Prédication du 24 décembre, Au nom de la mère

Marie avait tout pour être grognon !

 

… En tout cas, à sa place, je l’aurais été.

 

Ce recensement, déjà ! Enceinte jusqu’aux yeux, et voilà qu’il lui faut se déplacer à Bethléhem.  Depuis Nazareth, c’est pas la porte d’à côté !

Et pourquoi, cette marche forcée ? Parce que l’occupant veut compter ses sujets comme un éleveur marquerait au fer son bétail.

 

C’est une attitude humiliante que rien ne justifie, si ce n’est la soif de pouvoir de l’empereur auguste et du roi Hérode.

 

Et puis, cette route, de Nazareth à Bethléhem, elle est longue. Elle est aussi éprouvante.

 

Joseph est brave. Il ne dit rien. En tout cas, les rédacteurs de l’évangile ne lui donnent pas la parole.

 

Sans doute est-il dans le mouvement, résigné, comme tous les autres.

 

Aujourd’hui, on en voit tant, de ces colonnes de personnes sur les routes. Avec les yeux vides, le front baissé, semblant avoir laissé derrière elles toute espérance.

 

Dans ce flot, assise sur son âne, Marie sans doute attire les regards. Certains doivent la plaindre. D’autres l’envier.

 

Avec le centre de gravité qui est le sien depuis quelques semaines, je ne voudrais pas être à sa place.

 

C’est pas facile de monter sur un âne à 9 mois de grossesse et de s’y maintenir droite. Sans compter la trouille de passer par-dessus l’échine de la bête à chaque fois qu’elle se penche pour renifler le sol ou arracher quelques touffes.

 

Mais la cerise sur le gâteau, c’est l’arrivée à Bethléhem.

Bethléhem, littéralement la “maison du pain“. Ce nom fleure comme une oasis douce et agréable. On imagine un endroit chaud, accueillant, moelleux. Un petit cocon.

 

Ce qui serait bien pour Marie. Car à la fatigue du trajet, s’ajoutent les douleurs annonciatrices de la naissance toute proche.

 

Or, voilà qu’il n’y a de place nulle part pour accueillir le couple. Marie est contrainte d’accoucher dans l’espace réservé aux animaux.

 

Alors oui !

Il y a de quoi être grognon et regretter, ne serait-ce qu’un instant, avoir dit “oui“ à Dieu.

 

Objectivement, ce récit aurait pu être pétri de plaintes et de lamentations. Bizarrement, il ne l’est pas.

 

C’est qu’en se mettant à l’écoute de Dieu, en comptant sur lui, et en faisant sa part, Marie nous ouvre un autre chemin.

 

Et s’il fallait évoquer “le miracle de Noël“, pour moi, c’est là qu’il se niche. Dans cette capacité que Marie a de prendre les choses comme elles viennent et de les aménager au mieux… Le génie helvétique avant l’heure.

 

Par son ingéniosité, sa résilience, Marie se révèle être un puissant antidote à notre fatigue, à nos lassitudes, à notre charge mentale.

 

Elle nous libère de ce qui nous pèse, nous laisse à terre et fait taire en nous tout élan de créativité.

 

Il n’y a de place ni dans les auberges ni dans la famille de Joseph qui est supposée habiter le village puisque c’est là son origine… Qu’importe ! Une étable fera l’affaire.

 

Il n’y a pas de berceau ? Transformons la mangeoire en moïse.

 

On pourrait croire que ce ne sont là que des détails, mais ils nous disent des choses fondamentales.

 

Par Marie, qui met au monde Jésus ailleurs que là où ça aurait dû se passer, nous apprenons que Noël, c’est la capacité de métamorphoser des lieux et de les rendre habitables. C’est l’ingéniosité de créer des espaces de vie là où cela semblait improbable.

 

Celles et ceux qui gèrent les politiques migratoires peuvent s’en inspirer.

 

Nous aussi qui, si souvent, sacralisons les lieux. Les églises, c’est pour prier ; les salles de sport, pour faire de la gym.

 

Faut-il assigner chacun de nos lieux à une activité bien définie ? Et développer ainsi des architectures monotones, peu aptes à célébrer la vie ?

 

Marie n’a pas eu ce luxe. L’histoire nous montre, paradoxalement, que c’est une chance.

 

Et puis, du point-de-vue de Dieu, Noël apparaît comme l’anti-déterminisme absolu. C’est l’éloge de la surprise.

 

Le rappel que chacune de nos vies est susceptible d’être chamboulée. Que nous sommes aptes au changement et que des aspects bien ancrés de notre personnalité peuvent faire place à de la nouveauté.

 

Quand il n’y a plus de place pour l’avenir parce que le présent est saturé par le manque, le besoin, la fragilité, Dieu fait de la place, en nous, pour le désir. Le désir de vie, le désir du changement, le désir de trouver des solutions.

 

Dieu fait de la place pour qu’advienne encore de la vie, non seulement sur le plan physiologique avec une activité cardiaque et cérébrale, mais au sens de l’existence. Cette vie dont on peut dire qu’elle est jouissive.

 

Ne cherchons pas le salut du côté du pouvoir, des palais, des grands, de la force. Tout y est figé.

 

Retrouvons le chemin de la fragilité, de la vulnérabilité. Là où nous pourrons accueillir la grâce qui s’y exprime et qui nous incite :

  • à prendre nos responsabilités,
  • à nous interroger à frais nouveau sur ce que nous avons à notre disposition,
  • et sur la manière la plus évangélique d’en faire usage.

 

Le récit de Noël nous encourage à faire de la place, en nous, pour injecter dans le monde du désir, de l’inventivité, de la joie, de la grâce.

Dieu que c’est porteur de vie.

Dieu que c’est jouissif.

Amen