Prédication du 25 septembre "Je suis le bon berger"

Jésus, un bon berger, qui s’adresse à nous avec des pseudos évidences pour nous encourager à ne pas avaler n’importe quelle salade.
D'après Jean 10: 14 à 18
Jésus affirme donc « Je suis le bon berger… » Dans l’absolu, ça ne me pose pas de problème. Surtout que le berger est une figure sympathique dans la Bible.
C’est une des belles manières de dire qui est Dieu avec des mots humains. En plus, notre imaginaire buccolique est immédiatement convoqué. Ça fait du bien.
 
Dans la tradition, et le psaume 23 en témoigne, Dieu est le berger par excellence qui prend soin de son peuple, qui le conduit, l’accompagne, pourvoit à ses besoins. Et qui, aussi, lui donne des guides humains pour lui permettre d’avancer dans la vie.
 
Alors, quand Jésus dit qu’il est le bon berger, il laisse entendre non seulement qu’il est un guide comme Moïse, David et d’autres avant lui. Mais qu’en plus, il porte en lui quelque chose de divin. Jusque-là, tout va bien !
 
Là où ça coince quand même un peu aux entournures, c’est qu’il n’y a pas de berger sans troupeau. Or, être assimilé à un mouton, une brebis ou un agneau, c’est moyennement excitant. À moins d’avoir 5 pattes et de pouvoir revendiquer, pour le coup, être une perle rare.
 
Mais pour le reste… quand on est doux comme un agneau, c’est qu’on est docile et qu’on n’oppose aucune résistance à rien. Même quand on est parent, on ne devrait pas souhaiter cela pour ses enfants puisque nous essayons de les éduquer, littéralement, de les conduire hors des sentiers battus pour qu’ils trouvent leur propre chemin.
 
À l’opposé, on est taxé de mouton noir au prétexte de ne pas être dans la norme ; devenant l’objet de stigmatisations souvent ignobles.
 
Les moutons de Panurge sont réputés suivre bêtement le mouvement. La brebis galeuse a mauvaise influence, il faut s’en écarter. Alors que la brebis perdue mérite notre charité paternaliste.
 
Rien de très excitant ni de très stimulant.
 
Je vais donc me concentrer sur la personne du berger, du bon berger. Et qui sait ? Peut-être qu’en le définissant lui, nous réussirons à définir un nouveau type de mouton auquel il nous plairait de ressembler.
 
Qu’est-ce donc qu’un bon berger ?
 
La première caractéristique qui émarge de notre récit, c’est qu’un bon berger est quelqu’un qui nous aide à réfléchir.
 
Ce n’est peut-être pas ce que vous auriez dit spontanément, Mais oui, avant toute autre chose, en disant « Je suis le bon berger », Jésus nous encourage à réfléchir. Parce que tous ceux qui l’ont entendu à l’époque savaient bien qu’il n’était pas berger. Ce n’était même pas son premier métier puisque son père ne l’était pas non plus. Nous le savons aussi.
 
L’affirmation de Jésus ne révèle donc aucune évidence. Bien au contraire.
C’est comme lorsqu’il parle en parabole. Les mots de tous les jours sont à interpréter de façon toute nouvelle. Pour nous emmener là où on n’imaginerait pas aller spontanément. En termes d’éducation, par rapport à ce que je disais tout à l’heure, laissons à Jésus le fait qu’il était très fort.
 
Jésus, un bon berger, qui s’adresse à nous avec des pseudos évidences pour nous encourager à ne pas avaler n’importe quelle salade. Voilà qui mérite notre confiance.
 
Parce que cela signifie que vous, que tu, que je peux être un mouton, une brebis, un agneau qui sait faire partie d’un troupeau, d’un groupe, d’une communauté sans pour autant avoir à sacrifier sa liberté de penser, son individualité, ses besoins, ses intuitions, ses élans.
Un mouton peut être libre et responsable. Voici la première marque du bon berger. Pour ceux qui étaient là, cela rappelle ce que nous disions dimanche dernier sur la porte.
 
Cela dit, outre le fait qu’il nous encourage à réfléchir plutôt qu’à suivre aveuglément, qu’est-ce qui fait un bon berger?
 
Je dirais, en deuxième point, qu’il est l’inverse de la reine des abeilles. Ce n’est peut-être pas non plus ce que vous auriez répondu. Mais c’est une évidence. Le berger n’est pas le mouton des moutons. Alors que la reine des abeilles est toujours une abeille.
 
Le berger, lui, est tout autre que ses brebis. Il est d’une autre espèce. Il a des capacités différentes de celles de ses bêtes. Entre lui et le troupeau se joue quelque chose de l’ordre de l’altérité. Sans pour autant que cette différence entre l’un et les autres ne creuse un fossé infranchissable car, le récit nous le rappelle, le berger vit avec ses brebis. Il avance avec elles.
 
Je vous disais tout à l’heure que dans la grande tradition biblique, le berger représente souvent Dieu. Il se passe la même chose entre Dieu et les humains qu’entre un berger et son troupeau.
 
Dieu le créateur est Tout Autre mais il se fait tout proche de nous et, bien que différent de nous, il nous a voulu à sa ressemblance pour qu’ensemble nous grandissions. Et que cette coexistence avec lui nous ouvre des horizons insoupçonnés. 2ème caractéristique.
 
J’ajoute encore deux points concernant ce berger.
 
Nous avons tellement entendu la formule qu’elle ne nous étonne plus aujourd’hui. Et pourtant, il est complètement déraisonnable de penser qu’un berger puisse donner sa vie pour ses brebis.
 
En l’affirmant, Jésus pervertit le lien entre berger et brebis. Normalement, ce sont bien les brebis qui de manière directe ou indirecte sont source de revenus, source de richesse pour le berger. Et non pas le berger qui est source de vie pour elles.
 
Jésus nous propose donc un regard sur la vie où les valeurs ne sont pas celles du marché. Pas celles des statistiques et autres calculs de rentabilité. Pas celles des évidences sociales.
 
Ce renversement des valeurs est d’une étonnante actualité à une époque où des paradigmes jusqu’ici incontestés sont au cœur de nombreux débats sociétaux.
 
Enfin, le berger donne librement sa vie. Et « il la reçoit à nouveau » dit le texte.
 
Cette vie nouvelle, cette vie nouvellement reçue, c’est ce qui lui permet d’être présent envers et contre tout, en tout temps, en tout lieu, y compris quand on a l’impression qu’il est absent.
 
Jésus de Nazareth est mort sur une croix près de Jérusalem.
 
Jésus le Christ est présent dans nos vies. Il est là pour Emma, pour vous, pour moi. Il est là avec Emma, avec vous, avec moi.
 
La figure du berger que nous propose Jésus n’est pas celle d’un Dieu tout-puissant. Mais celle d’un Dieu humble, inattendu, tout autre et proche à la fois, qui nous laisse notre liberté.
 
Il n’y a du coup plus à trancher entre mouton noir et mouton de Panurge.
 
Il y a juste à entendre notre prénom qui est susurré par Dieu et qui nous invite à la vie.
 
Amen