Prédication du 1er novembre 2020, Réformation

Contrairement au pharisien qui pense n’avoir besoin de personne, celui qui est humble sait qu’il a besoin de tout. Et il attend de Dieu sa grâce qui, inlassablement, nous permet à chacune et chacun d’être quelqu’un.
D'après Luc 18: 9 à 14
Qu’y a-t-il de commun entre un pharisien, un collecteur d’impôts, et les réformateurs ?
 
En fait, pas grand-chose.
J’ai cherché ; j’ai fini par trouver 2 points communs ; mais je vous l’avoue, je ne suis pas pleinement convaincue…

  • Les uns et les autres, vivent une relation personnelle et directe avec Dieu, (pour qui est sensible à un des enjeux de la Réforme, ce n’est pas rien),
  • et puis, ils ont, tous, une pratique religieuse avérée.

Mais, franchement, ça s’arrête là.
 
Le premier, le pharisien, résume le devoir de tout croyant à la stricte observance de la loi.
Vous le savez peut-être, le judaïsme connaît 613 commandements. Donc, pour les pharisiens, la relation à Dieu, la pratique religieuse, c’est faire les choses comme elles sont prescrites dans ces 613 commandements, ni plus, ni moins, point barre.
 
Le collecteur d’impôts, lui, est considéré comme un collabo par ses coreligionnaires de l’époque parce qu’il travaille pour les Romains. A ce titre, il n’est pas très fréquentable. Sa présence dans l’espace du Temple est d’ailleurs dûment délimitée, géographiquement parlant. Il ne peut pas aller n’importe où dans le Temple. On ne mélange pas les torchons avec les serviettes.
Mais ce que l’on peut dire, d’après le récit de l’Évangile, c’est que son attitude est plutôt humble. Et si, comme tout juif, il respecte les commandements ; ce qu’il vit intérieurement semble avoir une importance particulière. J’y reviendrai.
 
Quant aux réformateurs, aujourd’hui à l’honneur, et bien leur rapport aux Écritures et à Dieu lui-même les ont engagés dans une telle réforme de l’institution ecclésiale que celle-ci n’a pas résisté… déboutant sur le schisme que l’on connaît. Catholiques versus réformés.
 
Comme quoi, on peut avoir Dieu, le même Dieu, comme référence commune… sans pour autant faire bon ménage. Ça me donne quand même l’impression d’un sacré gâchis.
 
Cela dit, sous nos latitudes, ça fait longtemps que nous célébrons la Réformation fin octobre ou début novembre.
Mais peut-être savez-vous que dans l’histoire des voix se sont élevées pour que la commémoration de cette fête ait lieu le 10 décembre.
 
Rien à voir avec la journée internationale des Droits humains, mais c’est le 10 décembre 1520 que Luther a brûlé la célèbre bulle pontificale

  • qui condamnait une bonne partie de ses 95 thèses,
  • qui exigeait de lui qu’il se rétracte par rapport à ses affirmations
  • et qui ordonnait de… brûler tous ses écrits.

 
Personnellement, je suis reconnaissante que nous en soyons restés à commémorer l’affichage des thèses. Parce que c’est une manière d’affirmer que l’origine du mouvement réformateur n’est pas un acte destructeur ; qu’il ne s’agit pas d’abord d’une rupture avec l’Église de Rome mais bien d’une fidélité à l’Évangile. On est dans la valorisation de quelque chose et non dans le dénigrement d’une autre chose.
 
Lorsqu’il a expliqué pourquoi il ne pouvait pas se rétracter, Luther a dit : « À moins qu’on ne me convainque de mon erreur par des attestations de l’Écriture ou par des raisons évidentes — car je ne crois ni au pape ni aux conciles seuls puisqu’il est évident qu’ils se sont souvent trompés et contredits — (À moins qu’on ne me convainque de mon erreur par des attestations) je suis lié par les textes de l’Écriture que j’ai cités, … ma conscience est captive de la Parole de Dieu…»
 
C’est en songeant à cette détermination de Luther dans sa compréhension des Écritures que je me suis attelée à ce récit de qui met en scène un collecteur d’impôts et un pharisien. Le premier, je vous l’avoue maintenant, me paraissant assez proche des réformateurs…
 
2 hommes donc se rendent au Temple pour prier. Ils se tiennent visiblement à distance l’un de l’autre… et ce n’était pas la faute au Covid.
 
