Gros poisson ou menu fretin ?, par Line Dépraz, pasteure
Pâques, c’était il y a 2 semaines tout juste.
Quel souvenir en avez-vous ?
Que vous reste-t-il de cette fête ? Du récit biblique redécouvert une énième fois ?
Comment est-ce que Pâques continue à infuser votre quotidien ?
Sans savoir ce qu’il en est pour vous, l’impression que donnent les récits des évangiles, c’est qu’il a fallu peu de temps pour que l’évènement de la croix et de la découverte du tombeau vide, soit relégué dans le passé. Peu de temps pour qu’à l’exaltation de tous ces mois vécus avec Jésus, succède la grisaille des jours de désillusion. Un peu comme un rêve qui se brise et laisse pantois au réveil.
C’est le propre de tout évènement, me direz-vous, que cette difficulté à tenir dans la durée, à prendre racine.
De fait, quand on parle d’un évènement, ce n’est pas sa durée qui compte, c’est son intensité.
Sa force se révèle dans le fait que celles et ceux qui vivent un évènement pressentent, en le vivant, un changement fondamental dans leur existence.
Alors, quand tout ne se déroule pas comme espéré, quand la fin laisse un goût d’inachevé, le retour au quotidien apparaît comme une fatalité marquant la fin d’une parenthèse.
Imaginez le désœuvrement des disciples.
Du jour au lendemain, les voici qui n’ont plus rien à faire.
Et puis, sans maître à suivre, ils sont contraints de reprendre la main sur leur quotidien. Un exercice pas si facile que cela.
Pierre se propose alors simplement de faire ce qu’il sait faire : il va à la pêche. Et sa proposition fait mouche auprès de ses compères. Il ne sera pas seul. Au total, ils sont 7 à embarquer. Et à pêcher toute la nuit.
Au petit matin gris de leur retour, bredouilles, voilà qu’un homme sur la rive les interpelle et leur demande le résultat de leurs efforts. Apprenant qu’ils n’ont rien pris, il leur propose de jeter leur filet du côté droit, et comme par magie, le filet est plein à craquer…
… C’est à ce moment-là que le disciple que Jésus aimait réalise que l’homme qui a parlé n’est autre que Jésus, le Christ.
Un scénario qui n’est pas sans rappeler cet autre récit de “pêche miraculeuse“… situé, lui, au tout début du ministère de Jésus alors qu’il recrutait des disciples pour l’accompagner.
Ce jour-là, Jésus avait débarqué au bord du lac de Génésareth et avait intimé l’ordre à Simon-Pierre de jeter une nouvelle fois les filets dans le lac, bien que celui-ci avait déjà pêché toute la nuit sans succès.
Pierre avait obéi et avec cet ultime lancement des filets dans le lac, la pêche avait été incroyablement bonne ce qui avait fait dire à Jésus que désormais, ceux qui l’accompagneraient ne pêcheraient plus du poisson mais des hommes. Simon-Pierre et les autres avaient, sur-le-champ, tout quitté pour suivre Jésus.
Me voilà presque tentée de dire que la boucle est bouclée. Quand bien même je m’y risquerais, cela ne signifierait pas, pour autant, que tout est fini.
En fait, rien n’est fini.
Rien n’est fini parce que, contre toute attente, “l’évènement Jésus“, si vous me passez l’expression, va trouver un accomplissement au-delà de l’échec apparent qui aurait permis de le reléguer dans le passé.
De manière assez simple, en parlant de pêche, de poisson, de pain, de faim, l’évangéliste Jean nous rappelle que si c’est dans le quotidien des disciples que Jésus leur est apparu la première fois, c’est dans ce même quotidien qu’il leur réapparaît après avoir été ressuscité.
Une manière de dire que Jésus ne vaut pas que pour les moments extraordinaires, les guérisons miraculeuses, la victoire de la vie sur la mort… Jésus vaut aussi, et peut-être surtout, pour tout ce qui fait le quotidien de nos vies, y compris les petits matins gris lourds de désespoirs et de désillusions.
La force de “l’évènement Jésus“, c’est de prendre racine dans le quotidien des autres pour le métamorphoser, et ce, jusqu’à nous.
Nous ne l’avons pas connu en le côtoyant physiquement. Mais combien de fois le reconnaissons-nous, agissant, dans nos vies ?
Il n’est pas venu nous arracher à notre barque. Mais ne partagez-vous pas cette impression qu’il ne cesse de nous attendre sur les rivages où nous accostons ?
“L’évènement Jésus“ n’est pas un échec à reléguer dans le passé, parce qu’il trouve son accomplissement en d’autres que lui-même.
Potentiellement en vous.
En toi.
En moi.
En tellement d’autres personnes encore.
Et dans cet accomplissement auquel nous sommes appelés à contribuer, intervient ce petit plaidoyer pour l’acceptation de la diversité et de la différence.
Tout au long du récit de Jean, il y a deux termes différents qui sont utilisés et traduits en français par poisson.
Celui que l’histoire a retenu : ἰχθύς (ichtus). Le gros, le bon poisson. Celui que les restaurants, aujourd’hui, nous servent en plat principal.
ἰχθύς, symbole des premiers chrétiens, clandestins. Vous le savez sans doute, les 5 lettres grecques qui forment ce mot sont les 5 premières lettres des 5 mots de la confession de foi qui dit : « Jésus Christ, fils de Dieu, sauveur ».
