Prédication du 25 mai, "Soyons des lumières pour le monde"

Soyons des lumières pour le monde, par Line Dépraz, pasteure

 

« Vous êtes la lumière du monde. »

 

Cette affirmation, sans être la toute première parole de Jésus à ses disciples, fait néanmoins partie des premières paroles qu’il leur adresse.

 

Et quand il s’exprime ainsi, et bien, il les connaît depuis peu de temps. Il ne les a pas encore franchement testés. Il a sans doute eu le loisir de percevoir les caractères assez différents des uns et des autres. Mais que valent-ils individuellement ? Que valent-ils comme équipe ? C’est trop tôt pour le savoir.

Et pourtant, déjà, il fait résonner cette affirmation qui vaut comme mission : « Vous êtes la lumière du monde… Que votre lumière brille aux yeux des hommes. »

 

J’admire la confiance de Jésus envers ceux qu’il a choisis.

Mais si cette parole doit résonner aujourd’hui encore pour celles et ceux qui se reconnaissent disciples du Christ, qui se sentent appelés comme vous ou moi, alors je m’inquiète. Parce que la tâche est rude. 

 

Comment être lumière du monde, ou lumière pour le monde, aujourd’hui ?

 

Comment offrir quelques lueurs qui ne soient pas des leurres, dans ce monde enténébré d’horreurs et de violence ? Qui semble avancer sans sagesse ni raison ?

 

Comment éclairer ce monde qui voit de plus en plus de hauts décideurs mus par des intérêts tout personnels ? Ces hommes, ces femmes qui font l’actualité et dont les visages sont soit parfaitement impassibles face à ce que leurs yeux voient, soit déformés par la haine ou la soif de pouvoir.

 

Comment être lumière face à l’écrasement des Gazaouis, à la guerre qui oppose Russes et Ukrainiens depuis 1192 jours, aux conflits au Soudan, à l’emprise sanguinaire des gangs en Haïti, à la situation catastrophique du Myanmar, à la recrudescence des violences au Rwanda et en RDC, et j’arrête là cette liste aussi triste que non exhaustive…

 

« Vous êtes la lumière du monde… Que votre lumière brille aux yeux des hommes. »

Comment assumer cette mission ?

 

Si la réponse était simple, ça se saurait. Cela dit, il y a quelques indices dans les récits d’évangile que nous avons réentendus qui ouvrent des pistes intéressantes, à défaut d’être miraculeuses.

 

Pour les mettre en évidence, je reviens sur deux paroles de Jésus : 

« N'allez pas croire que je sois venu abroger la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abroger, mais accomplir. 

Et puis : « Si quelqu'un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l'autre. »

 

« Je ne suis pas venu abroger, mais accomplir. »

Cette parole, elle est intéressante.

Parce que les disciples qui suivent Jésus entendent de manière récurrente cette petite litanie : « vous avez entendu que…, mais moi je vous dis que… »

 

Avec de tels propos, les disciples, pourraient avoir l’impression qu’avec Jésus, l’ordre religieux ancien est aboli. Et que ce qui empêche fondamentalement le vivre-ensemble, le vivre-avec-Dieu, c’est la loi et les prophètes, en un mot : la tradition.

 

Jésus leur dit : Non. Non, je ne suis pas venu abolir la loi et les paroles des prophètes, je suis venu les accomplir.

 

Et ça, c’est une manière de nous dire que la loi n’est pas mauvaise intrinsèquement. Elle n’a pas à être jetée à la poubelle. Ce qui lui nuit, c’est la manière dont on l’interprète.

 

Plus précisément : les scribes et les pharisiens comprennent la loi comme une fin en soi. Ils la pensent exclusivement en termes d’observance et sont devenus les champions pour analyser tout comportement à l’aune de l’obéissance (ou non) à la loi telle qu’ils la comprennent.

 

Jésus, lui, propose de revenir à l’intention première de la loi qui, rappelons-le, a été donnée au peuple des Hébreux durant son périple dans le désert. Et de ce fait, la loi, toujours, rappelle la libération d’Égypte. Ce rappel se trouve d’ailleurs en introduction des 10 commandements.

