Prédication du 6 août, Avoir une preuve: chance ou malchance?

Stupor Mundi, est une BD de Nejib dont quelques planches sont visibles dans cette cathédrale. Cette BD met en scène un savant arabe de la Renaissance qui fait des recherches sur la reproduction d’images. Ce savant est invité à poursuivre ses recherches en Italie. Et là, on découvre qu’il est instrumentalisé par celui qui l’a convié et qui n’a en fait qu’un seul but : le forcer à créer un faux saint-suaire. Parce que si l’empereur pouvait faire croire qu’il a retrouvé le saint-suaire du Christ et qu’il l’a ramené à Rome, son pouvoir serait grandement renforcé.

 

Ce n’est que romance dans la BD de Nejib. Mais dans l’histoire humaine, la recherche du saint-suaire a fait l’objet de réelles quêtes, même si on ne cherche pas toujours la même chose. On cherche tantôt le linge qui aurait recouvert le visage de Jésus lors de sa mise au tombeau, tantôt le linceul qui aurait enveloppé tout son corps, voire même le voile de Sainte Véronique qui, selon la tradition des saints, a essuyé le visage de Jésus durant son chemin de croix avec le voile qu’elle portait sur la tête  et le visage de Jésus se serait imprimé sur son voile.

 

Cette recherche du saint-suaire, comme toute recherche de relique, vise à apporter une preuve matérielle à quelque chose qui demeure de l’ordre du mystère. Selon l’a priori que, pour les humains, ce qui est tangible est plus facile à croire que ce qui demeure mystérieux.

Ce n’est peut-être pas faux.

 

N’empêche qu’un tel a priori nous ouvre à d’innombrables questions. Et il se trouve que le récit du matin de Pâques dans l’évangile de Jean est particulièrement éclairant par rapport à tout ce champ de questions sur la visibilité, la matérialité, etc.

 

M’appuyant sur ce récit, je vais revenir dans l’ordre,

  • sur la figure de Thomas,
  • -sur ce qu’ont vécu les 10 autres disciples au moment où le Christ les a visités et institués apôtres,
  • et sur le fait de « devoir » voir pour croire.

 

Pour commencer donc, Thomas.

Dans le panel des disciples, Jean est présenté comme celui que Jésus aimait. Pierre passe pour un indécrottable gaffeur. Thomas, lui, apparaît comme le récalcitrant de l’équipe. Voire comme un disciple de deuxième catégorie au prétexte qu’il ne croit pas aveuglément ses congénères. Alors que les dix autres affirment en chœur « Nous avons vu le Seigneur ! », il leur rétorque : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je n’enfonce pas mon doigt à la place des clous et si je n’enfonce pas ma main dans son côté, je ne croirai pas ! » 

 

La réponse de Thomas peut certes surprendre. Mais c’est un peu court pour le condamner.

 

Rappelez-vous qu’au matin de ce même jour de Pâques, alors que Marie de Magdala voit que la pierre du tombeau a été enlevée et qu’elle court l’annoncer à Simon-Pierre et à l’autre disciple que Jésus aimait, ces deux-là n’ont pas cru avant d’aller vérifier par eux-mêmes ses dires.

L’évangile de Luc est plus lapidaire encore : alors que les femmes annoncent la résurrection du Christ, les onze disciples pensent qu’elles délirent.

Thomas n’est donc pas le seul à douter !

 

Thomas, nous l’avons réentendu, on l’appelait aussi Didyme, ce qui en grec signifie le jumeau.

 

Je ne peux m’empêcher de penser qu’on l’appelait ainsi parce que, au travers de ses réactions, il manifeste qu’il a, avec nous, un lien fort ; aussi fort qu’un lien de parenté. Il est comme notre jumeau. Qui ose exprimer tout haut ce que beaucoup ruminent tout bas.

 

Au début de notre récit, Thomas est comme nous. Il n’a pas vu le Christ ressuscité. Il n’a pas fait l’expérience de sa rencontre puisqu’il n’était pas à la maison au bon moment.

 

Pour autant, Thomas ne fait pas exprès de ne pas croire. Ce n’est de sa part ni mauvaise volonté ni provocation. Il a juste besoin de se forger sa propre opinion face à des propos certes unanimes, mais néanmoins difficiles à croire.

 

Alors Thomas enquête, il s’interroge. Il questionne sans tabou pour appréhender l’impensable en ayant balayé toutes les zones d’ombre possibles. C’est pour cela qu’il demande à voir.

 

Mais vous noterez que Thomas doute des propos de ses amis parce qu’ils ont quelque chose de vertigineux, qu’il y a de quoi raisonnablement douter.

