Prédication du 20 mars, la résurrection, pour qui, pour quand?

Avec Lazare, Jésus relaie un appel à prendre pied dans l’aujourd’hui.
D'après Jean 11
Marthe et Marie.
Deux sœurs qui, dans les évangiles, sont toujours présentées ensemble. L’une est-elle évoquée, que l’autre ne tarde pas à l’être aussi. Un peu comme si elles ne pouvaient pas exister l’une sans l’autre. Ou alors, comme si ce que nous disait l’une, en ce 21ème siècle, ne pouvait s’entendre pleinement qu’en entendant aussi ce que l’autre nous murmure.
 
Marthe et Marie.
Deux sœurs, souvent caricaturées.
Avec celle qui s’agite, prépare le repas, fait le ménage ; l’image d’une femme “parfaite“ pour l’époque.
Et celle qui flâne, prend le temps de l’écoute mais aussi de la parole ; c’est qu’elle n’a pas la langue dans sa poche, Marie. Et ça, à l’époque, ça passe mal.
 
Marthe et Marie.
Au-delà des caricatures, au-delà de leurs différences, nous les retrouvons ce matin unies dans une même douleur.
 
Leur frère, qu’aucune d’elles n’estime nécessaire d’appeler par son prénom lorsqu’elles en parlent, comme s’il n’existait que d’être leur frère, leur frère Lazare est malade.
Sachant l’affection que Jésus lui porte, mais peut-être espérant aussi secrètement de lui un miracle, elles envoient des messagers pour l’avertir de la situation.
 
Jésus est tout proche. À quelques heures de route seulement. Mais il traîne des pieds. Si bien que, lorsqu’il arrive à proximité de Béthanie, Lazare est mort. Il repose au tombeau depuis quelques jours déjà. Les proches et amis de la famille affluent pour venir partager le deuil des deux sœurs.
 
Ensemble, comme toujours, Marthe et Marie gèrent la situation au mieux. Chacune à sa manière.
 
Lorsque la rumeur rapporte que Jésus est à proximité, Marthe, qui ne tient jamais en place, va au-devant de lui. S’ensuit alors un dialogue un peu étrange mais qui rejoint, je crois, les endeuillé.e.s de tous les temps.
 
« Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. »
Marthe commence par dire à Jésus sa déception, sa colère, sa rancœur… « Tu as été prévenu. Tu as été appelé, à temps. Alors, te voilà, mais c’est trop tard ! »
Cependant, à son amertume du “trop tard“, Marthe fait suivre immédiatement des paroles auxquelles on se raccroche nous-mêmes souvent quand on n’a pas envie que la réalité soit inéluctable. Une sorte d’espérance en demi-teinte : Mais maintenant encore, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te le donnera. »
« Autrement dit, je sais ce qui t’unit à Dieu, tout espoir n’est pas perdu ; n’est-ce pas ?  Tu peux encore faire quelque chose… Si tu intercèdes, Dieu t’écoutera, hein ?».
 
Une espérance en demi-teinte qui révèle notre difficulté à différencier un faiseur de miracles, d’un magicien. Un faiseur de miracles, comme Jésus au travers des évangiles, restaure l’intégrité d’une personne à partir de la réalité donnée. Un magicien, lui, cherche à éviter la réalité ou à en créer une autre à partir de rien. Une sorte de grande illusion…
 
Marthe espère sans doute secrètement l’impossible.
Jésus l’entend.
Mais c’est ailleurs qu’il l’emmène.
Dans un apparent au-delà de la mort, en lui parlant de résurrection. Marthe, comme tout endeuillé, vit un temps présent qui est comme suspendu, inconsistant. Alors, en entendant parler de résurrection, elle s’engouffre dans la brèche. Rêvant d’un avenir autre, meilleur ; refusant d’habiter son présent si triste. Elle dit à Jésus : « Oui, je sais, que mon frère ressuscitera lors de la résurrection, au dernier jour. »
 
Mais, c’est bien dans le présent que Jésus veut la ramener. Dans l’ici et le maintenant de sa vie. Et non dans un hypothétique futur. À Marthe qui récite scrupuleusement son catéchisme, Jésus oppose donc un « Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra, même s'il meurt ; et celui qui vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? »
Par ces mots, Jésus veut faire passer Marthe, et avec elle chacun de nous, d’une connaissance intellectuelle à une expérience, d’une projection dans l’avenir à une habitation du présent, d’un “je sais“ à un “je crois“.
« Je sais, Seigneur Jésus, que tu es un être exceptionnel avec une ligne direct au Père que je n’ai peut-être pas ; mais, surtout, je crois, Seigneur, je crois que la Vie qui t’anime peut passer en moi et me revivifier ».
 
