Prédication du 4 décembre, L’annonce faite à Zacharie, un dialogue de sourds qui laisse sans voix!

« Que sera donc cet enfant ? »

C’est la question que l’on se pose devant un Moïse, où git l’enfant qui vient de naître.

Que deviendra-t-il ? Que deviendra-t-elle ?

Pilote de ligne ou de locomotive ?
Infirmier ou organiste ?
Sera-t-il, sera-elle un intellectuelle ou un manuel !
Un émotif ou un calculateur.
Un « manageur » ou une future conseillère fédérale. Une employée de banque ou un comédien ?
Une architecte ou un maçon ?

« Que sera donc cet enfant ? »
C’est par ces mots que se termine la séquence que Luc consacre à la naissance de Jean.

Ce que Jean va devenir, le lecteur de l’évangile de Luc le sait déjà depuis longtemps.
En effet, l’ange Gabriel a tout dévoilé d’un coup : Jean sera prophète !

 

Ainsi, Jean n’est même pas encore conçu, il n’est même pas à l’état embryonnaire que son avenir est déjà tout tracé.

Il ramènera beaucoup de fils d’Israël au Seigneur leur Dieu ! – dit Gabriel – Il

marchera par devant sous le regard de Dieu, avec l’esprit et la puissance d’Elie,
pour ramener le cœur des pères vers leurs enfants et conduire les rebelles à penser comme les justes, afin de former pour le Seigneur un peuple préparé.

Rien que ça, tout un programme !

Nous le savons chaque enfant est unique, mais ce qui est sûr, c’est que Jean n’est pas le modèle courant.

Jean sera prophète, et voyez-vous c’est plutôt surprenant.

C’est surprenant car en Israël, les prophètes ont disparu depuis longtemps.
Bien sûr, on se souvient d’Elie, de Jérémie, d’Esaïe, mais ce ne sont plus que de lointains souvenirs.

 

Et puis il faut le dire, « prophète » ce n’est pas un métier ! »
Messie non plus d’ailleurs, puisque Luc s’emploie aussi à raconter sa conception et sa naissance.

Ce n’est pas très enviable d’être prophète. C’est même redoutable.

On ne se lève pas un matin en se disant « je serai prophète ».
D’ailleurs personne ne rêve de devenir prophète, mais ça vous tombe dessus d’un coup, sans crier « gare ».

C’est un saisissement qui s’empare de vous, qui vous prend et vous surprend.

Dans l’histoire d’Israël, les prophètes ont souvent été des « mal-aimés », des « mal-vus ».
Il est même arrivé qu’on les tue.

Les prophètes dérangent et c’est bien connu, nous n’aimons pas être dérangé.

Les prophètes sont – dit-on – les porte-paroles de Dieu.

 

Et le moins que l’on puisse dire est que la parole qu’ils portent n’est pas toujours bonne à entendre.

Contrairement aux idées populaires, les prophètes ne sont pas là pour dire l’avenir.
L’avenir leur importe peu.
Mais ce qui poursuit le prophète, ce qui le hante, ce qui le travail jour et nuit, c’est la volonté de Dieu dans l’ici et le maintenant.

Que la justice de Dieu, que son désir de paix et d’équité soit faite sur la terre comme au ciel, voilà ce qui habite et mobilise le prohète.

Alors le prophète voit tout ce que l’on ne veut pas voir.
Tout ce sur quoi on ferme les yeux et dont on s’accommode comme on peut.

Tout ce qu’on passe sous silence.

Les injustices.
Les compromissions.
Les complicités.
Les magouilles.
Les complaisances et les violences.

 

C’est éprouvant d’être prophète. Presque surhumain.

C’est épuisant de voir ce que personne ne veut voir. C’est éreintant de dire ce que personne ne veut entendre.
C’est déprimant de rappeler à temps et à contretemps le souci de la justice de Dieu.

Demandez-le au prophète Jérémie, lui qui essaie d’échapper à Dieu en invoquant son manque d’éloquence.

Demandez-le à Elie ou à Jonas.
La prophétie les a rendus malades. Ils passent par le « burn out », la dépression et sont même tentés par le suicide.

Décidément, prophète, ce n’est pas un métier. Pas comme prêtre.
Prêtre ! Voilà un un vrai métier !

Jean aurait dû devenir prêtre, c’était même écrit depuis longtemps.

 

Lorsque l’on est descendant d’Aaron, comme l’est Jean par son père et sa mère, on est destiné à la prêtrise.
La prêtrise, ce n’est donc pas une vocation, mais c’est une assignation, un héritage.

