Prédication du 3 septembre, Davel: héros, traître, martyr, illuminé?

 

Matthieu 5 : 21 à 24

« Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : Tu ne commettras pas de meurtre ; celui qui commettra un meurtre en répondra au tribunal. 

Et moi, je vous le dis : quiconque se met en colère contre son frère en répondra au tribunal ; celui qui dira à son frère : “Imbécile” sera justiciable du Sanhédrin ; celui qui dira : “Fou” sera passible de la géhenne de feu. 

Quand donc tu vas présenter ton offrande à l’autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande, devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère ; viens alors présenter ton offrande.

 

Impulsions théologiques

Jésus était un empêcheur de tourner en rond. Qui ne se satisfaisait jamais de ce que ce que la majorité considérait comme une évidence.

 

« Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens… moi, je vous dis »

Quand Jésus commence à parler ainsi, c’est parti pour une radicalisation des propos communément admis. Une radicalisation qui induit un total renversement des valeurs. Du style : « Vous avez appris qu’il a été dit : « Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi.  Et moi, je vous dis : Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent. »

 

Dans le récit de ce matin, Jésus s’attaque à l’interdiction du meurtre.

Jusque-là, rien à redire. Je pense qu’on peut tous y souscrire. Ce n’est pas incongru dans notre société démocratique, contrairement à d’autres.

 

Mais se retrouver au tribunal au prétexte que l’on s’est mis en colère contre quelqu’un, qu’on l’a traité d’imbécile ou de fou… ça paraît un brin excessif malgré la tendance à la judiciarisation qui gagne aussi notre société.

 

Alors, pourquoi ? Pourquoi Jésus va-t-il si loin dans ses propos ? Au risque d’être incompris ?

 

Probablement parce qu’il se situe à un point de rupture par rapport au judaïsme. Du coup, il fait ce que fait tout réformateur. Il conteste une certaine compréhension de la loi, plus largement de la tradition, pour en proposer une autre.

 

Ce qu’il met en cause ici, très concrètement, c’est l’infaillibilité de la loi. Parce que, défend-il, ne pas toucher la loi de Moïse sous prétexte qu’elle est la parole de Dieu, c’est en faire un tabou, donc une idole. Or, les idoles doivent être brisées.

 

Pour Jésus, la loi souffre quand elle est comprise comme quelque chose de figé, d’intouchable.

Pour Jésus, la loi demande, encore et toujours, à être interprétée car son rôle ne consiste pas tant à maintenir l’ordre qui a prévalu jusque-là, qu’à établir les règles permettant un vivre-ensemble fécond aujourd’hui et demain.

 

Autrement dit, ne pas tuer son prochain, c’est bien. Mais c’est insuffisant.

Non seulement il ne faut pas le tuer, mais il ne faut pas le blesser.

Non seulement il ne faut pas le blesser physiquement, mais il ne faut pas non plus le blesser spirituellement ou moralement.

Non seulement il ne faut pas non plus le blesser spirituellement ou moralement, mais encore faut-il l’aimer et en prendre soin.

 

En radicalisant certains termes de la loi, en détournant la perspective communément admise, Jésus nous rappelle que la loi est au service de l’humain, et pas l’inverse.

 

« Quand donc tu vas présenter ton offrande à l’autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande, devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère. »

Telle est la manière dont Jésus interprète la loi mosaïque qui dit « Tu ne commettras pas de meurtre ».

 

La majorité bien-pensante de son époque l’a condamné pour cette liberté.

 

Pour ma part, j’aime à réaliser que Jésus a choisi de faire violence au texte. Pour éviter de faire violence à autrui.

 

La vie de Davel à l’aune de l’évangile par Antoine Rochat

« Va d’abord te réconcilier avec ton frère ». Cette injonction du Christ à ses disciples, à ses auditeurs de l’époque et à ceux de tous les temps, jusqu’à aujourd’hui, nous fait penser au discours du Major Davel sur l’échafaud, le 24 avril 1723 à Vidy, devant la foule nombreuse qui l’écoute « religieusement », si j’ose dire.

 

Relevons d’abord le fait curieux, voire tout à fait extraordinaire, qu’un condamné à mort pour rébellion ait obtenu le droit de s’adresser à la foule, à condition cependant qu’il ne « prononce aucun mot » contre Leurs Excellences de Berne ! Selon les témoignages de l’époque, le discours de Jean Daniel Abraham Davel a fortement impressionné ses auditeurs.