En ce sens, si l’on se souvient que le verbe traduit en français par “ressusciter“ n’est en grec que le passif du verbe signifiant « se lever, se mettre debout »… en ce sens, Marthe est probablement la première ressuscitée de notre récit. Elle est remise debout, dans son présent. Elle peut désormais quitter Jésus et rejoindre sa sœur, Marie,
 
Mari qui, à son habitude, avait commencé par rester assise. Elle se mobilise dans un deuxième temps seulement à l’injonction de Marthe et se met en route pour aller, elle aussi, au-devant de Jésus. Arrivant près de lui, elle tombe à ses pieds et commence par l’apostropher en manifestant, comme sa sœur, colère et déception : « Si tu avais été ici… »
 
Mais le dialogue n’ira pas plus loin que cette seule réplique. Jésus ne parle pas avec Marie. Pour lui, le temps n’est plus aux paroles mais à l’inscription, en sa chair, de ce qu’il ressent face à la situation, la maladie et la mort de Lazare : « Il frémit intérieurement ». « Il est troublé. » « Il pleure ».
 
Des verbes d’une intensité émotionnelle forte. Des verbes, les deux premiers en tout cas (frémir, être troublé), que l’on retrouvera lorsqu’il sera au jardin de Gethsémané, priant son père, se soumettant à sa volonté sans marchander la sienne « Si cette coupe peut passer loin de moi. Cependant, non pas ma volonté, mais la tienne ».
 
Confronté à Marie, à sa position de femme mise à terre par les événements, Jésus la rejoint, et par elle nous rejoint, dans tous les questionnements répétés de nos vies.
Quel est le sens de ce que nous vivons ? Respectivement quel est ce non-sens, cet absurde, auquel nous sommes confronté.e.s ? Guerre en Ukraine, vagues migratoires, maladie d’un proche… Des questionnements qui, au-delà de la colère et de la déception, nous maintiennent debout. Parce qu’il y a à en découdre avec la réalité. Et ça, on ne peut le faire que debout !
 
Au cœur de cet intime combat interrogeant le sens et le non-sens dans nos existences, Jésus en vient finalement à Lazare et pose une question : « Où l’avez-vous déposé ? » 
 
Lazare, nous le savons, a été déposé dans un tombeau.
Le terme grec utilisé pour ce tombeau, c’est “mnéméion“. Au-delà de la simple traduction, ce verbe évoque la mémoire, « mnéméion ». L’amnésie en étant l’absence.
Autrement dit, Lazare a été mis dans un mémorial. Il est littéralement enfermé dans la mémoire. Une pierre a été placée à l’entrée. Il ne risque pas d’en réchapper.
 
Mais quel avenir possible pour quelqu’un qui est enfermé dans la mémoire ?
Bien sûr, la mémoire est un élément constitutif de nos vies. Ceux qui la perdent le savent bien. Mais elle n’est pas notre patrie, pas plus que la mort, d’ailleurs.
 
« Lazare, sors ! » lui dit Jésus. Sors du cachot de ta mémoire et de celle des autres.
Sortons des prisons du passé. Car si nous y restons enfermé.e.s, alors nous risquons de nous isoler dans une histoire révolue, sans acteurs.
Vivre dans la seule mémoire, dans le seul passé, nous sépare de nos contemporains. Ces vivants qui, orientés vers ce qui est à venir, tutoient le présent.
 
« Sors ! »
Ouvre ton regard sur l’ici et le maintenant.
S’adressant ainsi à Lazare, Jésus invite chacune et chacun à réinvestir son présent. L’aujourd’hui qui est notre véritable patrie, ce lieu où nous épanouir, ce lieu où nous investir de tout notre être, de tout notre cœur, de toute notre âme.
 
Jésus coupe court à toute eschatologie comprise comme l’attente passive d’un jour où tout s’arrangera de manière surnaturelle, sans que nous y soyons pour quoi que ce soit.
 
Il coupe court aussi à tout enfermement dans un passé magnifié comme un âge d’or.
 
Face à Lazare, Jésus relaie cet appel à prendre pied dans l’aujourd’hui.
 
Alors, sortez, relevez-vous, vivez ! Avec Jésus, la résurrection est de tous les instants !
 
Amen