Comme tous les vrais métiers, prêtre ça s’apprend. Comme pasteur ou diacre.

Demandez-le à Zacharie.
Il a un cahier des charges.
Il a même un agenda, un planning, une tabelle des cultes et des vacances.
Il est engagé dans une équipe et un tournus.
Il a des semaines de permanence durant lesquelles il offre de l’encens ou des sacrifices au Temple.
La routine, quoi !

Un prêtre c’est un fonctionnaire de Dieu.
On ne lui demande ni d’être créatif, ni d’être entreprenant, seulement de reproduire docilement les gestes transmis et répétés de générations en générations.

 

Si bien que les prêtres sont là pour que rien ne bouge et que l’on continue à faire comme on a toujours fait.
Le prêtre assure la permanence du système, la continuité de l’institution.

A Jérusalem, les prêtres tiennent la barraque et grâce à eux le Temple revêt quelque chose d’immuable et d’éternel.

Alors oui, un prêtre ça rassure énormément.
Tandis que les prophètes nous agacent à force de mettre le doigt sur nos incohérences, de dénoncer la bonne conscience que l’on s’achète à bon marché avec les sacrifices.

L’incroyable nouvelle, c’est que Jean ne sera pas pas prêtre comme son père.
Décidément les voies de Dieu sont impénétrables.

Lorsqu’il entend l’annonce de Gabriel, Zacharie, ne cache pas sa perplexité.
On dit qu’elle porte sur la question de la fécondité de sa femme Elisabeth.

Et c’est vrai qu’au fond, Zacahrie a de quoi être perplexe : qu’est-ce qu’un ange peut bien connaître

 

à l’horloge biologique d’une femme, je vous le demande ?

Mais j’aime à croire que si Zacharie est perplexe et qu’il ne sait pas bien comment accueillir les propos de Gabriel, c’est qu’il est chahuté, bousculé par l’annonce que l’ange lui fait.

Que Jean, son fils promis ne suive pas la voie de la prêtrise, passe encore.
Mais qu’il devienne alors ingénieur, médecin, charpentier, artiste … mais pas « prophète » !

On dit de Luc l’évangéliste qu’il est un historien. Mais il faut le dire tout de go, il n’y a rien d’historique dans les récits qu’il compose au début de son évangile.

En construisant ces récits invraisemblables

d’annonciation, de maternité, de paternité, Luc veut

nous faire comprendre autrement qu’avec des

théories et des concepts que le Dieu d’Israël, le Dieu

de Jésus-Christ est un Dieu qui fait sienne l’aventure

humaine.

Et qui n’hésite pas à s’y mêler, à s’y compromettre.

 

Ces récits proclament que Dieu a décidé de ne pas exister sans l’homme, et encore moins contre l’homme mais « avec lui », voilà la foi de Luc, voilà la foi des premiers chrétiens.

Et si Dieu a décidé de se lier à l’homme, ce n’est pas pour que rien ne bouge.
Ce n’est pas pour que l’on continue à faire toujours comme on a toujours fait jusqu’à maintenant.

Bien au contraire, Dieu se fait homme pour que les lignes bougent ; pour que l’homme évolue et naisse enfin à sa pleine humanité.
Et lorsque Dieu décide de se lier à l’homme, il faut s’attendre à de l’imprévu, du déroutant, du déraisonnable.

Comme ici où Dieu par l’ange Gabriel, contrarie et déjoue les plans arrêtés depuis des temps immémoriaux, de générations en générations.

Un Dieu qui se lie à l’homme c’est un Dieu qui croit en l’homme.
En sa capacité de changer, de croître en humanité, de s’épanouir dans la justice et dans la paix.

Lorsque Dieu se fait Dieu avec nous, Emmanuel, c’est pour que les lignes bougent.
C’est à cela que Jean s’emploiera pendant sa vie : à faire bouger les lignes.

Mais attention, Jean, ce ne sera qu’un début, un précurseur ; car nous le savons, après lui, un Autre vient, qui ira encore plus loin que lui pour faire bouger les lignes.

Mais c’est bien connu, nous n’aimons pas ceux et celles qui font bouger les lignes.

Seigneur ta Bonne Nouvelle nous étonne, nous surprend, nous embarrasse, nous dérange et parfois nous laisse sans voix, comme Zacharie.

Mais nous t’en prions … continue à susciter parmi nous des prophètes à la parole forte qui nous tire de nos somnolences et continuent à faire bouger les lignes.

Amen