 

Le premier point soulevé par le Major, lorsqu’il parle à ses compatriotes, c’est la multiplication des procès. Je vous cite deux extraits :

 

Je vous exhorte, tous autant que vous êtes, qui m’écoutez, d’éviter soigneusement les procès, qui sont si contraires à l’esprit du christianisme. Ce pays en est affecté plus qu’aucun autre, par la faute de ceux qui devraient y mettre ordre…

 

La misère du pays, causée par les procès, a réduit les paysans à une très grande indigence. Ils ont été obligés de s’endetter, et leurs créanciers, sans aucune compassion, leur ôtent jusqu’aux choses les plus nécessaires à la vie.

 

Avant et après sa fameuse carrière militaire, le Major Davel était notaire. Dans ses actes, nous avons trouvé plusieurs contrats d’arbitrage, destinés à mettre fin à des procès en cours. On peut donc dire que Davel a mis en pratique cette parole de Jésus : « Va d’abord te réconcilier avec ton frère ».

 

Revenons au discours sur l’échafaud. D’une manière qui nous surprend encore aujourd’hui, comme elle a dû surprendre ses auditeurs d’il y a trois siècles, Davel ne se plaint aucunement de son sort, mais il l’accepte au contraire sereinement, dans une foi sincère. Je vous cite un nouvel extrait de la fin du discours :

 

Je sens au-dedans de moi l’amour de Dieu, et son secours qui me soutient dans ces derniers moments, après m’avoir conduit et protégé pendant tout le cours de ma vie. Je prie Dieu que ma mort vous soit utile et salutaire pour le redressement, non seulement de tous les abus que je vous ai marqués, mais aussi de tous ceux que j’ai indiqués à Messieurs les ministres et qu’ils auront soin de vous représenter.

 

Tombé dans un relatif oubli au 18e siècle, le Major Davel a été en quelque sorte réhabilité aux deux siècles suivants. Grâce à Frédéric César de La Harpe, une plaque commémorative a été posée dans le transept nord de cette Cathédrale en 1839 ; puis elle a été surmontée un siècle plus tard, en 1932, par un vitrail du peintre Charles Clément, qui évoque la vie et la mort du Major en quatre tableaux. Cette plaque et ce vitrail sont toujours visibles à l’heure actuelle.

 

En cette année du tricentenaire de sa disparition, que reste-t-il de Jean Daniel Abraham Davel ? Je retiens cette parole du Christ, qui lui correspond bien : « Va d’abord te réconcilier avec ton frère ».

Amen

 

Matthieu 26 : 36 à 39

Alors Jésus arrive avec eux à un domaine appelé Gethsémani et il dit aux disciples : « Restez ici pendant que j’irai prier là-bas. » 

Emmenant Pierre et les deux fils de Zébédée, il commença à ressentir tristesse et angoisse. 

Il leur dit alors : « Mon âme est triste à en mourir. Demeurez ici et veillez avec moi. » 

Et allant un peu plus loin et tombant la face contre terre, il priait, disant : « Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! Pourtant, non pas comme je veux, mais comme tu veux ! » 

 

Impulsions théologiques

Jésus a connu la peur.

Jésus a connu la tentation de la fuite.

 

Il a même connu la fuite. Tout petit.

Lorsqu’averti en songe, son père Joseph l’a conduit avec sa mère en Égypte pour échapper à la folie meurtrière d’Hérode qui tremblait pour son trône.

Comme j’aimerais que cette époque des monarques tyrans inquiets de leur pouvoir plus que de leur peuple soit révolue…

 

Jésus, donc, a connu la tentation de la fuite.

Cette volonté si humaine de vouloir échapper à ce que l’on sent arriver, de façon inéluctable : une maladie, une rupture, un clash professionnel, … en l’occurrence, la mort.

 

Certes, la mort est la seule certitude commune à tous les vivants. Elle est inscrite à notre agenda dès notre premier souffle, et même avant déjà.

Certes, nul ne sait ni le jour ni l’heure… même si ça n’est plus tout à fait vrai aujourd’hui, pensons aux suicides assistés.

 

Il y a néanmoins des moments où on sent la mort s’approcher et où l’on cherche à l’éloigner. Ne serait-ce qu’un peu…

 

Dans le jardin de Gethsémani, Jésus a eu peur.

Il a douté.

Il a connu la tentation d’esquiver.

Il a finalement assumé : « Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! Pourtant, non pas comme je veux, mais comme tu veux ! »

 

Que nous dit cette attitude ? Les théories sont nombreuses. Aujourd’hui, je retiens ceci.

 

En ne cherchant pas à éviter ce qui arrive inexorablement, Jésus incarne non pas un Dieu qui se munit d’une baguette magique pour soustraire l’humain à la réalité. Mais un Dieu qui est aux côtés de l’humain dans tout ce qu’il traverse.

 

La tentation est grande, au nom d’un Dieu Tout-Puissant, d’imaginer qu’il puisse empêcher le déroulement de l’histoire. Qu’il puisse stopper le malheur qui arrive.

