Trouver, retrouver son assise, son centre de gravité, se calmer… Méditer, voici là aussi un bon moyen d’orienter sa vie, de faire les bons choix et de devenir ainsi de plus en plus un vrai et fidèle disciple du Christ.
Voilà les questions avec lesquelles je nous laisse ce matin