Le pharisien étonne d’emblée le lecteur par une certaine forme de suffisance. Quand il prie Dieu, il le remercie « de ne pas être comme les autres »… sous-entendu, d’être bien mieux que tous les autres. Les autres étant selon lui des voleurs, des gens malfaisants, des adultérins ou des collecteurs d’impôts.
 
Sous cette apparente suffisance, se cache pour moi quelque chose de bien plus grave.
Parce que, en dénigrant tous ceux qui sont « autres », de fait le pharisien se recroqueville sur lui-même. Son monde tourne autour de lui. Il se comprend lui-même… vous me direz que c’est bien de se comprendre soi-même, mais quand même…
 
Cet auto-centrement que l’on observe chez lui et qui, entre parenthèses, pourrait être une conséquence pour chacun de nous de l’isolement causé par le Covid : s’auto-enfermer, s’auto-regarder, mettre le monde à telle distance, que c’est comme s’il n’existait plus ; donc, cet auto-centrement du pharisien implique qu’il ne connaît pas l’altérité. Il s’auto-justifie lui-même. Il n’a besoin de personne.
 
Vous m’avez déjà entendu sur la question. Depuis le fœtus que nous avons été jusqu’à ce que nous sommes aujourd’hui, nous n’ex-istons (c’est littéral) que de séparations et non de confusion.
 
Être auto-centré, c’est une attitude mortifère. Qui plus est devant Dieu…
 
Quand on veut mériter ce que l’on reçoit et ainsi éviter le pire. C’est quand même la logique. Quand donc on veut mériter ce que l’on reçoit
Quand on pense ne pas avoir besoin des autres.
… Quand au final on a que ce que l’on mérite, et bien, on ne reçoit pas grand-chose.
 
Voilà pour le pharisien. Et c’est à mon avis le drame de sa vie. Recevoir peu car il pense n’avoir besoin de rien.
 
De l’autre côté, le collecteur d’impôts. « Qui se tenait à distance, sans lever les yeux au ciel » et qui se reconnaissait pécheur.
 
Dans l’hébreu biblique, être pécheur n’est pas d’abord une catégorie morale. Être pécheur, c’est reconnaître la distance inhérente qu’il y a entre qui je suis et qui je voudrais, qui je devrais, être. Le mot « péché », lui-même, évoque le fait de manquer sa cible.
 
Paul le dit à sa manière : ce que je voudrais, je ne le fais pas ; ce que je fais, je ne le voudrais pas…
 
… C’est la reconnaissance de ce décalage qui permet au collecteur d’impôts de s’adresser à l’Autre, au Tout Autre, pour demander de l’aide, pour demander un apaisement, restaurant ainsi une relation dont on a pu imaginer qu’elle était rompue à cause d’un comportement collaboratif avec l’occupant. Et tout ce que cela signifiait en termes d’impureté.
 
Le collecteur d’impôts adopte une attitude humble. Humble vient du latin « humus », le sol, la terre.
Celui qui est humble ne s’élève pas par lui-même.
Contrairement au pharisien qui pense n’avoir besoin de personne, celui qui est humble sait qu’il a besoin de tout. Et il attend de Dieu sa grâce qui, inlassablement, nous permet à chacune et chacun d’être quelqu’un.
C’est le trajet choisi par le Christ, et résumé dans l’épître aux Philippiens dont nous avons réentendu un extrait. Quitter les hauteurs du ciel, abandonner sa suffisance et se risquer à la relation, à la rencontre.
 
On rejoint ici aussi Martin Luther lorsqu’il disait : « Nous sommes tous des mendiants de la foi .»
 
Autrement dit : Notre vraie valeur ne tient ni dans ce que nous avons, ni dans ce que nous faisons, ni dans ce que nous disons mais dans ce que nous sommes. Et surtout dans ce que nous sommes appelés à devenir par la grâce de Dieu.
 
C’est là-dessus, en ce jour de la Réformation mais demain aussi, qu’il nous faut nous concentrer : relâcher nos efforts d’auto-suffisance, d’auto-justification et vivre un réel lâcher-prise au profit de Celui qui nous fonde et nous justifie.
 
Amen