Pour que la paix ne soit pas un rêve suspendu, par Line Dépraz, pasteure
« La paix, cette année, est un rêve suspendu ».
Vous vous en souvenez peut-être, ces mots ont été prononcés par Kofi Annan, alors secrétaire général des Nations Unies. C’était le 14 septembre 2001.
Prises pour cibles par des terroristes, les Tours Jumelles s’étaient effondrées 3 jours auparavant.
New York et les États-Unis demeuraient à terre.
Plus largement, l’Occident vacillait.
Depuis 2001, combien de fois a-t-on pu reprendre ces mots ?
Trop.
Trop de fois, assurément. Et en ce premier août 2025, ils restent hélas d’une actualité cruelle. Trouvant un écho dans de nombreuses parties du monde.
C’est cette réalité sombre qui m’amène, une fois encore, à questionner la notion de paix que l’on retrouve largement dans la Bible : שלום en hébreu, ειρήνη en grec.
Dans le récit que nous avons réentendu, Jésus s’adresse à ses disciples en leur disant : « Que votre cœur cesse de se troubler, je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. »
Elle est étrange, cette affirmation.
Quelle est donc cette paix qui ne se donne pas à la manière du monde ? Qu’est-ce que ça veut dire ?
Pour essayer d’y voir plus clair, il faut se souvenir que Jésus vivait en Israël-Palestine, à une époque où cette partie du monde était sous domination de l’empire romain.
La « pax romana » comme on l’appelle, la paix romaine, c’est cette période des 1er et 2ème siècles de notre ère qui connaît sous nos contrées et de manière large autour du bassin méditerranéen, une paix relative.
Mais cette paix, c’est une paix des conquérants, des vainqueurs. Imposée aux habitants des territoires occupés. Basée sur la domination, sur le pouvoir, sur une certaine forme de violence, aussi.
Et si les différentes nations de l’époque étaient effectivement plus ou moins en paix les unes avec les autres, c’est probablement parce qu’elles étaient toutes soumises à Rome.
Autant dire qu’une telle paix a quelque chose de malsain à son origine. Et qu’elle contient en elle tous les germes de la rancœur, et du désir de vengeance.
Or Jésus croit, défend et incarne une paix fondée sur le pardon, l’amour et la justice. Un registre fondamentalement différent de la géopolitique qu’il a connue.
C’était un précurseur, Jésus, et un prophète. À tel point que la paix qu’il a promue il y a plus de 2000 ans, se trouve à la croisée de nos conceptions modernes de ce terme.
La paix du Christ dit tout à la fois une harmonie vécue individuellement, à l’intérieur de soi, de soi à soi pourrait-on dire.
Elle a aussi une composante communautaire, sociale, en ce qu’elle concerne nos relations aux autres et à Dieu. Des relations qui s’inscrivent et se vivent au cœur du monde, dans une recherche d’harmonie pour chacune et chacun.
Plus que comme un état, cette paix-là apparaît comme une sorte de quête permanente ou, pourrait-on dire, comme une attention de tous les instants.
Elle requiert une vigilance constante, parce que, dans le fond, elle n’est pas une évidence. On ne peut jamais la considérer acquise pour toujours. Elle est à remettre sur le métier tous les jours. « Que votre cœur cesse de se troubler, je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. »
À cette prise de distance nécessaire de la compréhension habituelle du monde, de sa pensée, de ses habitudes dominantes ; à cette prise de distance nécessaire si l’on veut développer une paix féconde, d’autres mots de la bible viennent faire écho. Ceux de Paul : « Ne vous conformez pas au monde présent, mais soyez transformés par le renouvellement de votre intelligence, pour discerner quelle est la volonté de Dieu. »
Je n’engage que moi, mais… Les dirigeants du monde entier devraient méditer ces paroles. Car m’est d’avis que le renouvellement de l’intelligence n’est pas non plus une évidence. Cela dit…
« Ne vous conformez pas au monde présent. » Si Paul nous y encourage, c’est parce que Jésus l’a prêché, l’a enseigné, l’a vécu. Lui qui n’a cessé de briser des logiques qui semblaient évidentes à tous ou qui, pour le moins, étaient communément admises :
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logique de la vengeance, œil pour œil, dent pour dent ;
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logique de la réciprocité qui encourage à aimer ses amis et combattre ses ennemis ;
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logique de la rétribution qui voudrait que toute situation a une cause et que toute cause a une explication. Et que donc, au final, on mérite bien ce qui nous arrive.
