Prédication du 21 avril, "De l'aveuglement à la révélation de soi"

 

Que la lumière soit 3/3

De l’aveuglement à la révélation de soi

 

« Que la lumière soit ! », c’est la toute première parole de Dieu au début du livre de la Genèse. Sa première œuvre créatrice. De laquelle dépendent toutes les autres. Sans la lumière, première, rien d’autre ne serait.

 

À l’autre extrémité de la bible, Apocalypse 22, il y a cette affirmation concernant la Jérusalem céleste : « nul n’aura besoin de la lumière du flambeau ni de la lumière du soleil, car le Seigneur Dieu répandra sur eux sa lumière ».

 

Entre ces deux récits, quelque 500 occurrences évoquant la lumière, la lune, le soleil. C’est dire l’importance de ce thème qui a inspiré nombre d’artistes, parmi lesquels Frère Éric. Et nous réentendions, dimanche dernier, combien sa quête artistique de la lumière trouvait écho dans sa quête spirituelle de la lumière.

 

Quand on parle de la lumière, il suffit d’un petit pas de côté pour entrer dans les thématiques plus larges de la vue, de la cécité, de la clairvoyance, de l’aveuglement. Et c’est bien là où nous emmènent les récits de ce matin.

 

Bien sûr, tout commence par l’aveugle de naissance. Qui, du fait de sa maladie, du fait de son handicap, est contraint de mendier pour vivre. Et à l’époque, on sait que de telles conditions d’existences riment, en fait, avec “demi-vie“.

 

Cet homme-là n’est pas considéré pour qui il est. Il est stigmatisé. Il n’est vu qu’à travers le prisme de ce qui le différencie des autres : sa cécité.

 

On fait l’aumône à un mendiant.

On ne s’arrête pas auprès de lui.

 

On lâche des pièces à un mendiant.

On ne discute pas avec lui comme on le ferait avec un ami ou une connaissance.

 

C’est dire que la société le tolère mais que, fondamentalement, elle ne veut pas de lui.

 

C’est particulièrement frappant dans le récit de l’évangile de Jean. Car même à l’instant où il est guéri, « Les gens du voisinage … disaient : « N’est-ce pas celui qui était assis à mendier ? » Les uns disaient : « C’est bien lui ! » D’autres disaient : « Mais non, c’est quelqu’un qui lui ressemble. « 

 

On parle de lui sans s’adresser à lui.

On parle de lui comme s’il n’était pas là.

Transparent, l’aveugle.

 

Et puis, il n’a pas non plus de réelle autonomie. Certes, il perçoit les bruits alentours, les discussions, les odeurs, les saveurs, mais il reste, d’une certaine manière, enfermé, en lui-même puisque personne ne l’apostrophe. Il est donc comme coincé dans le flux de ses propres pensées, dans les méandres de ses rêves et de ses crève-cœur. Pour lui, tout a le temps de tourner en boucle. En circuit fermé. La vie à huis clos.

 

Et voilà qu’un jour, sans qu’il n’ait rien demandé, Jésus passe par là.

Il le voit.

Il le considère.

Il s’arrête. 

Il lui parle et le guérit de sa cécité.

 

Dans cet enchaînement, 3 éléments me touchent particulièrement.

 

« …Jésus cracha à terre, fit de la boue avec la salive et l’appliqua sur les yeux de l’aveugle… »

 

Cette manière de faire me renvoie au récit de la Genèse. Où Dieu, un peu après avoir séparé la lumière de la ténèbre, « modela l’homme avec de la poussière prise du sol. Il insuffla dans ses narines l’haleine de vie, et l’homme devint un être vivant. »

 

Jésus utilise la salive de sa bouche, l’organe de la parole créatrice, et en la mêlant à l’humus, la poussière dont nous sommes issus et à laquelle nous retournons, il fait de la boue. Mais, il fait bien plus que cela.

Il crée un principe de vie qui va libérer l’aveugle-né de son handicap et le restaurer dans sa pleine humanité.

 

C’est un acte créateur que Jésus opère ici. Créateur de guérison, de salut, de vie.

 

Les parents de l’aveugle lui avaient donné naissance.

Jésus lui donne vie.

Comme il peut nous donner vie lorsque, par lui, lorsque par sa parole, nous nous laissons toucher, émouvoir, mouvoir.

 

Ce don de la vie, à un homme qui était méconsidéré, est un acte particulièrement fort. En tant que tel, bien sûr, mais aussi en regard de la question des disciples : « Rabbi, qui a péché pour qu’il soit né aveugle, lui ou ses parents ? » 

 

Les disciples, bien malgré eux, sont terre à terre. Mais d’une terre stérile, sans rien pour l’animer.

 

Ils interrogent le pourquoi de la situation. Ils cherchent, en amont, une explication, une cause, une justification à ce qu’ils voient.

 

Ils sont enferrés dans cette logique où rien n’arrive par hasard.

 

Cette logique-là, on en a probablement tous hérité dans notre enfance. Par exemple vis-à-vis de Dieu. Dont on vous peut-être aussi abondamment rappelé qu’il voit tout. Qu’il sait tout. Qu’il ne fait rien par hasard.

 

Enferrés dans cette logique, les disciples ne réalisent pas que ce faisant, ils excluent la grâce de leurs vies, de nos vies, de chaque vie.

