Prédication du 1er août 2020

Quand la toute-puissance divine invite à une sorte de désencombrement humain. Une histoire où religion et politique se rejoignent...
D'après Genèse 17: 1 à 8 et Luc 1: 26 à 37
C’est fou de voir comme des mots qui ont été dits et répétés sans sourciller pendant des années peuvent devenir, au gré des circonstances, éminemment sensibles. C’est le cas du tout début du préambule de notre Constitution fédérale : « Au nom de Dieu Tout-Puissant ».
 
Sensibles, ces mots, le sont aujourd’hui à deux niveaux.
 
- Tout d’abord, l’invocation au Dieu des chrétiens questionne, pour ne pas dire agace, les tenants d’une laïcité comprise à la française. Celles et ceux pour lesquel.le.s la neutralité religieuse d’un État se vérifie dans le fait que l’État en question n’aborde pas le fait religieux et qu’il laisse chaque communauté le faire à l’interne.
Dans un tel cas de figure, les protestants s’adressent aux protestants, les catholiques aux catholiques, les juifs orthodoxes aux juifs orthodoxes, les musulmans aux musulmans, etc… et le gouvernement s’en mêle le moins possible. De préférence, pas du tout !
 
- Et puis, du côté des chrétiens, c’est la notion de « toute-puissance » de Dieu qui chatouille. Il y a plusieurs raisons à ce malaise. Parmi lesquelles, sans doute, la reconnaissance de toutes les dérives et de toutes les violences qui, dans l’histoire, ont été perpétrées et justifiées au nom de Dieu.
Un Dieu qui il est vrai, dans la bible comme dans d’autres traditions, est souvent lié à la force. On parle du Dieu des armées. Et vous vous souvenez probablement de la déclinaison qui en a été faite dans l’empire allemand avec la devise « Gott mit uns ».
Mais, de fait, la question de la violence se pose à toutes les religions qui se disent prosélytes, donc qui cherchent à convertir, à rallier à leur cause. Comme le christianisme et l’islam. Jusqu’où peut-on aller dans une telle démarche de conversion des autres ; c’est une vraie question.
 
Alors ce matin, j’aimerais, revenir sur l’enjeu du préambule de la Constitution fédérale et ce qu’il dit de la laïcité telle qu’elle est vécue chez nous. A partir de là, j’interrogerai la notion de toute-puissance.
 
« Au nom de Dieu Tout-Puissant! Le peuple et les cantons suisses, conscients de leur responsabilité envers la Création, résolus à renouveler leur alliance pour renforcer la liberté, la démocratie, l’indépendance et la paix dans un esprit de solidarité et d’ouverture au monde, déterminés à vivre ensemble leurs diversités dans le respect de l’autre et l’équité, conscients des acquis communs et de leur devoir d’assumer leurs responsabilités envers les générations futures, sachant que seul est libre qui use de sa liberté et que la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres, arrêtent la Constitution que voici… »
 
Je conçois bien que cette invocation surprenne, dans une société sécularisée et soucieuse de laïcité. Et pourtant, il faut d’emblée lever un malentendu. Elle n’implique pas que l’État soit chrétien. Ni même qu’il privilégie le christianisme au détriment d’autres religions ou d’autres systèmes de pensée.
 
Si c’était le cas, si on pouvait dire de la Suisse qu’elle est chrétienne, alors l’État imposerait très probablement une confession de foi à tous ses citoyens ; il calquerait ses lois sur des dogmes ou des versets de la bible : il gérerait le fait religieux au niveau fédéral ; il inclurait dans l’enseignement scolaire telle prière ou telle lecture biblique.
Ça n’est pas le cas.
 
Donc, malgré ce préambule, notre État n’est pas une théocratie. C’est un abus de langage de prétendre qu’il est chrétien.
J’en suis personnellement heureuse, car je préfère de loin que l’État se montre le garant de la liberté de toute foi et de toute croyance religieuse plutôt que d’en imposer une.
 
Si l’invocation initiale de la Constitution fédérale ne signifie pas que la Suisse est chrétienne, cela veut dire que l’essentiel de cette invocation se niche ailleurs. Fondamentalement, je crois qu’elle rappelle, en creux, que notre État n’est pas tout-puissant.
 
