Prédication du 21 février, Passion 1

Série de cultes musicaux sur les 7 paroles du Christ en croix.
« Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font. »
D'après Luc 23: 24 et Luc 5: 17 à 26

Jeudi dernier, après avoir fait les courses, je suis rentrée toute contente chez moi parce que j’avais une surprise pour mon fils : une bouteille du champagne qu’il préfère. Ça lui a fait plaisir, c’est sûr… mais il a à peine eu le temps de la prendre de mes mains, qu’il m’a regardé avec un sourire un peu ironique et m’a demandé ce que j’avais à me faire pardonner.
 
J’ai éclaté de rire. Tout en repensant aux quelques fois où la gentillesse de mes enfants m’avait paru suffisamment suspecte pour que je leur pose cette même question.
 
Au-delà de l’anecdote, c’est vrai que dans notre culture, évoquer le pardon c’est évoquer la faute, la culpabilité. Le besoin de se racheter. Le fait de pouvoir -ou non- aller au-delà, donner par-delà (pardonner-donner par-delà) une offense subie, un mal commis. Évoquer le pardon, c’est se placer dans le registre de la morale et invoquer une certaine grandeur d’âme.
 
On peut effectivement dire les choses ainsi. Mais il ne faudrait pas pour autant que nous nous voilions la face. Parce que notre grandeur d’âme, elle est somme toute relative.
 
Dans les faits, quand on s’essaie au pardon, on reste souvent empêtré dans une logique comptable qui quantifie le mal et qui pardonne en conséquence. On le reconnaît d’ailleurs en admettant qu’il y a pour nous des paroles, des gestes, des actes qui sont pardonnables et d’autres qui sont impardonnables parce qu’une ligne a été franchie.
Notre système de justice lui-même est basé là-dessus qui fonctionne avec la notion de la proportionnalité ; proportionnalité d’une peine par rapport au délit.
Donc, quand on y regarde de plus près, un pardon même généreux est souvent affaire de calcul, qu’on en ait conscience ou pas.
 
Or ce qu’il y a de frappant avec Jésus, et même de perturbant, c’est qu’il méconnaît totalement cette logique-là. Il a réussi, et c’est une révolution radicale, à sortir le pardon de la sphère de la morale et à rendre ainsi caducs tout système visant une quelconque proportionnalité ou tout schéma de type rétributif. Mais à quel prix ?... Et comment fait pour le prendre comme modèle ?
 
Imaginez-vous face à un tribunal voire, comme Jésus sur la croix, devant un bourreau qui exécute les sentences prononcées. Vous êtes accusé injustement. Que faites-vous ? Que dites-vous ?
 

 
Je ne sais pas quels mots j’utiliserais. Mais je sais que j’essayerais une fois encore de plaider ma cause, de convaincre de mon innocence et, pourquoi pas, de témoigner à charge contre ceux que j’estime coupables.
 
Il n’y a rien de tel chez Jésus. Alors même que le plus horrible des supplices a débuté pour lui et deux malfaiteurs, il ne cherche pas à sauver sa peau, mais il prie le Père pour d’autres. On ne sait pas très bien pour qui mais ce que Jésus dit à ce moment-là, c’est :
« Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font. »
 
Aucune argumentation. Aucune pédagogie du pardon dans la supplique de Jésus à son Père. Mais une réalité qui a traversé l’entier de son ministère : son regard, son attention qui, une fois encore, ne sont pas dirigés vers lui-même mais tourné vis-à-vis des autres. Et qui se traduisent par cette improbable prière. « Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font. »
 
C’est fort.
Et ça montre bien que pour Jésus, le pardon n’est pas affaire de morale. Il ne répond à aucun calcul, aucun marchandage. Il est précisément destiné à ce qui n’est pas excusable. C’est parce qu’il semble inconcevable, qu’il doit être offert.
 
Quelle leçon ! Portée au paroxysme sur la croix.
Mais c’est déjà cette même dynamique qui prévaut dans la guérison de l’homme paralysé.
On attendait de Jésus une simple parole de guérison dans un simple face à face avec l’homme couché. Mais comme sur la croix et, comme si souvent dans son ministère, Jésus convoque d’autres personnes dans la relation ; en l’occurrence, les amis porteurs de la civière.
 
Voyant leur foi, il dit au paralysé : « Tes péchés sont pardonnés », littéralement même « Tes péchés ont été pardonnés ».
 
