« la nouveauté comme héritage. »
Ces derniers jours, je me suis demandé si Jésus n’avait pas de quoi être jaloux de Charlie Dalin.
Vous le connaissez maintenant tous, même si c’est Justine Mettraux qui fait parler d’elle ce week-end. Charlie Dalin, c’est le marin, un peu taciturne, qui vient de gagner le Vendée Globe en explosant le record.
Si vous avez suivi cette actualité-là, vous avez forcément vu et entendu la liesse avec laquelle il a été accueilli aux Sables-d’Olonne…
… Un accueil digne d’un grand héros. Dont on est particulièrement fier quand on peut dire « Il est de chez nous ». Parce qu’alors, on a toujours l’impression que le succès du héros rejaillit un peu sur nous.
Les fans suisses de ski vivent la même sensation depuis plusieurs semaines. Merci Odermatt, Meillard, Rast et j’en passe. Le ski suisse à son apogée, c’est un peu la Suisse son apogée.
Le point commun avec Jésus et l’évangile entendu, me direz-vous ?
Et bien en fait, ce n’est pas tant ce qu’il y a en commun qui me titille, que ce qui distingue ces différents évènements. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que Nazareth, ça n’est vraiment pas les Sables-d’Olonne.
Alors que l’évangéliste Luc nous relate les tout débuts du ministère public de Jésus, sa renommée montante, son retour chez lui, à Nazareth, là où tout le monde aurait pu s’extasier de l’avoir connu petit et de le découvrir si grand, si grandi par la vie, l’accueil est loin d’être chaleureux. On assiste plutôt à une curiosité froide et polie.
Certes, on lui fait une place lors du service à la synagogue. Mais comme on l’aurait fait à n’importe quel autre homme. Et si sa renommée l’a effectivement précédé, on donne plus l’impression de l’attendre au contour que d’attendre quelque chose de lui.
C’est bizarre.
Pourquoi cette retenue, cette froideur ?
Qu’est-ce qui se joue dans ce retour de Jésus à Nazareth et dans sa participation à l’office qui soit pareillement source de crispation ?
Probablement sa relation à Dieu, aux écritures et à la tradition.
Parce que dans les faits, et sous des airs de ne pas y toucher, Jésus initie ici un changement de fond pour ne pas dire une révolution.
Souvenez-vous, à son époque, les synagogues sont nombreuses. Elles ont différents rôles. On y prie, bien sûr, chaque semaine à l’occasion du sabbat ou des fêtes. On y lit la bible. On la commente. Les synagogues servent parfois de lieux d’enseignement et même de lieux de confrontation dans l’interprétation des Écritures.
Ce jour-là, Jésus a agi comme tout autre homme de la communauté aurait pu le faire. Il se propose pour lire la bible.
Il est, en ce sens, pleinement dans sa tradition. Dans ce que l’on attend de lui.
Là où il s’écarte des habitudes, c’est qu’après la lecture, il ne va pas la commenter. Ce que l’assemblée attend, en le regardant intensément, précise l’évangéliste. Les personnes présentes attendent un commentaire qui, si Jésus est plutôt bon, va les nourrir pour la semaine.
Or Jésus ne commente pas.
Il actualise.
Il actualise en annonçant : « Aujourd’hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l’entendez. » Point.
En parlant ainsi, Jésus affirme qu’Ésaïe et sa prophétie ne sont plus contenus ni dans le passé que les auditeurs connaissent, et vers lequel ils se tournent pour en discerner les signes actuels.
Ni dans le futur qu’ils espèrent sans trop y croire. Parce que tout le monde voulait que la prophétie se réalise mais nul n’osait espérer que ce serait de son vivant.
Or, Jésus l’affirme : la prophétie d’Ésaïe, c’est ici et maintenant qu’elle se joue.
Et cela signifie effectivement qu’il faut cesser de se tourner vers le passé ; ou, plus précisément, qu’il ne s’agit pas de vouloir faire “comme avant“ pour que la prophétie “dite avant“ se réalise enfin.
Mais cela signifie aussi qu’il n’y a pas besoin d’attendre un autre temps, d’espérer de meilleures conditions, pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres, proclamer aux captifs la libération, aux aveugles le retour à la vue, aux opprimés la liberté, etc.
Le temps, pour tout cela, c’est ici et maintenant.
Si vous étiez là la semaine dernière dans la relecture des noces de Cana avec l’intervention de Marie, c’est à nouveau la notion de kairos, de moment favorable, de moment opportun qui est mise en évidence.
La question qui demeure néanmoins, c’est pourquoi un accueil si froid, alors que l’accomplissement de cette prophétie, tous l’attendaient ? Tous l’espéraient ?
Tentatives de réponses en 3 temps :
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Peut-être parce que tous les aveugles n’ont pas retrouvé la vue et que tous les captifs ne sont pas libres.
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Sans doute parce que l’image que les gens ont de Jésus, eux qui l’ont connu petit, ne correspond pas à ce qui est attendu du Messie. On sait combien c’est piégeant de coller des étiquettes aux gens. Parce qu’on n’arrive plus à les sortir des catégories dans lesquelles on les a rangés.
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Probablement aussi parce qu’il y a des espérances qu’il est plus facile de conjuguer au futur qu’au présent.
