En lui était la vie, Avent#1, par Jean-François Ramelet, pasteur
Lorsque l’on se retrouve autour de la table, on lève
les verres et l’on trinque.
On le fera souvent entre Noël et nouvel an, en
famille, entre amis.
On entrechoquera alors nos verres.
Et l’on se dira « santé » !
Et gare à celui ou celle qui ne regardera pas l’autre
droit dans les yeux.
Lointain souvenir du temps où nos ancêtres levaient
leurs verres pour porter un toast à leurs dieux et leur
mendier au passage la vie,
la santé,
la prospérité.
Lorsqu’ils font le même geste – les juifs - disent
« lehaïm » que l’on peut traduire par à « la vie » ou
« pour la vie ».
C’est bien différent de « dire » santé » ou « pour la
vie » !
J’ai pensé à ce banal rite de la vie quotidienne en
lisant cet étrange texte du Deutéronome, où Dieu
nous invite avec insistance à « choisir la vie ».
Je dis étrange, parce que si l’on sait qu’hélas
l’on peut choisir la mort, on sait aussi très bien que
l’on ne choisit pas la vie !
Dès notre conception, on ne choisit rien de la vie.
Rien du tout.
Tout ce qui fait de nous des êtres vivants, je pense à
nos potes les chromosomes …
… je pense à la structure de notre ADN, elle-même
porteuse de plus de 20'000 gènes qui contiennent le
plan détaillé de notre organisme …
… je pense à chacune des 30'000 milliards de
cellules qui nous composent.
… bref … je pense à tout ce qui fait que je suis en
vie et que je n’ai pas choisi !
Cet ordonnancement biologique complexe
m’échappe.
Et plus j’essaie de le comprendre, moins je le
comprends.
Et plus j’y pense, plus je suis pris de vertige en
imaginant le chiffre astronomique des combinaisons
possibles de ce cocktail vital.
Combinaisons infinies qui font que les 8 milliards
d’habitants sur notre planète sont tous uniques[1].
Combinaisons infinies qui font que depuis que
l’humain est apparu sur cette terre aucun n’a été
pareil à un autre.
C’est prodigieux.
Aussi lorsque l’on dit que les parents font des
enfants, on se méprend.
Les parents ne font – tout au plus - que de donner le
coup d’envoi d’un formidable programme
biologique pour une part aléatoire.
Si bien que, comme l’enfant à naître, les parents non
plus n’ont rien choisi des enfants qu’ils ont désiré.
Combien de fois, en voyant vivre et grandir Jésus,
Marie et Joseph ne se sont-ils pas dit « Mais qu’est-
ce qu’on a fait au bon Dieu ! »
La vie est un élan obstiné,
une force indocile,
une énergie infatigable qui ne cesse de se
renouveler, d’évoluer, d’aller et venir en nous et
autour de nous.
Je rends grâce de pouvoir participer à cette vie que
je n’ai pas choisie et qui longtemps encore après ma
mort continuera à résister à tout ce qui cherche à
l’anéantir.
Tout cela rend encore plus énigmatique la parole du
Deutéronome lorsqu’il écrit « choisi la vie et tu
vivras ».
Tout cela rend encore plus mystérieuse l’affirmation
de Jean qui écrit qu’en la Parole faite chair « était la
vie ! »
La vie ne se suffirait-elle – donc - pas à elle-même ?
A bien y regarder, toutes les écritures bibliques
peuvent se lire comme des protestations, des
résistances, des frondes contre tout ce qui tend à
réduit la vie à la vie biologique.
Contre tout ce qui tend à réduir la vie au vital.
Je me demande si – sans nous en rendre compte –
nous ne réduisons pas la vie au vital lorsqu’en
trinquant nous disons « santé » … et plus
particulièrement encore au moment d’échanger nos
vœux le 31 décembre, lorsque nous nous
souhaiterons la santé, et que nous soulignerons
« surtout la santé » parce que c’est essentiel.
Bien sûr que la santé est importante.
Dire le contraire serait d’une affligeante bêtise.
Surtout lorsque l’on sait que tant d’hommes et de
femmes et d’enfants affrontent en ce moment même
une maladie parfois incurable.
Ou lorsque l’on sait que tant d’homme et de femmes
et d’enfants vivent avec une infirmité, un handicap
qui les confine dans la dépendance.
Bien sûr que la santé est importante, mais suffit-elle à
faire de nous des vivants ?
Ou dit autrement : bien sûr qu’il n’y a pas de vie
sans chromosome, sans gène, ni adn, mais tout ce
substrat biologique suffit-il à faire de nous des
vivants ?
Jésus à de multiples reprises dans les évangiles, vient
questionner ce que nous tenons souvent pour une
évidence.
Lorsque nous ouvrons les évangiles nous découvrons
en Jésus un homme qui s’est résolument tournés avec
beaucoup de délicatesse vers les malades, les
infirmes, les impurs, les pécheurs, bref vers tous ceux
et celles qui vivotaient plus qu’ils ne vivaient.
Tous ceux et celles qui étaient accablés par la vie et
qui désespéraient de la vie et de Dieu et des autres.
Jésus le sait bien : la vie cet élan pourtant
obstiné,
La vie cette force pourtant indocile,
la vie cette énergie pourtant infatigable,
la vie pourtant si prometteuse, ne tient parfois pas
ses promesses.
Comment être vivant, lorsque la vie ne tient pas ses
promesses …
C’est à ceux et celles qui se cognent à cette vie qui
ne tient pas ses promesses que Jésus s’adresse pour
leur redonner goût à la vie.
