une part d'éternité au cœur du quotidien
Ce petit bonhomme de Zachée, c’est quand même toute une histoire. Et, parfois, quelques grands malentendus.
À commencer par le hiatus qu’il y a entre la signification de son prénom et sa vie.
Zachée, littéralement, c’est “le juste“, “le pur“, “l’innocent“.
Des adjectifs qui collent mal au collecteur d’impôts qu’il est.
Malgré une certaine actualité, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit.
L’évangéliste n’insinue pas que les collecteurs d’impôts sont a priori tous des tricheurs, des impurs, des menteurs, des coupables. Mais son travail, Zachée l’effectue à la solde de l’occupant romain. Et de ce fait, il ne peut pas être considéré comme “pur“ par ses coreligionnaires. Parce que les gens qu’il fréquente ne sont pas purs au sens rituel de la loi juive. Et cela le rend, de facto, impur.
Zachée travaille donc pour l’occupant, comme d’autres.
L’exercice de sa profession lui permet d’être riche. Il y a sans doute œuvré consciemment.
Ce contre quoi il n’a, par contre, rien pu faire, c’est sa taille. Il est petit.
En soi, ce n’est pas un problème.
Par contre, quand on est au milieu d’une foule et qu’on veut voir le spectacle, c’est un réel handicap.
…Et c’est ce qui se passe ce jour-là, lorsque Jésus débarque à Jéricho.
Pour pallier son “handicap“, Zachée fait le choix de monter dans un arbre. On dit des sycomores que leur branchage commence bas dans le tronc. Y grimper n’est donc pas un exercice difficile.
Sous prétexte que Zachée a eu cette intuition de monter dans un arbre, on pense volontiers qu’il est à l’origine de sa rencontre avec Jésus. Qu’il a tout fait pour cela.
C’est le second malentendu que je voudrais lever. Zachée n’est pour rien dans sa rencontre avec Jésus.
Au contraire, s’il est monté dans le sycomore, c’est sans doute pour voir sans être vu.
Tous les enfants qui ont l’habitude d’activités en extérieur vous le diront, si vous ne l’avez pas expérimenté vous-mêmes. Quand on veut faire une farce au chef scout ou à la monitrice de camp, on grimpe dans un arbre pour se cacher. Parce que quand quelqu’un vous cherche, il lève rarement les yeux au ciel. Surtout si vous êtes petit. Il commence par regarder scrupuleusement partout à hauteur de vue et au sol.
Zachée ne cherchait pas à être vu.
C’est bien Jésus qui est à l’origine de leur rencontre.
Lui qui une fois de plus ne fait pas les choses comme les autres. Et qui, contre toute attente, lève les yeux, puis dit : « Zachée, descends vite : il me faut aujourd'hui demeurer dans ta maison. »
Par ces mots impératifs, Jésus fait sentir à Zachée que quelque chose de décisif est en train de se passer dans sa vie. Et que, s’il y consent, rien ne sera plus comme avant.
Fait significatif, Zachée répond positivement à l’impératif de Jésus. Ce qui lui vaut immédiatement d’être qualifié de « tout joyeux ».
Une métamorphose, pour ne pas dire une conversion, qui en dit long sur l’intensité de ce qui est en train de se passer.
C’est précisément cela que qualifie l’émergence du καιρός au milieu du xρόνος.
L’irruption soudaine d’un évènement.
Le καιρός vient interrompre le déroulement du xρόνος.
Il donne à l’instant, un sentiment d’éternité.
Il repositionne le déroulement continu du temps à l’aune de l’émergence de la grâce de Dieu.
En venant faire sa demeure chez lui, Jésus dépose une étincelle divine chez Zachée. Comme il est prêt à le faire dans chacune de nos vies.
Et ce qu’il y a d’extraordinaire dans ce récit, c’est qu’au fait que Jésus puisse soudainement s’inviter chez nous, tel une grâce bouleversante, à cette étincelle d’un instant, s’ajoute un changement de regard rendu possible, un changement de perspective pour aborder notre vie et ce que nous en faisons.
Le verbe grec utilisé pour dire que Jésus lève les yeux en direction de Zachée, ἀναβλέπω, peut être traduit par « regarder », mais aussi par « recouvrer la vue », c’est-à-dire retrouver la vue qui avait été perdue.
Je fais le pari que, ce jour-là, Zachée a jeté un regard sur lui-même et sur son existence comme il ne l’avait jamais fait auparavant.
Le regard de Jésus lui a permis de recouvrer la vue.
Probablement aussi de (re)devenir “le juste“, “le pur“, “l’innocent“ qu’il était appelé à être, de par son prénom.
Jésus révèle Zachée à lui-même avec toutes les promesses qu’il a, enfouies en lui.
À la suite de cette rencontre entre Jésus et Zachée, je crois que l’irruption de Dieu dans nos vies coïncide avec ce sentiment d’éternité qui vient densifier l’instant présent.
Et qu’elle est l’occasion de poser un regard renouvelé pour nous permettre de nous découvrir durablement tel que Dieu nous voit.