 

Il ne m’appartient pas de juger les personnes qui prient en ce sens.

Mais il y a quelque chose de diabolique, au sens étymologique du terme, à penser cela.

Est diabolique ce qui sépare, ce qui divise.

Les humains entre eux.

Les humains d’avec Dieu

Les humains de leur réalité.

 

Penser que Dieu puisse empêcher le malheur d’arriver, qu’il puisse stopper une guerre, faire cesser les famines, c’est irresponsable.

C’est à nous de nous y atteler.

Sans doute avec son aide.

Mais ce n’est en tout cas pas à lui d’assumer, sans nous.

 

Et puis, ce type de pensée est criminel à l’égard de celles et ceux qui sont victimes de ce genre de contre-vérité. Celles et ceux qui prient pour avoir à manger, à boire, un toit… et qui ne sont pas exaucés.

 

Nos vies comportent toutes leurs lots de douleurs et d’évènements non désirés.

Par son attitude, Jésus nous encourage à faire face, même en tremblant, même fragilement. Il nous encourage à faire face plutôt qu’à fantasmer une réalité qui n’est pas.

 

Et puis, en prenant avec lui des amis, qui certes ont la fâcheuse tendance à s’endormir, il nous montre le chemin de la solidarité. Lorsqu’auprès ou au loin, d’autres sont touchés.

Solidarité active.

Solidarité priante.

 

La vie de Davel à l’aune de l’évangile par Vincent Grandjean

Dieu avait pris place sur la route de Davel, à ses côtés, et même plus : juste devant lui.

En ce tricentenaire du martyr (oui : du martyr) et de la mort de Davel, il faut revenir sur la dimension profondément chrétienne du geste patriotique du Major Davel. C’est le moment ; c’est le lieu !

Et il ne s’agit pas de perdre du temps sur la mesure de la part de mysticisme qui pourrait caractériser le héros : des témoins et des auteurs ont dissipé la confusion née du fruit d’une imagination certes vive et ardente du personnage mais qui cohabitait en harmonie avec sa raison claire et déterminée.

Sa foi en son Dieu chrétien est constante et sans démesure.

Les paroles prononcées au moment du supplice final sont limpides et se passent de toute exégèse : « Je sens en dedans de moi l’Amour de Dieu, et son secours, qui me soutient dans ces derniers moments  après m’avoir conduit et protégé, pendant tout le cours de ma vie. Je prie Dieu que ma mort vous soit utile … ».

La légende nous montre un Davel épargné par le doute et la peur. En réalité, il a certainement éprouvé de tels états d’âme, comme Jésus. Mais pas à l’heure de l’exécution où sa sérénité confond chacun et en dit long sur la force, chez lui, de l’espérance.

Ses derniers mots sont une prière non pour lui mais pour les autres.

Dieu, nous dit-il, le « soutient », l’a toujours « protégé » et surtout : l’a « conduit » en tout temps.

Dieu fut son guide.

Sous la plume d’un auteur, Davel « n’avait rien fait que par vocation divine ».

Dieu n’a pas conçu le plan de Davel. Davel n’attendait pas qu’une baguette magique divine fît le travail par enchantement. Mais Dieu, en acceptant de guider Davel sans désemparer, en assuma le dessein ; il le justifia. « Non seulement Je te soutiens, mais Je te conduis ».

Et sans cette conduite, l’acte reconnu après coup comme patriotique serait-il advenu ?

Celui qui a guidé Davel ne l’a pas égaré et l’Histoire s’est appliquée à le montrer. En effet, si un jugement politique a logiquement chargé Davel du crime de haute trahison en 1723, le bienfondé des griefs de Davel contre le régime bernois n’a pas tardé à être dûment reconnu. Et après de longues années d’oubli, ce n’est pas la figure du traître qui a réapparu, mais bien celle d’un héros, d’un précurseur incompris, en avance sur l’Histoire, avant de devenir LE héros du canton de Vaud.

La question d’une réhabilitation formelle parait quelque peu accessoire face à tout cela. Héros il est, héros il restera dans la mémoire collective. Un héros chrétien, il faut le souligner encore et encore, d’autant plus que les commémorations officielles en font peu de cas.

Non pas un martyr chrétien stricto sensu car il n’a pas été sacrifié pour sa foi, mais un martyr croyant, au plus profond de son âme et da sa chair. Il convient d’affirmer la dimension chrétienne de l’œuvre de Davel, assumer cela, honorer ce chrétien exemplaire, comme l’ont fait , avec courage et en s’attirant les foudres de Leurs Excellences de Berne,  le pasteur qui se tenait aux côtés de Davel sur l’échafaud en le recommandant à la protection de Dieu, et celui qui a prêché ici même, dans cette cathédrale, au lendemain de la mise à mort du Major Davel.