Prédication du 30 juillet: Que dit-on lorsque l'on dit “dieu créateur“ ?

« Quelle personne intelligente considérera comme une affirmation sensée que les trois premiers jours, pour lesquels il est dit qu’il y eut un matin et un soir, existèrent sans soleil, sans lune et sans étoiles, alors qu’il n’y avait même pas de ciel le premier jour ? […] Personne ne doute qu’il s’agit là d’expressions figurées qui nous indiquent certains mystères au travers d’un semblant de récit historique. » 

Origène

 

Origène le Père de l’Église, théologien controversé écrit ce texte 200ans après la mort de Jésus.

 

Pour Origène le récit de la Genèse n’est pas un texte descriptif, factuel, historique mais symbolique, spirituel.

Origène pose les bases ici de ce que l’on va appeler l’herméneutique, la science de l’interprétation des textes.

 

Si Origène a besoin d’écrire cela noir sur blanc, c’est bien parce que la lecture littérale de la Genèse avait cours à son époque et qu’il la combat.

 

Alors même que nous n’accordons plus le moindre crédit scientifique au récit biblique de la Genèse, nous continuons néanmoins à confesser Dieu créateur.

Que disons-nous lorsque nous disons cela ?

 

Certain pensent que dire Dieu créateur c’est dire qu’il en est la cause première.

Qu’il en est à l’origine, on pourrait dire que Dieu se situerait en amont du Big bang.

 

Il y a deux récits de la création qui se suivent dans les premiers chapitres de la Genèse.

Deux récits différents qui ne concordent pas.

Deux récits dont les contenus ont été fortement influencés par la pensée mésopotamienne que l’élite juive a côtoyée pendant la déportation à Babylone.

Ces récits ne tombent pas du ciel. Ne viennent donc pas de nulle part. Ils empruntent certains motifs à ces autres récits fondateurs.

 

Le premier récit parle d’une création en sept jours couronné par la création de l’humain.

 

Le second dit que le monde a été créé en un jour et que l’homme y précède les végétaux et les animaux.

 

La seule juxtaposition de ces deux récits dans le texte suffit à comprendre que leur but n’est pas d’expliquer comment le monde, l’univers est soudain advenu.

 

Et pourtant, malgré Origène, c’est comme cela que l’on a très longtemps lu ces textes en Église et que d’aucuns continuent à les lire.

 

Au tout début du 16ème siècle Copernic, chanoine, docteur en droit canon, fait des observations astronomiques - quelques années avant Luther - qui laissent entendre que c’est la terre qui tourne autour du soleil et non l’inverse comme on l’avait toujours cru.

 

Depuis la Révolution Copernicienne les découvertes scientifiques n’ont cessé de s’accélérer.

 

Dans l’esprit de nos contemporains, plus d’ailleurs que dans celui des scientifiques eux-mêmes, ces découvertes spectaculaires et prodigieuses ont signé la fin abrupte et décisive de la religion.

 

Les connaissances acquises et sans cesse affinées depuis Copernic, Galilée, Newton, Darwin, Einstein … et tant d’autres ont périmé l’idée même de Dieu et l’on soupçonne les croyants d’être des personnes crédules, anachroniques, des reliques d’un passé révolu, des fossiles vivants.

 

Dieu a fait son temps !

Passons à autre chose.

 

C’est ce que dit un jour un scientifique, Pierre Simon Laplace, qui expose à Napoléon sa mécanique céleste.

Napoléon à la fin de la démonstration, s’étonne que Dieu n’ait pas été nommé.

Et Laplace de lui répondre :

 

« Je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse ».

 

Cela nous chiffonne sans doute de l’avouer mais Laplace avait raison.

« La science n’a pas besoin de l’hypothèse Dieu pour étudier, pour analyser et chercher à comprendre le monde ».

 

Toutefois les avancées de la science sont éminemment paradoxales.

