« Au commencement » 2/4
« La vie était la lumière des humains : mais où est l’interrupteur ? », par Line Dépraz, pasteure
Au commencement, Dieu parle.
Il dit.
Et les choses adviennent.
« Que la lumière soit, et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne … Il y eut un soir, il y eut un matin : premier jour. »
Et puis, vous connaissez le récit, l’œuvre créatrice de Dieu a continué ainsi, chaque matin succédant à une nuit…
… Et peu à peu, un monde structuré, habitable, a pris forme en lieu et place du chaos initial.
« Au commencement était la Parole, nous rappelle Jean. La Parole était Dieu. et « La Parole a pris chair » ajoute-t-il car avec d’autres il a reconnu, en Jésus-Christ, la Parole divine venant habiter sur notre terre.
Au commencement de l’année pour les chrétiens, en ce temps de l’Avent, la question qui ne cesse de résonner à mes oreilles : Que reste-t-il de cette Parole dans notre monde, dans nos vies ?
Comment rayonne-t-elle aujourd’hui ?
Vers où dirige-t-elle notre regard ?
J’ai si souvent l’impression d’en être à ce moment de l’histoire où la lumière vient et où les ténèbres ne l’accueillent pas.
Il y a tant de noirceur.
Auprès comme au loin. Que j’en viens à penser que l’interrupteur permettant d’éclairer le monde est hors service…
Je croise des visages éteints. Préoccupés.
Qui par la situation internationale.
Les violences qui balafrent notre humanité.
La paix qui vole en éclat ici et là.
Qui par la maladie.
La déprime.
Le deuil.
Qui par l’horizon couvert.
L’absence de sens.
La peur du lendemain.
Cette lumière qui vient.
Qui tente de tracer son chemin jusqu’à nous. Jusqu’au plus profond de chacun de nous. Pourquoi peine-t-elle tant à rayonner ? Et à nous faire rayonner ?
Je ne suis pas sûre de pouvoir répondre à cette question. Mais j’aimerais, pour commencer, revenir sur cette notion du « commencement » puisqu’avec ces mots, l’évangéliste Jean se place dans la ligne du tout premier récit de la bible.
Au commencement, ἐν ἀρχῇ dans le grec de Jean, בְּרֵאשִׁית en hébreu.
בְּרֵאשִׁית que l’on devrait traduire, plutôt que par « au commencement » par « dans un commencement ».
C’est vrai qu’en français, ça sonne mal. Ça n’est pas très fluide. Mais c’est la traduction la plus respectueuse du texte hébreu : « Dans un commencement, Dieu crée le ciel et la terre. »
Qu’est-ce que cette manière de dire nous révèle ?
Et bien cette indétermination, parler d’un commencement et non pas du commencement, laisse entendre que la création au sens biblique du terme ne suit pas un schéma avec un début clairement déterminé et une fin tout aussi clairement déterminée.
Mais que Dieu, à chaque instant, à chaque période de l’histoire, commence et recommence encore à créer. Dans une sorte de mouvement perpétuel.
Et c’est intéressant de voir comment Dieu crée. Au début, la terre est un chaos, le mot hébreu qui a passé en français est le mot tohu bohu.
Au début donc, le chaos. Au-dessus duquel planent des ténèbres.
Dieu regarde. Puis il sépare. Il nomme. Et le monde prend forme.
Alors, je me dis qu’à ce début-là, comme aujourd’hui, peut-être comme à chaque période de l’histoire, il y a du chaos, du désordre, des ténèbres.
On pourrait ajouter du non-sens, de la souffrance, de la haine et de la violence.
Et au cœur de cela, Dieu ose une parole qui génère de la lumière, qui ouvre l’avenir et dessine une espérance.
Sa Parole n’est pas une victoire définitive de la lumière sur les ténèbres, ni de la vie sur la mort. L’histoire nous l’enseigne. Les ténèbres et la mort font partie de notre histoire, de nos vies.
Mais au coeur de ce qui fait mal, de ce qui fait peur, de ce qui paralyse. Dieu ne cesse de commencer, de recommencer à créer, c’est-à-dire à oser une parole qui génère de la lumière, ouvre l’avenir, dessine une espérance. Comme autant de trouées dans les ténèbres pour nous guider malgré tout. Pour nous permettre de discerner un chemin.
C’est pour moi un moteur d’espérance, même si je cède parfois à la tentation de croire en un Dieu qui m’éviterait les ténèbres.
Mais je mesure la grâce d’être accompagnée par lui dans tout ce qui, pour moi, s’apparente à des ténèbres.