On n’a pas fini de discourir sur le lien entre « leur foi » et « tes péchés ». Nous y reviendrons sans doute une fois. Mais ce qui me paraît important ce matin, c’est cette capacité qu’a Jésus de ne pas se laisser enfermer là où certains souhaitent le coincer, le confiner, même sans mauvaises intentions.
 
Jésus sait qu’un face à face n’est porteur de vie que lorsque ce sont deux humains qui se regardent et interagissent et non deux rôles qui se confrontent. Fût-ce le malade et le guérisseur.
 
Et vous le savez, aussi ! Quand on s’efface derrière son rôle, quel qu’il soit, la relation a quelque chose de figé. Les fronts se tendent. La vie circule mal. Ces relations, ces vis-à-vis finissent par se révéler enfermant. Et nous donnent l’impression d’être engagés dans des cercles vicieux.
 
Or, Jésus n’a eu cesse, durant son ministère, de briser les cercles vicieux et d’initier des cercles vertueux.
 
Donc, alors que les amis du paralysé et la foule assemblée attendaient, en spectateurs, le dénouement d’une situation, Jésus en fait des acteurs. Des gens concernés.
 
Voyant leur foi, il dit : « Tes péchés te sont pardonnés ; t’ont été pardonnés. »
 
En agissant ainsi Jésus met en évidence deux réalités fondamentales de notre vie d’enfant de Dieu.
 
Tout d’abord, il nous rappelle que le pardon de Dieu a déjà été donné. C’est là le cœur de l’évangile. L’amour de Dieu précédant tout, notre faute comprise, la question n’est pas tant de quémander le pardon que de se reconnaître pardonné et, partant de là, d’agir en homme et en femme libérés de cette angoisse de la faute et du pardon à obtenir. Vivre en hommes et en femmes libres, responsables, debout, actifs, sachant porter leur regard sur les autres à la manière de Jésus.
 
Ensuite, le fait de prendre en considération la foi des amis porteurs et d’agir vis-à-vis du paralysé au nom de cette foi, avec une parole de salut et non “une simple parole de guérison“, c’est une manière pour Jésus de nous signifier que nous sommes menacés d’autres paralysies que celle toute physique de l’homme sur la civière.
 
Les porteurs découvrent qu’en réalité eux aussi sont paralysés. Non de leurs bras ou de leurs jambes. Non de la solidarité qui les a mis en mouvement ni de l’ingéniosité qu’ils ont déployée pour déposer leur ami face à Jésus. Mais leur foi a quelque chose d’ankylosé, d’où le discours de Jésus sur le péché, la foi et non sur la maladie.
 
Les amis sont paralysés, handicapés de n’avoir pas su reconnaître que le pardon de Dieu était déjà donné. Et qu’à leur ami, que tout le monde considérait comme un malade, donc comme un pécheur, donc comme quelqu’un ayant un peu ou beaucoup mérité ce qui lui arrivait, qu’à cet ami-là, ils auraient pu eux-mêmes l’annoncer. Car tout fils de l’homme (ce titre n’est pas réservé à Jésus) a autorité sur terre pour pardonner les péchés.
 
Ce qu’il y a de commun à tous dans l’attente d’un Messie, c’est l’espoir qu’un être humain détienne et mette à notre disposition la clé de toutes les libérations nécessaires à nos retrouvailles avec Dieu.
 
Jésus nous enseigne que ça ne fonctionne pas ainsi. Ce qu’il demande au Père, pour nous, ne nous dégage pas de nos responsabilités.
 
Nous sommes toutes et tous pardonnés par Dieu. D’ores et déjà. Et nous sommes toutes et tous capables de pardon. D’un pardon inconditionnel, dénué de tout calcul, de tout marchandage.
 
Son offrande de serviteur, sur la croix, nous en indique le chemin dans ce renoncement à tout pouvoir sur autrui ; et dans l’acceptation inconditionnelle du mal subi dans l’impuissance.
 
Le pardon que Jésus enseigne suppose de reconnaître l’impardonnable, la dette infinie, le tort irréparable…
 
Il n’est pas l’oubli du passé mais la promesse d’un avenir autre que la simple évolution du passé. Le pardon devient ainsi un acte d’espérance qui transforme le temps chronologique en un temps messianique. Ouvrant tous les possibles.
 
« Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font. »
 
Père, donne-nous de nous réaliser la force de ton amour, la largesse de ton pardon, la soif que tu as de nous voir debout. Et donne-nous de le vivre pleinement.
 
Amen