« Au commencement était la parole », prédication dialoguée
entre la Conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider et la pasteure Line Dépraz
(Les paroles d’Elisabeth Baume-Schneider sont quelques points saillants relevés par Line Dépraz ; elles ne sont pas exhaustives ; ce ne sont pas des citations ; elles permettent de rendre compte de l’atmosphère de l’échange.)
Le prologue de Jean, il nous accompagne, ici à la cathédrale, depuis le début du temps de l’Avent.
Parce qu’il parle d’un début, d’un commencement. Et que l’Avent, c’est pour les chrétiens, le commencement de la nouvelle année.
Et puis, il nous accompagne aussi et surtout parce que la richesse de tous les thèmes qu’il aborde donne matière à penser pour bien plus qu’un seul dimanche ; c’est donc le 4ème où ces mêmes mots nous guident. Nous sommes jusque-là revenus sur les notions de vie, de lumière et d’humanité.
Ce matin, je me propose de reprendre 3 thèmes : l’altérité – l’identité – la lumière, avec un bref éclairage de ma part. Puis de vous entendre, Madame la Conseillère fédérale, réagir librement à mes propos en fonction de votre personne, votre parcours, vos opinions, vos valeurs.
« Au commencement était la Parole », c’est le titre annoncé de cette prédication à 2 voix. En disant les choses ainsi, je fais mienne une traduction habituelle des premiers mots de l’évangile de Jean.
Or, nous avons entendu : « D’abord, il y avait le langage ». C’est la traduction originale de Jean Grosjean, un poète et écrivain français du 20ème siècle, qui a commenté plusieurs récits bibliques.
Ces deux manières de dire : au commencement était la Parole - d’abord, il y avait le langage sont proches mais pas tout à fait semblables. Du coup, je me suis interrogée : en quoi la parole et le langage sont-ils pareils ou pas ?
Après quelques recherches, il apparaît que plusieurs s’accordent à dire que le langage, c’est une faculté humaine générale de communiquer. Tout le monde a accès au langage, d’une manière ou d’une autre (pas forcément par la parole). La parole, elle, c’est l’utilisation individuelle d’une langue pour s’exprimer à un moment donné dans un environnement culturel particulier.
Quand on dit, « D’abord, il y avait le langage… », on se place donc dans une perspective universelle. Et les chrétiens reconnaissent, dans la foulée qu’il y a ce langage premier, ce langage du Tout-Autre, qui a permis à tout ce qui existe d’exister.
Ce langage premier, Dieu, c’est l’Altérité avec un A majuscule. Chacun de nous est toujours l’autre de quelqu’un. C’est l’altérité que nous découvrons et expérimentons au quotidien.
L’altérité, un concept fondamental dans le christianisme ; dans le judaïsme déjà.
J’existe parce que je suis le vis-à-vis d’un autre.
« Exister », c’est littéralement « être hors de » ; il m’a fallu sortir du ventre de ma mère pour naître à la vie.
Mais depuis ma naissance, jour après jour, je n’existe, que d’être nommée par d’autres. Regardée, considérée, touchée, aimée, critiquée par d’autres. Songez aux études qui ont démontré que des animaux dépérissent lorsqu’ils sont coupés de toute relation.
Sartre disait « l’enfer, c’est les autres » ; la tradition chrétienne dit : « la vie, c’est les autres ».
Madame Baume-Schneider, pour vous, les autres, c’est l’enfer ou c’est la vie ?
Dans votre engagement politique au service du bien commun, comment vous laissez-vous décentrer par la parole d’un Autre, par la parole des autres ?
Et puis, pourriez-vous nous dire quel est le langage auquel vous adossez votre parole ? Dit autrement : Quelles sont les valeurs qui guident votre action ?
Madame Baume-Schneider commence par évoquer la différence d’ambiance entre les 3 dernières semaines passées au parlement avec de nombreuses paroles échangées et le calme, dans la cathédrale, qui permet d’entendre chaque parole.
Elle dit l’importance d’une parole qui engage, c’est-à-dire d’une parole qui se concrétise dans des actions, à la différence du verbiage.
Dans son engagement, elle se demande régulièrement si ce qu’elle dit est au service de ses convictions profondes, notamment en termes de justice sociale.
Elle dénonce les discours dont l’argumentaire comporte des biais de genre en notant que toutes les minorités souffrent d’être stigmatisées du fait d’être exclusivement considérées comme minoritaires.