Plus les connaissances augmentent, plus elles dévoient l’extraordinaire complexité du réel.

 

Au lieu de réduire le champ des incertitudes, celles-ci augmentent constamment.

 

Par exemple, la science a mis en évidence que les les variables qui sont supposées permettre l’émergence de la vie sont très nombreuses et leurs interactions très complexes.

Si bien que l’origine de la vie reste toujours un mystère.

 

Des croyants – bien intentionnés, de bonne foi dirait-on – se sont dit que cette complexité et l’étendue de notre méconnaissance justifiaient que l’on réintroduise l’hypothèse Dieu.

 

Dieu aurait été l’auteur de ce réglage, de cet agencement si prodigieux.

 

Mais chers amis, si Dieu est cela, alors il ne serait qu’un régleur comme celui dont le métier est

d’ajuster le fonctionnement d’une machine.

Le grand horloger.

 

Je vous le demande êtes-vous venu ici pour vous placer devant le grand horloger, le programmateur du monde ?

 

Je n’ai pas besoin de l’hypothèse de ce Dieu-là.

 

Ce Dieu ne serait qu’un machiniste, un opérateur.

Un technicien de coulisse.

 

Penser un Dieu machiniste, c’est finalement le réduire à une fonction assez triviale.

 

Que disons-nous lorsque nous disons « Dieu créateur » ?

 

Derrière cette expression, et derrière les récits de la Genèse, il faut je crois présumer un étonnement primordial de l’homme depuis qu’il a conscience d’exister.

Étonnement, ravissement devant son environnement, les astres, la terre nourricière, les autres êtres vivants qui cohabitent avec lui dans le monde.

 

Étonnement, mais pas que.

Il faut présumer derrière ces récits aussi une forme de perplexité primordiale de l’humain, une forme de déception, et peut-être même une forme de blessure, de traumatisme de l’humain devant ce qu’il expérimente comme des irrégularités de la nature, ou une sidération devant le mal qu’il éprouve ou qu’il commet.

 

Derrière ces textes, il y a du vécu.

Dès qu’il a conscience d’avoir été mis au monde, l’homme se demande ce qu’il y fait.

L’homme se demande s’il y a sa place.

Et s’il en a une, laquelle et comment l’occuper.

 

Autrement dit l’homme a la conscience d’exister mais il n’est pas tout à fait sûr d’être celui qu’il est appelé à être.

 

Autrement dit derrière les auteurs des textes bibliques il faut présumer un homme intrigué, non pas tellement par des « comment », ce qui est l’intrigue légitime qui traverse la science, mais par des « pourquoi ».

 

Pourquoi suis-je là alors que j’aurais pu ne pas y être ?

Pourquoi est-ce que j’existe ?

À quoi suis-je destiné ?

 

Et l’intrigue des « pourquoi » et non seulement aussi légitime que l’intrigue des « comment », mais ces deux intrigues doivent se conjuguer et non s’exclure.

 

La science est outillée pour démontrer comment réaliser la fission nucléaire.

Mais elle ne l’est pas pour répondre à la question de savoir s’il est bien de le faire ou non.

 

La science peut expliquer de quoi et comment la chaine d’ADN est constituée dans nos cellules, elle est même outillée pour modifier cette chaine, ce qui permet les fameux OGM.

Mais elle n’est pas outillée pour dire s’il faut le faire ou pas.

 

L’humain confesse, Dieu créateur non pas parce qu’il a besoin de lui pour expliquer le monde, mais parce qu’il croit que Dieu par son Esprit vient l’accompagner pour cheminer avec lui dans l’intrigue de ses « pourquoi ».

 

Je dis Dieu créateur non pas parce qu’il vient me révéler de quoi je suis fait, mais à quoi je suis appelé.

 

Je ne crois pas en Dieu parce qu’il existe. Ce qui est invérifiable.

Mais je crois en Dieu parce qu’il m’appelle à mon humanité.  Amen