 

Jésus l’affirme : la loi ne vaut pas pour elle-même. Elle vaut parce qu’elle est promesse.

Elle vaut parce qu’elle est don de Dieu dans un processus d’apprentissage de la liberté.

 

En ce sens, la loi rend libre.

Et elle demande à être interprétée à l’aune de la liberté qu’elle promet… ce qui permet quelques libertés d’interprétation dont Jésus ne s’est guère privé.

 

Mais hier comme aujourd’hui, l’important dans les libertés que Jésus s’est permises, c’est que ces libertés ont systématiquement été au service d’autrui, au service de la vie. Jamais, elles n’ont été le gage d’oppression, d’exclusion ou de violence.

 

« Je ne suis pas venu abroger, mais accomplir. »

« Si quelqu'un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l'autre. »

 

Que de malentendus autour de ces mots.

 

Avec d’autres affirmations dans le même registre : « Ne résistez pas au méchant.

Quelqu’un veut prendre ta tunique, laisse-lui aussi ton manteau…

Aimez vos ennemis…

Priez pour ceux qui vous persécutent. », de telles paroles ont régulièrement donné lieu à des interprétations misérabilistes ou fatalistes.

 

Comme si un bon chrétien n’avait pas le droit d’être en colère, de dénoncer la violence, de s’insurger contre l’injustice, et qu’il fallait tout accepter de la vie sans rechigner.

 

Le problème, c’est qu’une telle attitude ne correspond en rien à ce que je retiens du message et de la vie même de Jésus.

 

Certes, son existence n’a pas été un long fleuve tranquille. Et le mystère de la croix reste objet d’interprétations diverses.

 

Mais je ne peux pas prêter à Jésus des attitudes telles que la résignation, l’acceptation passive, la minimisation de la souffrance, la capitulation face à l’injustice.

 

Je ne peux pas croire, non plus, que ce soit là ce qu’il attend de nous.

 

Alors, que veut-il nous dire à travers ces impératifs si dérangeants ? 

 

Beaucoup ont interprété ces mots, « Si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui l’autre joue… » comme la faiblesse de celui qui abdique face à la violence.

 

Une autre lecture est possible dont on trouve trace dans le talmud déjà.

 

Tendre l’autre joue n’est pas une acceptation de ce qui a été encaissé.

C’est la volonté de montrer un visage autre que celui de la haine et de la violence qui, déjà, a blessé.

 

Tendre la joue gauche, c’est répondre à la violence par la justice. A la haine par l’amour. A l’indifférence par l’intérêt. A l’oubli par le rapprochement.

 

Vous vous souvenez peut-être d’Antoine Leiris au lendemain des attaques du Bataclan, alors que sa compagne avait été tuée et qu’il restait meurtri, avec leur fils de 17 mois, il avait dit s’adressant aux commanditaires des attentats : « vous n’aurez pas ma haine. »

 

C’est cela, tendre l’autre joue.

 

Alors ce soir, je fais le rêve que ces mots résonnent largement dans le monde. Car ils ont de quoi l’éclairer.

 

Amen

 

Lecture de Matthieu 5 : 14 à 17

« Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une hauteur ne peut être cachée. Quand on allume une lampe, ce n'est pas pour la mettre sous le boisseau, mais sur son support, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. De même, que votre lumière brille aux yeux des hommes, pour qu'en voyant vos bonnes actions ils rendent gloire à votre Père qui est aux cieux. 

« N'allez pas croire que je sois venu abroger la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abroger, mais accomplir. 

 

 

Lecture de Matthieu 5 : 38 à 42

« Vous avez appris qu'il a été dit : Œil pour œil et dent pour dent. Et moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Au contraire, si quelqu'un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l'autre. A qui veut te mener devant le juge pour prendre ta tunique, laisse aussi ton manteau. Si quelqu'un te force à faire mille pas, fais-en deux mille avec lui. A qui te demande, donne ; à qui veut t'emprunter, ne tourne pas le dos.