Je crois que cette invocation, manifeste la reconnaissance des limites humaines afin que chacun se souvienne qu’il n’est pas capable de tout, qu’il n’est pas tout-puissant (puisque que la toute-puissance n’est pas à notre échelle) et que donc, nul ne saurait se permettre n’importe quoi.
En ce sens, cette invocation n’est ni un luxe ni le signe d’une réalité obsolète. Elle est une brèche que notre société laisse ouverte vers ce qui la dépasse et la limite.
 
Or, pour les chrétiens, quel est donc ce Dieu qui nous dépasse et nous limite ?
 
Un Dieu Tout-Puissant. Il faut oser le dire puisque l’expression revient plus de 300 fois dans les Écritures. Parfois des contextes empreints de violence.
 
Cela dit, la toute-puissance de Dieu se manifeste aussi, se manifeste largement, dans des circonstances où c’est un élan de vie qui est salué. D’où les lectures apparemment un peu bizarres que j’ai choisies pour ce 1er août. Mais elles sont emblématiques.
 
Abram.
Abram a déjà bien vécu lorsque Dieu s’adresse à lui en lui disant : « Je suis le Dieu tout-puissant. » Et l’homme de se jeter à terre. Mais n’y voyez pas un signe que la toute-puissance soit écrasante. C’est simplement lié au fait que personne ne peut voir le visage de Dieu.
 
« Je suis le Dieu tout-puissant. » ... Ces mots divins, loin de résonner comme une menace dévoilent une promesse.
Car le Tout-Puissant est porteur d’une alliance et d’une bénédiction. Il promet à Abram ce qui ne paraissait plus concevable pour cet homme qui avait renoncé à toute paternité pour l’amour de sa femme. La perspective est telle qu’il en change d’identité, devenant Abraham, ce qui signifie littéralement « le père d’une multitude ».
 
Là où ça peut résonner particulièrement de faire mémoire d’Abraham un 1er août, c’est en se souvenant que cet ancêtre commun aux 3 religions du livre n’est pas né hébreux sur la terre de ses origines.
Hébreux, il l’est devenu ; après avoir accepté une mise en route ; hors du lieu de sa naissance.
Pour lui, la terre promise est chemin de découvertes. Elle n’est pas un retour à l’origine. Et rien ne laisse entendre dans le récit que ce qui fut, soit plus pur ni meilleur que ce qui est ou ce qui adviendra.
 
Quant au récit de l’Évangile, traditionnellement lu durant le temps de l’Avent, il dit la toute-puissance en ces termes : « Rien n’est impossible à Dieu ».
 
Et là encore, dans ce « rien », c’est l’émergence de la vie qui se joue. À travers deux femmes. Marie, trop jeune pour enfanter. Élisabeth, trop vieille.
 
Ce jaillissement de la vie dans le sein de Marie défie toutes les sciences humaines et reste entouré d’un grand mystère.
J’y vois le signe que l’incarnation de Dieu ne relève d’aucun guide de gynécologie. J’ose croire qu’il en est de même de la virginité.
 
Alors ce que j’en retiens pour moi, qui ai accouché sans mystère un premier août il y a 25 ans de cela… Mais ce que j’en retiens pour vous, aussi, c’est que la virginité à laquelle nous appelle ce Dieu tout-puissant à qui rien n’est impossible, est une forme de désencombrement.
 
La virginité, c’est ce à quoi je dois, ce à quoi nous devons, consentir pour faire place à Dieu en nous.
 
Se délester des faux dieux si envahissants que sont la course au rendement, l’efficacité, le paraître, les jugements à l’emporte-pièce, les préjugés, et tout ce à quoi vous êtes en train de penser.
Se délester de nos faux dieux si accommodants et faire place en soi au Tout Autre pour qu’Il nous féconde et que cela se traduise, dans le monde, par des actes concrets d’amour, de justice, de respect, d’équité, de solidarité.
 
Là où il y aura quelques manifestations ce soir, les politiciens ne manqueront pas de parler de toutes ces valeurs.
 
C’est tous les jours que les chrétiens sont invités à en accoucher.
 
Amen