« Ne vous conformez pas au monde présent. » nous dit Paul en ayant à l’esprit l’exemple de Jésus.
Ne voyez dans ces mots aucun mépris par rapport à ce qu’est le monde. Entendez-les comme la marque d’un amour inconditionnel des humains et d’une espérance à toute épreuve.
Vivant de la grâce de Dieu, Jésus s’est appliqué à faire voler en éclat toutes les logiques du monde qui se révélaient, au final, porteuses de mort et non de vie : vengeance, réciprocité, rétribution et j’en passe.
À sa suite, je crois que notre foi, que notre engagement, consiste non pas à s’aligner sur la position du plus fort ou sur la pensée dominante, mais à nous rendre libres de tous les conformismes, des toutes les pressions, de toutes les pseudo-évidences.
Soyez transformés par le renouvellement de votre intelligence…
Agissez selon la mesure de foi que Dieu vous a donnée en partage…
Comme nous avons plusieurs membres en un seul corps et que ces membres n’ont pas tous la même fonction, ainsi, à plusieurs, nous sommes un seul corps en Christ, étant tous membres les uns des autres, chacun pour sa part.
Par ces mots, Paul nous rappelle que notre identité profonde se joue dans notre appartenance au corps du Christ.
À ce titre, nous ne dépendons pas tant de nos réussites ou de nos échecs, de notre statut social, de notre réputation ou que sais-je encore, que de cette grâce manifestée à chacune et chacun et qui se traduit par ce murmure à nos oreilles : « Il est juste et bon que tu sois là où tu es et que tu offres au monde les dons que tu as reçus. »
J’en ai la conviction, le monde se portera mieux, se portera bien, si chacune et chacun s’attache à faire valoir les dons reçus pour le bien du plus grand nombre.
Pour le dire avec les termes de la constitution fédérale, « la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres. »
Pour le dire avec les mots de Jésus : : “Chaque fois que vous le faites à l’un de ces plus petits, qui sont mes frères, c’est à moi que vous le faites ! »
C’est cela, ne pas se conformer au monde.
C’est s’attacher à le faire bénéficier de tous ces dons qui n’appartiennent qu’à soi, et que personne ne pourra faire valoir à notre place.
Alors oui, de grâce, ne nous conformons pas au monde présent.
Offrons-lui ce que nous sommes, ce qui nous fait rêver, ce qui nous tire en avant. Offrons-le lui avec une attention renouvelée à chaque membre du corps.
Ainsi, nous rendrons le monde infiniment humain. Et peut-être demain, ou après-demain, pourrons-nous dire : aujourd’hui, la paix n’est plus un rêve suspendu.
Amen
lecture de Jean 14 : 27
Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Ce n'est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur cesse de se troubler et de craindre.
lecture de Romains 12 : 1 à 8
Je vous exhorte donc, frères, au nom de la miséricorde de Dieu, à vous offrir vous-mêmes en sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu : ce sera là votre culte spirituel. Ne vous conformez pas au monde présent, mais soyez transformés par le renouvellement de votre intelligence, pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bien, ce qui lui est agréable, ce qui est parfait.
Au nom de la grâce qui m'a été donnée, je dis à chacun d'entre vous : n'ayez pas de prétentions au-delà de ce qui est raisonnable, soyez assez raisonnables pour n'être pas prétentieux, chacun selon la mesure de foi que Dieu lui a donnée en partage. En effet, comme nous avons plusieurs membres en un seul corps et que ces membres n'ont pas tous la même fonction, ainsi, à plusieurs, nous sommes un seul corps en Christ, étant tous membres les uns des autres, chacun pour sa part. Et nous avons des dons qui diffèrent selon la grâce qui nous a été accordée. Est-ce le don de prophétie ? Qu'on l'exerce en accord avec la foi. L'un a-t-il le don du service ? Qu'il serve. L'autre celui d'enseigner ? Qu'il enseigne. Tel autre celui d'exhorter ? Qu'il exhorte. Que celui qui donne le fasse sans calcul, celui qui préside, avec zèle, celui qui exerce la miséricorde, avec joie.