Prédication du 26 février, Des armes aux larmes

La vie n’est pas un conte de fée. La bible n’en est donc pas un, elle non plus.

Alors que nous entrons dans le temps de la Passion qui annonce pour Jésus le début de la fin, nous remontons aujourd’hui aux tout premiers jours de sa vie, dans un épisode qui, déjà, aurait pu être le début de la fin : l’exil de sa famille en Égypte et le massacre des enfants de Bethléem.

Un triste épisode qui nous rappelle que trop souvent, nous sommes confrontés à 2 sœurs jumelles, voire siamoises tant il peut être difficile de les séparer : la vie et la violence.

La vie : Jésus vient tout juste de naître…

La violence : Hérode ordonne le massacre des enfants de Bethléem. Parce qu’il a entendu dire qu’un nouveau roi était né et qu’il craint pour son trône.

Cette sombre tragédie nous en rappelle une autre, quelque 15 siècles plus tôt. Vous vous en souvenez probablement. Dans cette même Égypte, où un autre Joseph avait été emmené pour échapper à la violence de ses frères, Moïse naissait alors que Pharaon, lui aussi guidé par la peur, ordonnait l’extermination des enfants hébreux.

Deux exemples de massacres. De massacres de masse qui semblent s’acharner à vouloir tarir la source de la vie en s’en prenant aux plus petits. Pourtant, penché au-dessus d’un berceau, qui dirait d’un nouveau-né qu’il est une bombe à retardement ?

Mais le fait est que, depuis le début de l’humanité, la peur enfante la violence, au-delà de toute raison. On attaque pour ne pas être attaqué. Oubliant au passage qu’en écrasant autrui, on écrase aussi toujours une part de soi.

Quand le Qohélet égrène les différents temps qui colorent toute vie, on peut entendre ses mots de diverses manières.

Très souvent, c’est une lecture fataliste qui est faite. On pourrait retraduire en disant : la roue tourne, après la pluie le beau temps, tout vient à point pour qui sait attendre et j’en passe.

Cette lecture, elle emmène les humains dans une sorte de ronde, de cercle vicieux où se succèdent le meilleur et le pire sans que les humains ne puissent influencer ni le rythme de la vie, ni son contenu.

Il y a une autre lecture possible. Qui, elle, nous révèle à quel point Dieu suscite en nous la capacité d’agir librement. Contre tout déterminisme ou fatalisme.

Dans cette optique, Qohéleth est à comprendre comme celui qui nous dit que notre vie n’est pas entièrement soumise à une mécanique de l’histoire. Mais qu’elle dépend avant tout de notre vision personnelle.

Sachant qu’il y a un moment pour tout et un temps pour chaque chose, que choisis-tu ?                                               

On va évidemment tous mourir, mais, jour après jour, regardes-tu du côté de la vie ou de la mort ? Penches-tu du côté de la lamentation ou de la danse ?  De l’amour ou de la haine ?

Que veux-tu faire de ta vie ? nous demande Qohélet. Si nous avons des éléments de réponse à cette question, il nous assure que Dieu nous soutient dans nos essais pour mener notre vie vers l’horizon souhaité.

Cela dit, quelle que soit la lecture que nous faisons du Qohélet, ses mots, nous arrivons à les entendre car ils sont suffisamment larges, vastes, vagues pour ne pas nous confronter directement à l’atrocité du mal.

Il en va tout autrement du récit de l’évangile de Matthieu.

À peine né, Jésus est confronté aux forces du mal. On aurait pu rêver mieux. Surtout pour le Messie.

Mais cet achoppement à la violence et à l’arbitraire dès le tout début de sa vie, je l’interprète comme une mise en garde. Ce n’est pas parce qu’un Sauveur nous est né, comme on le chante, que le mal s’en est allé. Il est le premier à en faire l’expérience.

Dans notre culture ou notre éducation, la fuite est souvent présentée comme un signe de lâcheté. C’est la couardise de celui ou celle qui n’affronte pas.

Il est intéressant de noter que, dans l’évangile, c’est Dieu lui-même qui suggère à Joseph de prendre la route de l’exil. Il ne lui dit pas : « Résous le problème prénommé Hérode ». Il lui dit : « Déguerpis, au plus vite ! ».

Fuir le mal… choisir ou accepter l’exil quand notre vie est mise en danger… Cela n’a rien d’évident… Quand bien même Dieu, en personne, nous y encouragerait.

Cela dit, la fuite ne peut être une solution que si un accueil lui répond. L’exil n’ouvre l’avenir que si un asile lui fait écho.

Vous êtes-vous déjà demandé ce qui se serait passé si l’Égypte d’alors avait refuser à la famille le droit d’entrer ? Si elle avait réclamé des preuves d’une réelle menace ? Si elle avait dit : « La barque est pleine. » ?

Les responsables qui doivent décider de la politique d’asile ont une tâche délicate et difficile. Ce n’est pas le lieu d’en débattre.

Mais l’histoire de Dieu parmi nous, l’histoire de cet Emmanuel qui tout petit a connu l’exil, a trouvé l’asile et a été épargné… cette histoire-là nous interdit toute indifférence vis-à-vis de celles et ceux qui fuient leur pays parce que des horreurs s’y déroulent ou que des drames y couvent.

Pour terminer, je vous propose d’enjamber toute l’histoire de Jésus pour en arriver à la toute fin de son ministère, quand tout ira mal pour lui. Lorsque, dans le jardin de Gethsémané, il aura le désir d’échapper aux souffrances et à la mort et qu’il dira : Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi…

À ce moment-là, il ne fuira pas.

Et je lis ce récit de Gethsémané en miroir à celui de la fuite en Égypte.

Cette première fuite nous rappelle que ce n’est pas parce que le Messie est venu que le mal est aboli.

Le fait que Jésus demeure à Gethsémané, qu’il affronte la souffrance et la mort, c’est la promesse qu’il nous accompagne sur ce chemin de souffrance lorsqu’il devient nôtre.

La vie n’est pas un conte de fée. La bible n’en est donc pas un, elle non plus.

Mais de Bethléem à Jérusalem, en passant par l’Égypte, Dieu n’a pas abandonné Jésus.

Humains, créés à son image, nous sommes invités individuellement et collectivement à ne pas abandonner nos frères et sœurs, mais à œuvrer pour toujours plus de justice et d’amour dans le monde. À la mesure de nos forces. Là où nous sommes.

Amen