Elle est attentive à la parole des femmes : celles qui n’osent plus la prendre comme celles dont la parole est mise en doute sans être écoutée.
Un bref échange a lieu sur la difficulté d’un langage nuancé, notamment sur les réseaux sociaux. Des formes d’expression courtes, des slogans qui percutent superficiellement au détriment du sens profond.
Quand on poursuit la lecture du prologue, il y a cette affirmation : Le langage s’est fait homme et il s’est abrité parmi nous.
Ce langage qui a pris chair, c’est bien évidemment Jésus. Reste à savoir qui était Jésus ?
Une des manières assez habituelles de décrire sa vie, c’est de se présenter avec son prénom et son nom, d’ajouter quand on est né, éventuellement là d’où l’on vient. Et puis, aujourd’hui, la profession joue un rôle hyper important.
Or, Jésus, on peine à savoir quand il est né, d’où il venait et quel était son métier exact.
On est à peu près tous d’accord pour dire qu’il n’est pas né dans la nuit du 24 au 25 décembre de l’an zéro. Mais, à part ça, c’est complexe...
D’après l’évangile de Matthieu, Jésus est né alors qu’Hérode le Grand régnait, or Hérode meurt en 4 av Jésus-Christ. Et selon Luc, la naissance de Jésus est liée au recensement de César Auguste sous Quirinius, qui est daté, lui, de 6 après Jésus-Christ. À l’échelle de l’humanité, c’est peu. Pour un homme, ça fait quand même 10 ans d’écart.
Quant à l’origine de Jésus…
…On parle de Jésus de Nazareth, mais ce village n’est jamais mentionné dans le Premier Testament ; on ne le connaît pas. On se contente donc généralement de dire que Jésus est né à Bethléem.
Quant à son métier, il est, pour une part, fils de charpentier donc probablement charpentier lui-même.
Il enseigne parfois dans les synagogues, il prêche régulièrement tout ailleurs que dans les synagogues. Il est proche des gens, les écoute, les aime, les accompagne, les nourrit, les guérit. Ça ne fait pas encore tout à fait un métier.
J’aime ces ambiguïtés. Parce que ça nous rappelle la difficulté de vouloir classer et contenir les gens dans des petites cases. On aime pourtant bien ça, catégoriser les autres. Mais ça ne marche jamais très bien. C’est réducteur.
Toutes et tous, nous sommes toujours encore différents de ce que nous donnons à voir de nous-mêmes et de ce que les gens perçoivent de nous.
Madame Baume-Schneider, y a-t-il une facette de ce que vous connaissez de Jésus qui vous touche particulièrement ? Qui vous inspire ? Ou au contraire, qui vous questionne voire vous déplaît ?
Et, dans votre quotidien, comment faites-vous pour aller au-delà des apparences ? Et pour ne jamais oublier que vous êtes toujours autre que ce que l’on peut dire de vous ?
Madame Baume-Schneider se souvient de paraboles entendues à l’école du dimanche qui montrent un Jésus attentif aux autres, à l’écoute des autres, non jugeant. Pensez au bon Samaritain, au Père prodigue, à la femme pécheresse qui lui permet de demander à tous les spectateurs qui peut honnêtement prétendre être sans faute ?
Elle admire ce Jésus de miséricorde qui n’hésite pas à remettre en question l’ordre établi de l’institution religieuse au profit des marginalisés.
La manière dont il a vécu met en échec toute velléité de vouloir contenir autrui des petites cases. C’est un encouragement. Agir ainsi demande du courage et aussi de l’humilité. C’est ainsi que l’on peut changer le monde, à sa mesure, là où l’on vit.
J’aimerais terminer notre échange sur cette parole que Jésus nous adresse : « vous êtes la lumière de monde ».
Une parole qui est tout à la fois une mission, une responsabilité une promesse.
Madame Baume-Schneider, comment est-ce que vous entendez cet appel à être lumière pour le monde ? Comment est-ce que vous vous y attachez dans une période de l’histoire souvent qualifiée de sombre ?
Madame Baume-Schneider évoque les lumières à l’époque de Jésus, non pas des spots brillants mais des lampes à huile qui éclairaient d’une flamme vacillante, de manière quelque peu diffuse. Elles ne pointaient pas un objet particulier mais permettaient de se situer, y compris dans la pénombre.