Et pour prolonger cette réflexion, j’aimerais revenir sur récit de l’Exode.
En préparant ce culte, je me suis demandé si la langue hébraïque avait un mot équivalent au mot grec de καιρός.
Je ne sais pas si j’ai trouvé l’équivalent exact. Mais mes recherches m’ont conduite à ce mot : "מועד" (mo'hed).
Ce mot, il est tantôt traduit en français par “temps“, “temps donné“, “temps fixé“ (on est dans le καιρός avec cela), “nouvelles lunes, “saison“, mais il est aussi utilisé pour qualifier une “assemblée en fête“, (là aussi, il y a quelque chose de l’ordre du temps propice) ou encore traduit-il des “lieux saints“, et “la tente de la rencontre“ dont il est fait mention dans le récit de l’Exode.
Je resitue brièvement le contexte.
Juste après l’épisode du Veau d’or, Dieu dit à Moïse toute la colère qu’il ressent contre « ce peuple à la nuque raide » qui se taille des idoles sitôt que Moïse tourne le dos.
Et Dieu explique à Moïse que le chemin vers la terre promise se poursuit mais que lui, Dieu, ne peut plus supporter l’idée d’être au milieu du peuple. Il craint même de l’anéantir, par colère, si leur proximité était trop grande.
D’où le fait que Moïse prenait la tente, la déployait à bonne distance en dehors du camp et l'appelait : « Tente de la rencontre ». Et alors quiconque voulait rechercher le SEIGNEUR sortait vers la tente de la rencontre qui était en dehors du camp.
Dans ce contexte, la « tente de la rencontre » qui permet de se mettre en quête de l’Éternel, et qui permet même à Moïse de parler avec Dieu « face à face comme on se parle d’homme à homme » se dit avec le même mot qui traduit l’instant favorable, le moment propice, le καιρός, le מועד.
C’est peut-être un hasard.
C’est peut-être un détail pour vous.
Mais, pour moi, ça veut dire beaucoup.
Ça veut dire que le lieu de ma rencontre avec Dieu est toujours, en même temps, le moment propice de l’irruption de sa grâce.
Dieu se laisse inlassablement rencontrer par moi, par toi, par vous, par nous.
Dieu se laisse inlassablement rencontrer. Ce faisant, il dépose inlassablement, jour après jour, un brin d’éternité dans mon quotidien et il éclaire mon regard de son amour pour que je devienne telle que je suis à ses yeux.
Quelle grâce.
lecture d’éxode 33 : 1 à 11
1Le SEIGNEUR adressa la parole à Moïse : « Quitte l’Horeb, toi et le peuple que tu as fait monter du pays d'Egypte, et monte vers la terre que j'ai promise par serment à Abraham, à Isaac et à Jacob en leur disant : “C'est à ta descendance que je la donne.” 2– J'enverrai devant toi un ange et je chasserai le Cananéen, l'Amorite et le Hittite, le Perizzite, le Hivvite et le Jébusite. – 3Monte vers le pays ruisselant de lait et de miel. Je ne peux pas y monter au milieu de toi, car tu es un peuple à la nuque raide et je t'exterminerais en chemin. » 4Le peuple entendit cette parole de malheur et en prit le deuil ; personne ne mit ses habits de fête.
5Le SEIGNEUR dit à Moïse : « Dis aux fils d'Israël : Vous êtes un peuple à la nuque raide. Qu'un seul instant je monte au milieu de vous, et je vous exterminerais. Et maintenant, déposez vos habits de fête, et je saurai ce que je dois vous faire. » 6Et les fils d'Israël se défirent de leurs habits de fête, à partir du mont Horeb.
7Moïse prenait la tente, la déployait à bonne distance en dehors du camp et l'appelait : « Tente de la rencontre ». Et alors quiconque voulait rechercher le SEIGNEUR sortait vers la tente de la rencontre qui était en dehors du camp.
8Et quand Moïse sortait vers la tente, tout le peuple se levait, chacun se tenait à l'entrée de sa tente et suivait Moïse des yeux jusqu'à son entrée dans la tente. 9Et, quand Moïse était entré dans la tente, la colonne de nuée descendait, se tenait à l'entrée de la tente et parlait avec Moïse. 10Tout le peuple voyait la colonne de nuée dressée à l'entrée de la tente ; tout le peuple se levait, et chacun se prosternait à l'entrée de sa tente.
11Le SEIGNEUR parlait à Moïse, face à face, comme on se parle d'homme à homme.
lecture de luc 19 : 1 à 10
1Entré dans Jéricho, Jésus traversait la ville. 2Survint un homme appelé Zachée ; c'était un chef des collecteurs d'impôts et il était riche. 3Il cherchait à voir qui était Jésus, et il ne pouvait y parvenir à cause de la foule, parce qu'il était de petite taille. 4Il courut en avant et monta sur un sycomore afin de voir Jésus qui allait passer par là. 5Quand Jésus arriva à cet endroit, levant les yeux, il lui dit : « Zachée, descends vite : il me faut aujourd'hui demeurer dans ta maison. » 6Vite Zachée descendit et l'accueillit tout joyeux.