Comme moi, vous avez peut-être déjà vécu cette mise en abîme, quand un évènement longtemps attendu est sur le point de se produire. La peur de ne pas être à la hauteur dans ce qui nous incombe ; la crainte que ça ne soit pas aussi génial qu’espéré dans ce qui nous est offert.
Voilà pour des esquisses de réponse.
Mais, pour comprendre plus finement ce qui se joue à Nazareth, je vous propose de revenir à cette curieuse juxtaposition des deux extraits de l’évangile proposés par le lectionnaire.
Ces deux récits ont pour point commun d’évoquer un commencement, donc a priori quelque chose de complètement neuf. Mais, en même temps, ils mettent en exergue une continuité, une tradition préexistante.
Dans son introduction à Théophile, Luc n’a pas la prétention de raconter quelque chose d’inédit, d’inoui. Il se reconnaît dépositaire d’une tradition, héritier de récits déjà entendus, qu’il va re-raconter à frais nouveaux. Comme s’il avait un besoin impérieux de raconter des faits connus avec ses propres mots, avec sa propre appréciation.
Une manière subtile de nous rappeler que la transmission de la bonne nouvelle ne saurait se résumer à la simple répétition de ce qui est connu. Encore faut-il l’habiter.
Au seuil de son ministère, Jésus est dans une démarche analogue.
Il se sait héritier d’une tradition. Mais il ne saurait se satisfaire de comprendre la tradition comme la morose répétition du même.
Son héritage, Jésus ne le serine pas ; il l’incarne. Et c’est parce qu’il l’incarne, qu’il l’accomplit ici et maintenant.
La tradition juive est une longue tradition d’attente à laquelle Jésus met fin avec ses paroles. On peut comprendre le malaise de ses auditeurs.
Mais ne nous y trompons pas. En agissant ainsi, ce n’est pas la tradition que Jésus met à mal. Ce sont les traditionnalistes. Eux qui estiment systématiquement, que ce n’est jamais tout à fait le bon moment pour…
Aux yeux de Jésus, dans sa tête, dans son esprit, dans son corps, dans son cœur, de par sa mission reçue du Père, c’est le bon moment pour…
Ce jour-là, à Nazareth, Jésus a accompli une prophétie en l’incarnant.
Désormais, ses mots ne cessent de se décliner au présent. Lorsque nous lisons les Écritures, leur accomplissement est encore et toujours pour maintenant.
Et je crois qu’accomplir la parole de Dieu à la suite de Jésus, c’est faire de nos vies des évangiles. C’est-à-dire des lieux où la bonne nouvelle s’incarne jour après jour, grâce à l’Esprit, malgré nos faiblesses, nos fragilités, nos inconséquences, nos peurs.
Accomplir la parole de Dieu, c’est l’incarner coûte que coûte.
Et ne pensez pas que c’est impossible.
En Christ, nous sommes devenus des enfants de Dieu.
En Christ, nous sommes déjà ressuscités de toutes nos morts, nos faiblesses, nos craintes, nos péchés, nos lâchetés.
En Christ, nous avons été rendus capables d’accomplir la bonne nouvelle et son lot de bénédictions.
Amen
Lecture d’ésaïe 61 : 1 à 4
Le souffle du Seigneur Dieu est sur moi, car le Seigneur m’a conféré l’onction.
Il m’a envoyé porter une bonne nouvelle aux pauvres, panser ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux captifs leur libération et aux prisonniers leur élargissement ;
proclamer pour le Seigneur une année de faveur et pour notre Dieu un jour de vengeances ;
consoler tous ceux qui sont dans le deuil, rétablir les gens de Sion qui sont dans le deuil, mettre sur leur tête une parure splendide au lieu de la cendre, une huile de gaieté au lieu du deuil, un vêtement de louange au lieu d’un esprit qui vacille, afin qu’on les appelle « Térébinthes de la justice », « plantation du Seigneur », pour montrer sa splendeur.
Ils rebâtiront les ruines d’autrefois, ils relèveront les lieurs dévastés du passé ; ils restaureront des villes désertes, dévastées de génération en génération.
Lecture de Luc 2 : 1 à 4 et 4 ; 14 à 21
Puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit des évènements accomplis parmi nous, d’après ce que nous ont transmis ceux qui furent dès le début témoins oculaires et qui sont devenus serviteurs de la parole, il m’a paru bon, à moi aussi, après m’être soigneusement informé de tout à partir des origines, d’en écrire pour toi un récit ordonné, très honorable Théophile, afin que tu puisses constater la solidité des enseignements que tu as reçus.
Alors Jésus, avec la puissance de l’Esprit, revint en Galilée, et sa renommée se répandit dans toute la région. Il enseignait dans leurs synagogues et tous disaient sa gloire.
Il vint à Nazara où il avait été élevé. Il entra suivant sa coutume le jour du sabbat dans la synagogue, et il se leva pour faire la lecture. On lui donna le livre du prophète Ésaïe, et en le déroulant il trouva le passage où il était écrit : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a conféré l’onction pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté, proclamer une année d’accueil pour le Seigneur. » Il roula le livre, le rendit au servant et s’assit ; tous dans la synagogue avaient les yeux fixés sur lui. Alors il commença à leur dire: « Aujourd’hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l’entendez. »