J’ajouterais encore deux choses à partir de ce récit de la Genèse. Il scande tel un mantra, « il y eut un soir, il y eut un matin, premier jour, deuxième jour, troisième jour etc… »
Dans la bible, le soir précède le matin. Toujours.
C’est contrintuitif. Parce que cela signifie qu’au commencement, au recommencement, il n’y a pas d’abord la lumière comme on pourrait l’espérer. Mais la nuit.
L’aube ne vient qu’après la nuit. Pour celui, pour celle, qui a traversé la nuit.
Cela pourrait sembler pessimiste à certains, mais la polysémie hébraïque est à cet endroit remarquable.
Le mot nuit, עֶרֶב, vient d’une racine qui signifie aussi « la responsabilité, le fait de se porter garant pour quelque chose ou pour quelqu’un ».
Et le mot jour, בּוֹקֶר, lui, vient d’une racine qui signifie aussi « la capacité critique, respectivement la possibilité d’avoir sur soi un regard critique ».
En ce temps de l’Avent, si nous aspirons à un recommencement du monde, peut-être serions-nous inspiré.e.s de nous sentir responsables de tous ces autres qui sont nos frères et nos sœurs et d’exercer un brin d’auto critique sur note compréhension du monde.
M’est d’avis que cela pourrait permettre à une nouvelle humanité de se lever.
Il y aurait un soir marqué par notre capacité à nous sentir responsables des autres.
Il y aurait un matin marqué par notre capacité d’autocritique.
Premier jour d’une nouvelle humanité.
Au commencement était la Parole.
À cet autre début, Jean est le témoin de la Parole faite chair.
Une Parole s’incarnant dans un homme, se faisant ainsi nomade, mobile, pour mieux rejoindre chacune et chacun.
Une Parole à hauteur d’homme.
Proclamant la bonne nouvelle d’un Royaume déjà présent.
Une Parole se faisant regard, pour nous dire : « Je t’ai vu, tu as du prix à mes yeux et je t’aime. »
Une Parole devenant geste pour relever celles et ceux qui sont abattus, mis à l’écart, écrasés, rejetés. Tous ces plus petits, toutes ces plus faibles dans lesquel.le.s Jésus se reconnaissait et auxquel.le.s il nous demande de rester attentifs.
Là non plus, heureusement, j’ose cet adverbe. Là non plus, heureusement, aucune promesse d’un monde sans ténèbres.
Mais le rappel que chaque personne qui accueille Jésus-Christ, son message, ses gestes, ses manières de faire, chacune de ces personnes, nous dit Jean, devient fils, fille de Dieu. Et, à ce titre, porteur et porteuse d’un rayon de la lumière divine.
S’il n’y a effectivement pas d’interrupteur pour allumer ou éteindre cette lumière-là, nous sommes, chacune et chacun, moteur et porteur de cette parole qui est lumière.
À la suite de Jésus, dans toute notre imperfection, nous sommes source de rayonnement.
Changer le monde n’est pas de notre ressort. L’éclairer, aussi modestement qu’une bougie de l’Avent, c’est ce dont Dieu nous croit capable. Et c’est ce dont le monde a besoin.
lecture de Genèse 1 : 1 à 5
Au commencement Dieu créa le ciel et la terre.
La terre était un chaos, elle était vide ; il y avait des ténèbres au-dessus de l'abîme, et le souffle de Dieu tournoyait au-dessus des eaux.
Dieu dit : Que la lumière soit ! Et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière et les ténèbres. Dieu appela la lumière « jour », et il appela les ténèbres « nuit ». Il y eut un soir et il y eut un matin : premier jour.
lecture de Jean 1 : 1 à 5 + 9 a 14
Au commencement était la Parole ; la Parole était auprès de Dieu ; la Parole était Dieu.
Elle était au commencement auprès de Dieu.
Tout est venu à l'existence par elle, et rien n'est venu à l'existence sans elle.
Ce qui est venu à l'existence en elle était vie, et la vie était la lumière des humains.
La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres n'ont pas pu la saisir.
La Parole était la vraie lumière, celle qui éclaire tout humain ; elle venait dans le monde.
Elle était dans le monde, et le monde est venu à l'existence par elle, mais le monde ne l'a jamais connue.
Elle est venue chez elle, et les siens ne l'ont pas accueillie ; mais à tous ceux qui l'ont reçue, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. Ceux-là sont nés, non pas du sang, ni d'une volonté de chair, ni d'une volonté d'homme, mais de Dieu.
La Parole est devenue chair ; elle a fait sa demeure parmi nous, et nous avons vu sa gloire, une gloire de Fils unique issu du Père ; elle était pleine de grâce et de vérité.