Prédication du 17 août, "Jésus, un fauteur de troubles?"

 

Jésus, un fauteur de troubles ?, par Line Dépraz, pasteure

 

Il y a des fois où j’ai l’impression que ce que les évangélistes ont mis comme mots dans la bouche de Jésus, ne correspond pas du tout au Jésus que je connais ou que je crois connaître. 

 

Si je pense à ce que je connais de lui, mis à part une terrible colère contre les marchands du temple et quelques formules acerbes, j’en conviens, contre les pharisiens ou divers intégristes de son époque, j’ai l’image d’un homme qui a prêché, vécu, incarné la paix, l’amour, la justice, la justesse, la compassion, l’attention aux plus petits, aux malaimés, aux délaissés, et j’en passe.

 

J’ai un noble image de Jésus.

Alors, cette parole : "Pensez-vous que ce soit la paix que je suis venu mettre sur la terre ? Non, je vous le dis, mais plutôt la division.", elle passe assez mal. Et je me demande pourquoi Luc a tenu à dire les choses de cette manière.

 

En tout cas, ce qui est sûr, c’est que si j’avais fait partie de la foule au moment où Jésus a posé la question de savoir s’il était venu apporter la paix, j’aurais répondu -oui- sans l’ombre d’une hésitation. Je l’aurais même hurlé ce -oui- tant il me paraît une évidence. Oui, Jésus est venu apporter la paix. Il l’a d’ailleurs affirmé lui-même : je vous laisse la paix, je vous donne ma paix… Si vous étiez là le premier août, vous vous en souvenez.

 

Bien sûr, 20 siècles après les faits, ayant pris le temps de lire et relire les évangiles, les épîtres, le premier testament, c’est assez facile, pour nous, d’avoir une petite idée de qui était Jésus.

 

Mais à l’époque, reconnaissons que c’était beaucoup plus difficile d’être affirmatif sur son identité.

Certaines voix commencent à susurrer qu’il est peut-être le messie espéré parce que ses paroles et ses actes donnent à le penser.

Mais à côté de ceux-là, il y a tous ceux qui ne savent pas que faire de cet homme qu’ils ont connu enfant et qui se disent : mais comment est-il possible qu’il dise ce qu’il dit et fasse ce qu’il fait. N’est-il pas le fils de Joseph ?

 

Ce qui était attendu du messie a toujours été discuté et discutable. C’est pour cela que ce titre a été utilisé pour d’autres que Jésus avant lui et qu’à l’époque, les avis à son sujet n’ont pas été unanimes.

 

Beaucoup de personnes espéraient précisément que le messie, viendrait établir triomphalement la paix sur la terre et qu’ils auraient le bonheur d’assister à ce spectacle. Un coup de baguette magistral qui changerait la face du monde. Du jour au lendemain, on ne le reconnaîtrait plus, le monde. 

 

En période d’occupation romaine, espérer la paix issue d’un changement radical, en appeler à la miséricorde divine pour vivre une nouvelle libération en écho à celle d’Égypte, n’avait rien ni d’étonnant ni de naïf.

 

Ce qui est plus complexe à saisir, c’est le choix des mots de Luc.

 

Parce que parler de “division“ en regard de la “paix“, comme il le fait, donne l’impression que la division, c’est le contraire de la paix.

 

Et c’est probablement ce qui nous piège dans la compréhension du récit.

Division et paix ne s’opposent pas.

On aura l’occasion d’y revenir. D’autant plus que le terme grec utilisé ici n’est pas διαβόλος -le diabolos, le diable- qui sournoisement divise.

 

Cest un mot διαμερισμόs (diamerisos) qui n’apparaît qu’une fois dans le Nouveau Testament dérivé d’un verbe qui lui n’apparaît que 11 fois. Essentiellement dans cet épisode et ses parallèles. Mais aussi lorsque les soldats du gouverneur se répartissent les vêtements de Jésus après sa crucifixion. Ou enfin quand Jésus, dans ce même évangile de Luc, prend le dernier repas avec ses disciples et qu’il leur “partage“ la coupe.

 

Quoi qu’il en soit du mot utilisé pour dire la “division“, il m’importe de commencer par réaffirmer haut et fort que cette notion de “division“ apportée par Jésus ne saurait en aucun cas légitimer quelque acte de violence que ce soit.

 

Aucune croisade, aucune guerre fut-elle décrétée sainte, aucun djihad ne trouve de légitimation dans ces mots. Pas plus que ceux qui bénissent des armes.

 

Par contre, cette division a en commun avec l’épée ou le glaive qui sont l’image utilisée par Matthieu dans ce même épisode, la division et le glaive ont en commun le fait de marquer une séparation. Et ça, c’est déterminant.