Ἰησοῦς, Iēsoûs Χριστός, Khristós
Θεοῦ, theoû υἱός, uiós σωτήρ, sōtḗr :
L’autre terme utilisé, est ὀψάριον (opsarion).
Et ça, c’est le petit poisson. L’à-côté, la garniture, ce qui accompagne les céréales. Non pas le plat principal, mais le menu fretin. Celui que les marins rejettent car il est trop petit ou celui qui, pour la même raison, passe entre les mailles du filet.
Si Jean, qui use si volontiers des symboles, a choisi deux termes différents dans un récit si court, vous pouvez être sûrs que ce n’est ni un hasard ni une inattention.
On a coutume d’interpréter la pêche comme étant la mission des disciples. Celle qui en fait des rassembleurs d’hommes. Des bâtisseurs de communautés.
Pour plusieurs commentateurs, dans cette pêche relatée par Jean, les 153 gros poissons (ἰχθύς) symbolisent les responsables du peuple et des premières communautés chrétiennes qu’il convient de rassembler et qu’il faut aider à trouver une unité pour permettre le vivre-ensemble.
Le menu fretin, ὀψάριον, symbolise, lui, les hommes, les femmes, les enfants du peuple se laissant rejoindre et convaincre par l’exemple de Jésus et/ou le témoignage des apôtres.
Hier comme aujourd’hui, le menu fretin, symbolise donc le petit. Petit par sa taille, mais surtout dans la perception qu’on en a. Un “petit“ de cette sorte-là, est souvent considéré comme insignifiant ou inintéressant ou fragile ou hors normes.
Il est celui dont on pourrait penser un peu trop rapidement qu’il n’a pas sa place dans le filet. Dans la mission.
C’est dans ce menu fretin, autant que dans le gros poisson, que “l’évènement Jésus“ s’accomplit et perdure.
Pour la petite personne que je suis, quel encouragement.
- Lecture de Luc 5 : 1 à 11
Or, un jour, la foule se serrait contre lui à l’écoute de la parole de Dieu ; il se tenait au bord du lac de Gennésareth. Il vit deux barques qui se trouvaient au bord du lac ; les pêcheurs qui en étaient descendus lavaient leurs filets. Il monta dans l'une des barques, qui appartenait à Simon, et demanda à celui-ci de quitter le rivage et d'avancer un peu ; puis il s'assit et, de la barque, il enseignait les foules. Quand il eut fini de parler, il dit à Simon : « Avance en eau profonde, et jetez vos filets pour attraper du poisson. » Simon répondit : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ta parole, je vais jeter les filets. » Ils le firent et capturèrent une grande quantité de poissons ; leurs filets se déchiraient. Ils firent signe à leurs camarades de l'autre barque de venir les aider ; ceux-ci vinrent et ils remplirent les deux barques au point qu'elles enfonçaient. A cette vue, Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus en disant : « Seigneur, éloigne-toi de moi, car je suis un coupable. » C'est que l'effroi l'avait saisi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, devant la quantité de poissons qu'ils avaient pris ; de même Jacques et Jean, fils de Zébédée, qui étaient les compagnons de Simon. Jésus dit à Simon : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu auras à capturer. » Ramenant alors les barques à terre, laissant tout, ils le suivirent.
- Lecture de Jean 21 : 1 à 14
Après cela, Jésus se manifesta de nouveau aux disciples sur les bords de la mer de Tibériade. Voici comment il se manifeste. Simon-Pierre, Thomas qu'on appelle Didyme, Nathanaël de Cana de Galilée, les fils de Zébédée et deux autres disciples se trouvaient ensemble. Simon-Pierre leur dit : « Je vais pêcher. » Ils lui dirent : « Nous allons avec toi. » Ils sortirent et montèrent dans la barque, mais cette nuit-là, ils ne prirent rien. C'était déjà le matin ; Jésus se tint là sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c'était lui. Il leur dit : « Eh, les enfants, n'avez-vous pas un peu de poisson ? » – « Non », lui répondirent-ils. Il leur dit : « Jetez le filet du côté droit de la barque et vous trouverez. » Ils le jetèrent et il y eut tant de poissons qu'ils ne pouvaient plus le ramener. Le disciple que Jésus aimait dit alors à Pierre : « C'est le Seigneur ! » Dès qu'il eut entendu que c'était le Seigneur, Simon-Pierre ceignit un vêtement, car il était nu, et il se jeta à la mer. Les autres disciples revinrent avec la barque, en tirant le filet plein de poissons : ils n'étaient pas bien loin de la rive, à deux cents coudées environ. Une fois descendus à terre, ils virent un feu de braise sur lequel on avait disposé du poisson et du pain. Jésus leur dit : « Apportez donc ces poissons que vous venez de prendre. » Simon-Pierre remonta donc dans la barque et il tira à terre le filet que remplissaient cent cinquante-trois gros poissons, et quoiqu'il y en eût tant, le filet ne se déchira pas. Jésus leur dit : « Venez déjeuner. » Aucun des disciples n'osait lui poser la question : « Qui es-tu ? » : ils savaient bien que c'était le Seigneur. Alors Jésus vient ; il prend le pain et le leur donne ; il fit de même avec le poisson. Ce fut la troisième fois que Jésus se manifesta à ses disciples depuis qu'il s'était relevé d'entre les morts.