 

Si tout ce que nous vivons est le résultat d’un mécanisme de causalité implacable, et que même Dieu s’y plie en nous rétribuant à la hauteur de nos actes, quelle place pour la grâce ?

 

Or, nous ne pouvons pas vivre sans grâce.

 

Une vie sans grâce, c’est une vie lourde. Sans perspective, sans horizon. Une de ces vies où l’on marche en trainant les pieds dans des godasses lourdes de boue.

 

Nous avons besoin de la grâce de Dieu.

Cette force relevante, cette énergie ressuscitante.

Cette légèreté qui, au quotidien, nous permet d’accomplir l’impensable. En refusant de nous satisfaire de ce qui est à peine supportable et en nous encourageant à le transformer.

 

C’est bien, au final, la réponse que Jésus adresse à ses disciples.

 

« …Qui a péché pour qu’il soit né aveugle, lui ou ses parents ? » 

Jésus répondit : « Ni lui, ni ses parents. Mais c’est pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui ! »

 

Une lecture, trop rapide, pourrait nous faire croire que Dieu est capable de faire naître un homme aveugle pour ensuite manifester sa force et son amour.

 

C’est une injure à l’égard de Dieu. Sans compter qu’une telle lecture se prend une fois encore les pieds dans le tapis de la causalité. Elle marque ce même réflexe de chercher en amont ce qui explique ce que l’on a sous les yeux.

 

Avec cette réponse, Jésus nous fait passer du pourquoi au “pour quoi“ en deux mots ; en vue de quoi…

 

Il nous signifie ainsi que l’important n’est pas tant de comprendre comment on en est arrivé là, que ce que l’on va faire de ce qui nous est arrivé.

 

Que fais-je de ma cécité ?

Que fais-je de mes aveuglements ?

 

C’est la question à laquelle les pharisiens sont renvoyés à la fin du récit.

 

La cécité est physique.

Les aveuglements sont existentiels, psychologiques, philosophiques.

Ils sont faits d’œillères qui restreignent notre perception de la réalité.

 

Dans un cas comme dans l’autre, il n’y a pas tant à rechercher et désigner un coupable qu’à agir pour permettre la vie.

 

Car toute souffrance, tout péché, tout aveuglement est d’abord, pour Dieu, un défi à relever. Afin de restaurer ce qui est abîmé, de renouer la relation brisée, de dévoiler un horizon.

 

Il s’y attelle sans relâche et il nous appelle à le rejoindre dans cette entreprise. Pour que son amour soit manifeste dans le monde.

Amen

 

 

  • Lecture d’Ésaïe 42 : 1 à 7

Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu que j’ai moi-même en faveur, j’ai mis mon Esprit sur lui.

Pour les nations il fera paraître le jugement, il ne criera pas, il n’élèvera pas le ton, il ne fera pas entendre dans la rue sa clameur ; il ne brisera pas le roseau ployé, il n’éteindra pas la mèche qui s’étiole ; à coup sûr, il fera paraître le jugement.

Lui ne s’étiolera pas, lui ne ploiera pas, jusqu’à ce qu’il ait imposé sur la terre le jugement, et les îles seront dans l’attente de ses directives.

Ainsi parle Dieu, le SEIGNEUR, qui a créé les cieux et qui les a tendus, qui a étalé la terre porteuse de ses rejetons, donné respiration à la multitude qui la couvre et souffle à ceux qui la parcourent :

C’est moi le SEIGNEUR, je t’ai appelé selon la justice, je t’ai tenu par la main, je t’ai mis en réserve et je t’ai destiné à être l’alliance du peuple, à être la lumière des nations, à ouvrir les yeux aveuglés, à tirer du cachot le prisonnier, de la maison d’arrêt, les habitants des ténèbres.

 

  • Lecture de Jean 9 : 1 à 9

En passant, Jésus vit un homme aveugle de naissance. 

Ses disciples lui posèrent cette question : « Rabbi, qui a péché pour qu’il soit né aveugle, lui ou ses parents ? » 

Jésus répondit : « Ni lui, ni ses parents. Mais c’est pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui ! 

Tant qu’il fait jour, il nous faut travailler aux œuvres de celui qui m’a envoyé : la nuit vient, où personne ne peut travailler ; aussi longtemps que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. »

Ayant ainsi parlé, Jésus cracha à terre, fit de la boue avec la salive et l’appliqua sur les yeux de l’aveugle ; et il lui dit : « Va te laver à la piscine de Siloé » – ce qui signifie Envoyé. L’aveugle y alla, il se lava et, à son retour, il voyait.

Les gens du voisinage et ceux qui auparavant avaient l’habitude de le voir – car c’était un mendiant – disaient : « N’est-ce pas celui qui était assis à mendier ? » 

Les uns disaient : « C’est bien lui ! » D’autres disaient : « Mais non, c’est quelqu’un qui lui ressemble. » Mais l’aveugle affirmait : « C’est bien moi. »

 

  • Lecture de Jean 9 : 39 à 40

Jésus dit alors : « C’est pour un jugement que je suis venu dans le monde, pour que ceux qui ne voyaient pas voient, et que ceux qui voyaient deviennent aveugles. » 

Les Pharisiens qui étaient avec lui entendirent ces paroles et lui dirent : « Est-ce que, par hasard, nous serions des aveugles, nous aussi ? »