 

Vous le savez peut-être, en hébreu biblique, on ne dit pas d’un mariage qu’il est scellé, mais qu’il est tranché. Se marier, c’est trancher une alliance avec quelqu’un. Symboliquement, l’alliance est tranchée. Ce qui signifie, contre toute attente, qu’elle est solide, parce qu’il s’agit alors d’une union sans confusion.

 

Une union qui appelle et permet l’autonomie, voire l’indépendance, de chacun des membres du couple parce que deux personnes qui s’unissent ont certes des points communs et des aspirations communes. Mais cela n’efface pas leur identité propre.

 

Même si on ne les aime pas forcément, il y a donc quelque chose de sain, voire vital, dans la séparation.

 

Les grands récits de la création du monde évoquent d’ailleurs, dans toutes les traditions, la création par séparations successives : la lumière d’avec les ténèbres, le firmament du sol, la terre de l’eau, etc… Ce sont ces séparations successives qui permettent d’ordonner le chaos afin que la vie émerge.

 

Notre naissance, elle-même, résulte de la séparation d’avec le corps de notre mère.

 

En ce sens, la séparation est bonne.

Et je pense que c’est ainsi que Jésus nous appelle à entendre les mots si dérangeants qu’il a prononcés car je ne crois pas qu’il avait pour volonté de semer le petchi dans les familles pour le simple plaisir de semer le petchi dans les familles.

 

En insistant sur la séparation, sur la distinction du père et du fils, de la fille avec sa mère et même sa belle-mère, Jésus encourage ses contemporains, à oser être libres dans leur vie et dans leur foi. Il les encourage à devenir des croyants adultes et responsables.

 

Bien avant tous les discours psys, il plaide pour que nous osions nous débarrasser de ce qui nous formate au point de nous empêcher d’avoir notre propre relation avec Dieu.

 

C’est courageux, de sa part. Surtout qu’à l’époque et sous son impulsion, une véritable révolution a lieu qui divise les générations et secoue les familles. Entre celles qui le confessent comme le messie et celles qui demeurent fidèles à la loi de Moïse et aux prophètes.

 

Par ses paroles tranchantes, Jésus nous invite à ne pas calquer notre foi par habitude ou par facilité sur celle de nos ancêtres mais à entrer dans cette relation unique que Dieu veut construire avec chacune et chacun ; une relation qui se tisse, pour une part, au travers de notre héritage, mais aussi en fonction de notre cheminement propre, de nos certitudes, nos doutes, nos interrogations, de l’expression de ce qui nous dérange, nous choque, ou nous nourrit.

 

Et puis, probablement aussi, qu’en insistant sur la division, la séparation entre les uns et les autres, Jésus nous rend-il attentifs à ne pas nous prendre pour le Père alors que nous sommes ses fils et filles.

 

Lorsque nous nous prenons pour Dieu et que nous confondons nos notions de justice et de vérité avec le Tout-Autre, nous ne laissons aucune place aux autres. Nous ne laissons en fait aucune place non plus à Dieu lui-même car en confondant les réflexions de notre esprit et les cris de nos tripes avec sa voix, nous le réduisons à l’image que nous nous en faisons.

 

En Jésus-Christ, Dieu devient notre Père. Comme tout “bon père“, il n’espère pas que nous soyons ses miniatures, c’est-à-dire ses copies conformes en plus petits. Mais des individus qui engagent avec lui une relation responsable et exigeante.

 

Jésus apporte la division, la séparation sur la terre, pour que chacun trouve sa juste place dans le monde et vis-à-vis de Dieu.

 

En dépit des apparences, c’est une bonne nouvelle !

 

Amen

 

 

lecture de luc 12 : 51 à 53

« Pensez-vous que ce soit la paix que je suis venu mettre sur la terre ? Non, je vous le dis, mais plutôt la division. Car désormais, s'il y a cinq personnes dans une maison, elles seront divisées : trois contre deux et deux contre trois. On se divisera père contre fils et fils contre père, mère contre fille et fille contre mère, belle-mère contre belle-fille et belle-fille contre belle-mère. »

 

Lecture de l’épître aux éphésiens 2 : 11 à 17

Souvenez-vous donc qu'autrefois … vous étiez sans Messie, privés du droit de cité en Israël, étrangers aux alliances de la promesse, sans espérance et sans Dieu dans le monde. Mais maintenant, en Jésus Christ, vous qui jadis étiez loin, vous avez été rendus proches par le sang du Christ. C'est lui, en effet, qui est notre paix : de ce qui était divisé, il a fait une unité. Dans sa chair, il a détruit le mur de séparation : la haine. Il a aboli la loi et ses commandements avec leurs observances. Il a voulu ainsi, à partir du Juif et du païen, créer en lui un seul homme nouveau, en établissant la paix, et les réconcilier avec Dieu tous les deux en un seul corps, au moyen de la croix : là, il a tué la haine. Il est venu annoncer la paix à vous qui étiez loin, et la paix à ceux qui étaient proches.