Beaucoup de nos contemporains et beaucoup de
chrétiens pensent que Dieu s’est fait chair pour nous
inviter à croire en une autre vie.
Une vie d’ailleurs par opposition à la vie d’ici et
maintenant.
Une vie d’au-delà par opposition à la vie d’ici-bas.
Une vie spirituelle par opposition à la vie charnelle
Et biologique.
Mais reconnaissons-le, si Dieu s’était fait homme
pour nous révéler cela,
alors il ne serait qu’un énième remake,
qu’une énième réplique,
qu’un énième copié-collé, de tant d’autres divinités,
de tant d’autres sages, de tant d’autres prophètes
qui depuis la nuit des temps se sont succédés pour
nous répéter que cette vie-ci n’était que
l’antichambre de la vie d’en-haut.
Que ce monde n’était que le vestibule du monde
à venir.
Que la vie terrestre n’était que la salle d’attente
De la vie céleste.
Mais la Parole faite chair n’est pas une énième
redite d’ancestrales croyances.
La Parole faite chair est inédite et inouïe.
C’est une Parole qui vient percuter, déchirer toutes
les paroles religieuses qui continuent à cannibaliser
nos esprits.
Mais qu’est venu nous dire Dieu d’inouï au sujet de la vie ?
Que la Vie est à chercher au cœur même de la vie.
Que la Vie véritable se loge même là où la vie ne
tient pas ses promesses.
C’est vrai nous ne choisissons rien de la vie.
Mais la Parole faite chair vient dire à chacun et
chacune que nous avons été choisis, désirés par un
Autre que nous.
Et que nous sommes toutes et tous – dans notre
singularité – précieux aux yeux de Dieu et de la Vie.
A savoir que chaque être vivant – dans sa
singularité – compte aux yeux de Dieu.
C’est une parole qui est religieusement impertinente,
effrontées, indocile, une Parole qui détonne
foncièrement avec notre manière pieuse de penser
Dieu, de croire en Dieu, lui que nous imaginons
volontiers ne prêter attention qu’à ceux et celles qui
lui font allégeance.
Avant les chromosomes, avant les gènes et les
mollécules … la Parole faite chair nous révèle qu’il y
a cette inclination divine première pour la vie, le
vivant et tous les Vivants.
Jésus incarne physiquement cette divine inclination
lorsqu’on le voit littéralement se pencher vers ceux
et celles qu’il rencontre ou qui viennent à lui.
A tous ceux-là qui ne croyait plus en la vie, Jésus
leur révèle que même dépouillés de tout, même
pauvres de tout, même cabossés de tout … ils n’en
sont pas moins dignes aux yeux de Dieu.
Une dignité que rien ni personne ne pourra leur
ravir.
Oui la vie est parfois injuste.
Oui, la mécanique complexe de la vie a parfois des
ratés des dysfonctionnements.
Oui parfois la vie ne tient pas ses promesses.
Mais ta dignité est acquise, le crois-tu ?
Lorsque Jean écrit qu’en la Parole faite chair était la
vie : il voulait dire que Jésus était doué pour susciter
ou re-susciter, pour engendrer cette confiance en
cette dignité première chez ceux et celles qui ne la
soupçonnaient pas.
« Choisir la vie » à la suite du Deutéronome, à la
suite de Jésus, c’est choisir de croire non pas en une
autre vie, mais de croire que qui je sois,
quoi que j’aie fait ou défait dans ma vie,
quoique j’aie réussi ou échoué dans ma vie,
que je sois bien portant ou malade,
debout ou grabataire,
je reste vivant !
Vivant de cette robuste et tenace dignité que Dieu
m’a accordée dès avant le commencement du
monde.
Dans le chœurs des églises et des Cathédrales, on se
retrouve autour de la table pour faire mémoire de
celui qui n’a cessé de vivre non pas d’abord pour la
santé, mais « pour la vie », lehaïm.
Amen
DEUTERONOME 30,15-20
Vois : je mets aujourd'hui devant toi la vie et le bonheur, la mort et le malheur, moi qui te commande aujourd'hui d'aimer le SEIGNEUR ton Dieu, de suivre ses chemins, de garder ses commandements, ses lois et ses coutumes. Alors tu vivras, tu deviendras nombreux, et le SEIGNEUR ton Dieu te bénira dans le pays où tu entres pour en prendre possession. Mais si ton cœur se détourne, si tu n'écoutes pas, si tu te laisses entraîner à te prosterner devant d'autres dieux et à les servir, je vous le déclare aujourd'hui : vous disparaîtrez totalement, vous ne prolongerez pas vos jours sur la terre où tu vas entrer pour en prendre possession en passant le Jourdain.
J'en prends à témoin aujourd'hui contre vous le ciel et la terre : c'est la vie et la mort que j'ai mises devant vous, c'est la bénédiction et la malédiction. Tu choisiras la vie pour que tu vives, toi et ta descendance, en aimant le SEIGNEUR ton Dieu, en écoutant sa voix et en t'attachant à lui. C'est ainsi que tu vivras et que tu prolongeras tes jours, en habitant sur la terre que le SEIGNEUR a juré de donner à tes pères Abraham, Isaac et Jacob.
JEAN 1,1-4
Au commencement était le Verbe,
et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu.
Il était au commencement tourné vers Dieu.
Tout fut par lui,
et rien de ce qui fut, ne fut sans lui.
En lui était la vie
et la vie était la lumière des hommes,
et la lumière brille dans les ténèbres,
et les ténèbres ne l'ont point comprise.
[1] Exception faite des jumeaux homozygotes.