 

Mais lorsqu’il est face à Jésus ressuscité et que Jésus s’adresse à lui en reprenant les mots qu’il avait lui-même utilisés : « Avance ton doigt ici et regarde mes mains ; avance ta main et enfonce-la dans mon côté, cesse d’être incrédule et deviens un homme de foi. » À ce moment-là, Thomas ne demande plus à ni à voir ni à toucher. Il confesse spontanément : « Mon Seigneur et mon Dieu. » 

 

Ce qui me fait dire qu’en matière de foi, comme en tout autre domaine de la vie, il ne s’agit pas de croire aveuglément. Mais d’interroger. D’oser questionner.

 

De cheminer avec d’autres, de cheminer avec le Christ, pour tracer notre voie, pour tisser notre relation au Tout-Autre, de manière à ce que cette relation soit vivante pour chacune et chacun et qu’elle ne se résume pas à la simple copie conforme de ce que les autres disent vivre. Alors, merci Thomas ! Merci de nous ouvrir à cette saine liberté de vie et d’opinion.

 

Mais alors, qu’en est-il des autres disciples ? Que s’est-il passé au moment où Jésus ressuscité s’est rendu présent à eux et les a institués comme apôtres ?

 

Notons que, sans avoir rien demandé, Jésus leur montre ses mains et ses côtes…

 

Mais surtout, ils ont reçu l’Esprit Saint. Et c’est l’Esprit Saint, à n’en pas douter, qui les a rendus capables de comprendre et d’accepter ce qu’ils voyaient, ce qu’il se passait.

 

Par deux fois, Jésus leur dit « La paix soit avec vous… » Il leur montre mains et côtes puis il enchaîne « comme le Père m’a envoyé, à mon tour je vous envoie. Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit : Recevez l’Esprit Saint» 

 

Sans l’Esprit qui fait germer en nos cœurs le goût de l’impensable et la foi en l’inespéré, les autres disciples n’auraient sans doute pas retenu leurs questions. Car malgré la joie des retrouvailles, en un soir où la peur domine, il y a “croire“ et “croire“, il y a “voir“ et “voir“.

 

Et c’est là où le récit de Jean est magistral. Il n’y a pas moins de trois verbes grecs différents qui, en français, sont traduits par “voir“.

 

Il y a tout d’abord Marie-Madeleine qui arrive au tombeau et voit que la pierre a été roulée. C’est le verbe βλεπω (blèpo)  qui est utilisé. Il signifie regarder, porter son regard sur quelque chose, constater une réalité. C’est une action “basique et neutre“, si vous me permettez l’expression. Elle n’engage pas le spectateur.

 

Il y a ensuite Simon-Pierre. Il n’est pas fortiche à la course. Ce n’est donc pas le premier des deux disciples à arriver au tombeau, mais c’est le premier à y entrer. La TOB, à juste titre, traduit alors qu’« il considère les bandelettes posées là et le linge qui avait recouvert la tête ». Quasi toutes les autres traductions précisent qu’il “voit“ ou “regarde“ les bandelettes.

 

Le verbe grec utilisé est ici θεωρεω (Thèorèo). Il ne s’agit plus d’un simple regard. Mais d’un regard qui analyse, qui cherche à comprendre ce qu’il voit ou ce qu’il ne voit pas.

C’est d’ailleurs ce même verbe qui est utilisé pour Marie de Magdala quand elle voit les deux anges à qui elle dit son désarroi puis Jésus qu’elle est encore empêchée de reconnaître. Il y a une démarche active du spectateur dans ce regard-là qui cherche à comprendre.

 

Le troisième verbe est réservé au 2ème disciple, celui que Jésus aimait, qui entre dans le tombeau qui voit et qui croit. Là, c’est le verbe οραω (orao).

 

Un verbe utilisé pour dire que ce que l’on regarde, puis que l’on considère fait sens. D’une certaine manière, c’est l’idée de voir avec le cœur plus qu’avec les yeux. De voir l’essentiel au-delà de l’objet matériel.

 

C’est ce même regard que Thomas pose sur le ressuscité lorsque le Christ lui parle et c’est ce qui lui permet de le confesser comme Seigneur et comme Dieu.

 

Pour en arriver là, il lui a fallu douter, cheminer et questionner.

 

Je crois que c’est ce qu’il nous invite à faire : douter, cheminer, questionner. Il nous y invite chacune, chacun. Pour que la bonne nouvelle de l’évangile ne se résume pas à de simples mots ressassés et répétés mais qu’elle nous enthousiasme et qu’elle nous transforme nous aussi de l’intérieur. Comme elle l’a transformé, lui, de l’intérieur… Vous voyez ce que je veux dire ?

 

Amen