Prédication du 3 août, "Suivre Jésus, à quel prix?"

Suivre Jésus, à quel prix ?, par Line Dépraz, pasteure

 

Les deux récits que nous venons de réentendre évoquent, avec relativement peu de nuance, ce qui apparaît comme un impératif pour le Dieu d’Abraham et de Jésus-Christ : la capacité de l’être humain à se laisser déplacer.

 

Sa capacité à être mis en route.

À partir.

Quitter la terre de son père, son chez-soi, ses coutumes, ses habitudes.

Partir sans se retourner.

Partir toutes affaires cessantes… Pas même le temps d’enterrer les siens. Quand on sait l’importance des rites funéraires dans toutes les religions, ainsi formulées, ces injonctions ont quelque chose de lapidaire. Voire de heurtant.

 

Et pourtant, dans un cas comme dans l’autre, que ce soit avec Abraham ou Jésus, j’avoue ne pas comprendre en quoi il y a urgence de partir, de se mettre en route.

 

Pas de typhon ni de nuage de sauterelles annoncés. Pas d’envahisseur à portée de vue. Alors certes, Jésus entame son chemin vers Jérusalem. Mais, malgré cela, le quotidien se déroule sans heurts. Un jour après l’autre, comme chaque jour depuis le début de son ministère. En gros, y a pas le feu au lac, comme on dit chez nous.

 

Alors pourquoi les textes bibliques disent-ils ce sentiment d’urgence, cette précipitation ?

Qu’y a-t-il de si noble dans la mise en route immédiate ?

La sédentarité serait-elle dangereuse ?

 

Ce sont les questions qui m’ont saisie en reprenant ces récits. Et j’avoue que ça m’ennuierait un peu que l’étude des textes confirme que la sédentarité est dangereuse, parce que la mienne (de sédentarité) me convient plutôt bien.

 

Cela dit, c’est probablement ce que la majorité des personnes forcées à quitter leur pays et leur maison ont pensé, avant d’être contraintes à prendre les routes de l’exil.

 

En pensant à ces personnes et aux divers chemins de migration, c’est à Abraham que je reviens pour commencer ; Abraham au moment de sa mise en route.

 

Pourquoi Dieu lui demande-t-il de quitter la terre de ses ancêtres pour aller vivre, tel un nomade, dans un pays a priori moins hospitalier ? Quel est le but de cette demande, de cette démarche ?

 

Avec plusieurs commentateurs, je crois que Dieu initie cette démarche parce qu’il sait que quand l’humain est installé, il a tendance à devenir idolâtre. Être idolâtre se manifeste par toutes sortes d’essais pour se fabriquer le dieu qui nous convient. Pensez au veau d’or.

 

Création d’un dieu à notre taille, à notre mesure. Un dieu qui nous rassure, qui nous conforte dans nos croyances, qui nous maintient dans nous habitudes. Un Dieu que nous maîtrisons. Au risque de ne plus nous laisser surprendre par Celui qui est toujours surgissement. Celui qui, par excellence, est libre. Car le tout-Autre créateur est forcément aussi le tout-libre.

 

Le Dieu d’Abraham, ce tout autre empreint de liberté, de mouvement, de dynamisme, ne peut pas être le dieu d’un homme idolâtre, aliéné qui s’invente son propre dieu pour le contenir.

 

Si Dieu a créé l’être humain à son image, c’est bien parce qu’il souhaite que chacune et chacun demeure souple. Libre dans sa tête. Nomade sur cette terre.

 

C’est une des raisons pour lesquelles, vous vous en souvenez peut-être, chaque Juif installé en terre promise, devait donner, une fois, l’an les prémices de ses récoltes. Un rappel que le lieu où il est installé et qu’il pense être sien du fait qu’il s’y est installé et le cultive, ne lui est jamais que prêté par Dieu.

 

Jésus s’inscrit dans cette même dynamique.

 

« Le Fils de l'homme n'a pas où poser la tête. » « Laisse les morts enterrer leurs morts. » « Quiconque met la main à la charrue, puis regarde en arrière, n'est pas fait pour le Royaume . »

 

Bon. À l’évidence, en prononçant ces mots, Jésus n’attend pas de nous que nous les prenions au premier degré.

 

Aucun mort ne saurait enterrer un autre mort.

 

Et Jésus n’est qu’à moitié honnête quand il dit ne pas avoir de lieu où poser sa tête. Le récit nous précise qu’il anticipait suffisamment ses besoins durant ses déplacements pour avoir envoyé des messagers, en avance, préparer sa venue.

On sait par ailleurs qu’il avait quelques points de chute qui lui étaient chers, dont Béthanie et Capernaüm.

 

Cela dit, si Jésus nous encourage bel et bien à la mobilité, c’est peut-être plus à celle de l’esprit et du cœur qu’à celle du corps qu’il fait allusion.

 

Jésus était incroyablement libre dans sa tête et alerte dans son cœur. C’est, pour une large part, ce qui lui a valu l’engouement du peuple, puis sa condamnation.

 

Il était libre dans sa tête et dans son cœur, dans le sens où il ne se satisfaisait pas d’arguments convenus pour diriger sa vie et déterminer ses actions.

Une tradition, une habitude ou une coutume ne faisait pas sens dans une situation donnée, il développait alors sa propre pensée dans le but, toujours, d’offrir un surplus de vie.