Elle termine en partageant des mots de Marianne Williamson (Un retour à l’amour, 1992) repris par Nelson Mandela dans un discours prononcé à l’occasion de son investiture à la Présidence de la République d’Afrique du Sud en 1994 :
Notre peur la plus profonde n’est pas que nous ne soyons pas à la hauteur.
Notre peur la plus profonde est que nous sommes puissants au-delà de toutes limites.
C’est notre propre lumière et non notre obscurité qui nous effraie le plus.
Nous nous posons la question…
Qui suis-je, moi, pour être brillant, radieux, talentueux et merveilleux ?
En fait, qui êtes-vous pour ne pas l’être ?
(...)
Vous restreindre, vivre petit, ne rend pas service au monde.
L’illumination n’est pas de vous rétrécir pour éviter d’insécuriser les autres.
Nous sommes tous appelés à briller, comme les enfants le font.
Prière pour le monde, par Serge Molla
Ô Toi, le Plus-que-vivant, c’est Toi qui nous rassembles ce matin.
Avant nous, il y avait le langage, c’est-à-dire ta Parole pour rejoindre l’humain, ta Parole qui précède toutes nos paroles, ton langage qui n’est jamais verbiage
Tu désires t’adresser à chacun en vérité et sans artifice. Aussi apprends-nous comme Toi à parler en vérité pour ne pas tenir des discours qui ne sont que buée et pour ne pas promettre ce que nous ne pourrons tenir.
Toi qui es le Tout Autre, donne-nous de ne pas réduire autrui à ses origines, à sa langue, à son genre, à son âge, mais permets-nous de découvrir que l’altérité est richesse et appel au partage.
En Jésus, Tu as attesté que Tu ne te fiais pas aux apparences. Que cela est difficile dans un monde où ce qui brille attire tant l’attention, où les médias et les réseaux sociaux enferment, où les feux d’artifice des beaux mots et des formules chocs sont retenus, plutôt que les engagements véritables qui s’inscrivent dans la durée.
Tu appelles des hommes et des femmes sur le terrain politique. Donne-leur d’œuvrer vraiment pour le bien commun, pour que diminuent les inégalités. Que jamais ils ne confondent pouvoir et autorité, qu’ils relèvent les défis de l’humilité et de l’action forte, de la bienveillance et du courage. Accorde-leur le discernement pour prendre les décisions qui déploient la justice, même si parfois elles sont impopulaires.
Tu appelles à être lumière du monde, c’est-à-dire à ne pas aveugler, ni propager, ni accepter et subir les ténèbres qui gagnent du terrain. Accorde aux hommes et femmes de bonne volonté d’apporter un éclairage décisif sur les situations d’injustices et de précarité pour que celles et ceux qui souffrent ne restent pas dans l’ombre ou le dos au mur.
Ô Dieu, à Noël, nous fêtons la venue de ton Fils, le questionneur de nos certitudes. Que ce jour infuse notre quotidien et renouvelle nos relations, plutôt qu’il ne soit une simple date sur nos calendriers encombrés.
Et qu’avec toi, grâce à toi, reculent les solitudes, que fondent les désespoirs et que s’augmentent les joies du vivre ensemble.
Au nom de Jésus, le Christ. Amen
Lecture de Jean 1 : 1 à 5 + 9 a 14 selon Jean Grosjean
D’abord, il y avait le langage, et le langage était chez Dieu, et le langage était Dieu.
Il était d’abord chez Dieu.
C’est par lui que tout a existé et rien de ce qui existe n’a existé sans lui. C’est en lui qu’était la vie et la vie était la lumière des hommes. Et la lumière a brillé dans la nuit et la nuit ne l’a pas saisie.
La vraie lumière, qui éclaire chacun, venait dans le monde.
Elle était dans le monde, et le monde existait par elle, et le monde ne l'a pas connue.
Elle est venue chez les siens, et les siens ne l'ont pas reçue.
Mais elle a donné à ceux qui l'ont reçue, le pouvoir de devenir enfants de Dieu. Ceux qui se fient à elle ne naissent ni du sang, ni d'un vouloir de chair, ni d’un vouloir d’homme, mais de Dieu.
Oui, le langage s’est fait homme et il s’est abrité parmi nous. Et nous avons contemplé sa gloire, la gloire de l’Unique du Père, plein de grâce et de vérité.
Lecture de Matthieu 5
Parole de Jésus : « Vous êtes la lumière du monde ».