 

Aimer son prochain, c’est bien. Mais ça ne mange pas de pain.

Aimer son ennemi, voilà ce à quoi il faut s’attacher pour sortir du cercle vicieux et infernal de la violence.

 

Vous pensez que tout évènement a une cause et que toute cause a son explication. Mais moi je vous le demande : au nom de quoi faudrait-il imputer la cécité d’un enfant au péché de ses parents ?

 

Le bien qui nous arrive, est-il mérité ?

Le bonheur se mérite-t-il ?

La vie est-elle un don ou un dû ?

 

Si Jésus n’avait pas été le prédicateur et le “pasteur“ (j’ose le terme) que l’on sait, peut-être se serait-il contenté d’être un poil à gratter, semant le doute dans nos évidences.

 

Il a passé sa vie à marcher. C’est un fait.

 

Il n’a surtout accordé aucun repos à sa capacité de penser, et d’agir en conséquence.

 

Et il n’a eu de cesse d’encourager celles et ceux qu’il croisait à penser par eux-mêmes.

 

En ce sens, il les a littéralement éduqués.

 

Éduquer, du latin ex-ducere, conduire hors de.

Extraire toute personne des sentiers battus pour qu’elle trouve sa propre voie.

 

Jésus connaissait cette tendance à la sédentarité et à l’idolâtrie qui nous guette tous : pas tant le fait d’être bien chez soi, que le fait de se retrouver pieds et poings liés par des habitudes dans lesquelles nous nous installons comme dans autant d’évidences.

 

Des habitudes qui, si nous n'y prêtons pas garde, nous formatent peu à peu, nous sclérosent, nous empêchent d’être toujours et encore surpris par ce qui advient.

 

Ne plus être surpris, c’est ne pas prendre le risque d’être déçus. Mais c’est aussi s’interdire l’émerveillement. Tout comme la colère, la révolte, l’indignation.

 

Dieu sait pourtant que la marche du monde a besoin de nos émotions. Il y a suffisamment de cyniques et d’indifférents qui laissent le mal proliférer.

 

Se réclamer du Christ, marcher à sa suite, c’est avoir pour horizon l’espérance à laquelle Dieu nous invite en l’incarnant à notre manière. 

 

Pour décrire le mouvement de cette espérance, j’emprunte des mots à la règle des diaconnesses protestantes de Reuilly.

 

« Deviens vivante et reste vivante.

L’Esprit de Dieu t’invente à tout instant.

Repousse la tentation de t’immobiliser dans les choses comprises, même parmi les plus grandes et les plus belles.

 

Reçois chaque jour le don de la nouveauté de Dieu et de tes frères.

 

Donne force et stabilité à ton engagement, mais ne l’enferme pas dans des formules ou des habitudes dépourvues de vie.

 

Les cellules de ton corps, à tout instant, se modifient, et l’ordre du monde se découvre sans cesse.

 

Comment la vie divine que t’infuse l’Esprit serait-elle moins créatrice ?

 

Avance vers ce Dieu toujours plus grand, ce Dieu sans frontières.

 

Il t’a enclose dans des limites mais leur espace est si vaste que tu n’en feras pas le tour sur cette terre. »

 

Amen

 

Lecture de Genèse 12 : 1 à 4

Le SEIGNEUR dit à Abram : « Pars de ton pays, de ta famille et de la maison de ton père vers le pays que je te ferai voir.

Je ferai de toi une grande nation et je te bénirai.

Je rendrai grand ton nom. Sois en bénédiction.

Je bénirai ceux qui te béniront, qui te bafouera je le maudirai ; en toi seront bénies toutes les familles de la terre. »

Abram partit comme le SEIGNEUR le lui avait dit, et Loth partit avec lui.

Abram avait soixante-quinze ans quand il quitta Harrân. 

 

 

Lecture de Luc 9 : 51 à 62

Or, comme arrivait le temps où il allait être enlevé du monde, Jésus prit résolument la route de Jérusalem. 

Il envoya des messagers devant lui. Ceux-ci s'étant mis en route entrèrent dans un village de Samaritains pour préparer sa venue. Mais on ne l'accueillit pas, parce qu'il faisait route vers Jérusalem. Voyant cela, les disciples Jacques et Jean dirent : « Seigneur, veux-tu que nous disions que le feu tombe du ciel et les consume ? » Mais lui, se retournant, les réprimanda. Et ils firent route vers un autre village.

Comme ils étaient en route, quelqu'un dit à Jésus en chemin : « Je te suivrai partout où tu iras. » Jésus lui dit : « Les renards ont des terriers et les oiseaux du ciel des nids ; le Fils de l'homme, lui, n'a pas où poser la tête. »

Il dit à un autre : « Suis-moi. » Celui-ci répondit : « Permets-moi d'aller d'abord enterrer mon père. » Mais Jésus lui dit : « Laisse les morts enterrer leurs morts, mais toi, va annoncer le Règne de Dieu. »

Un autre encore lui dit : « Je vais te suivre, Seigneur ; mais d'abord permets-moi de faire mes adieux à ceux de ma maison. » Jésus lui dit : « Quiconque met la main à la charrue, puis regarde en arrière, n'est pas fait pour le Royaume . »