"Heureux malgré le bruit et la fureur du monde", par Serge Molla, pasteur
S’il est un mot difficile à entendre par les temps qui courent, hormis si l’on dépas-se telle ou telle situation bien particulière ou personnelle, c’est bien le mot bon-heur, tant il est vrai que les actualités génèrent de l’angoisse. Que l’on songe aux refrains qui ponctuent jour après jour les nouvelles du monde, refrains de guerre, de crise climatique, d’anniversaire du 13 novembre en France voisine, de cessez-le-feu sur des champs de ruine, de typhons destructeurs, etc. Alors entendre la scansion de l’adjectif heureux par Jésus aux siens paraît hors sujet. Et pourtant.
Heureux ou en marche, c’est ainsi que l’on traduit le premier mot prononcé par Jésus dans ce fameux passage de l’évangile de Matthieu. Le problème, c’est que l’adjectif heureux donne une impression statique ; il semble évoquer un état permanent, alors que l’expression en marche suggère au contraire un mou-vement. Alors comment entendre mal-gré tout ce mot qui fait refrain sur les lèvres de Jésus ? Les disciples reçoivent-ils une qualification ou une injonction dynamique ? Entendez-vous un adjectif qui évoque un bonheur offert ou une parole forte qui vous met en route malgré un quotidien désespérant ?
Tout d’abord, c’est bien à ses proches que s’adresse Jésus, à ces quelques hommes qui ont renoncé à leurs habitudes pour le suivre et l’écouter. Mais c’est également à vous qui êtes présents..., qui ne faites pas comme tout le monde, sinon vous ne seriez pas là. Il s’adresse donc en premier lieu à celles et ceux qui veulent être décentrés, pour ne pas dire délivrés d’eux-mêmes.
Et à bien y regarder, elles bousculent ces paroles fortes qui toutes commencent par heureux ou en marche. Elles déran-gent parce qu’elles sont loin d’inciter à un bonheur à bon marché, à disposition de tout un chacun comme les leçons autocentrées et proposées dans nombre d’ouvrages de développement personnel. Elles vont dans un tout autre sens que celui de vous permettre d’atteindre une zone de confort. Ces paroles creusent au contraire l’abîme qui fait du disciple quelqu’un d’à part. Mais, com-prenez-moi bien, pas quelqu’un d’à part au sens de quelqu’un de meilleur, d’exceptionnel, à envier, qui aurait trouvé la recette de l’équilibre intérieur, mais d’à part, qui ne suit pas le mouvement général, ne fait pas siennes les valeurs courantes. Quelqu’un d’à part, en tout cas pas modèle aux yeux de la société. Ce sont pourtant ceux-là que Jésus désigne, ceux qui ne jouent pas le jeu du monde.
A commencer par les pauvres de cœur, c’est-à-dire ceux qui ne revendiquent rien, qui ne comptent pas sur leurs propres forces, mais qui placent leur espérance en Dieu.
Mais aussi les doux, ces faibles aux yeux du monde, Il ose les déclarer heureux, en allant jusqu’à dire qu’ils auront la terre en partage, comme une manière d’affirmer que la terre appartient à ceux qui sont privés de tout droit et de tout pouvoir, ce qui à vue humaine…
… Songez aux peuples autochtones à la Cop 30 au Brésil, exclus des réflexions et négociations…
Jésus poursuit en déclarant heureux ceux qui pleurent, ceux qui ploient sous la douleur de la perte. Il leur promet que le deuil ne les brisera pas, mais qu’au con-traire ils porteront le deuil dans la force de celui qui lui-même les porte, ce qui à vue humaine…
De même, Il ose déclarer heureux ceux qui ont faim et soif de justice, ceux qui ont renoncé à leur propre justice. N’est-ce pas eux qui portent devant Dieu et à la suite du crucifié le cri de ces affamés et assoiffés mon Dieu mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ?
Heureux sont les miséricordieux, ajoute-t-il, c’est-à-dire ceux qui éprouvent dans leur chair même, dans leurs entrailles, la compassion et l’intense désir de relever l’autre, malgré tout. Dieu ne pourra que faire de même à leur égard.
De même, Il désigne comme heureux ces cœurs purs qui ne regardent que Celui qui marche devant eux et lui appartien-nent sans partage, ces naïfs qui sem-blent détachés de tout réel horizontal.
Jésus pointe comme heureux moins ceux qui parlent de paix qu’ils ne la sèment et la bâtissent en renonçant à la violence, des mots et des actes, qu’elle soit poli-tique, sociologique, psychologique ou économique, convaincus qu’ils sont que la fin ne justifie jamais les moyens mais qu’au contraire les moyens mis en œuvre ne font qu’annoncer la fin recherchée.
Jésus va plus loin encore en déclarant heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, c’est-à-dire ceux que l’on jette au fond d’une geôle en espérant que tout le monde les oubliera. Il affirme heureux ceux qui sont objets de scandale et de moquerie pour un monde qui ne connaît que les mots de vengeance, de violence et de pouvoir, un monde qui sème la haine et bafoue jour après jour toute justice, où se déploie l’horreur que les plus faibles paient au prix fort.
Alors, mes sœurs et mes frères, entendez bien : heureux sont les disciples, heureux êtes-vous à cause de moi, pré-cise Jésus. Non pas par quelque tour de passe-passe ou miracle qui éloigneraient la violence subie, le rejet, l’horreur, ou ferait disparaître comme par enchante-ment le mal ou tout ce qui porte atteinte à la création ou à la vie. Non, rien de tout cela n’est écarté ni effacé. Au contraire, l’horreur, le tragique demeurent, mais tout ce mal se concentre à la croix qui tient Dieu dans ses branches, arbre croix où Dieu se tient car Il a tant aimé le monde qu’Il l’embrasse jusqu’au bout.
Aussi entendez-bien et réjouissez-vous : vous toutes, vous tous, comme chaque disciple, vous êtes appelés à être heu-reux, c’est-à-dire à vivre d’un bonheur qui n’a rien à voir avec ce que désigne habituellement ce vocable que l’on associe volontiers à quelque sérénité et paix. Heureux êtes-vous à cause d’un autre, de moi dit Jésus. Elle est lourde de conséquences cette affirmation de bon-heur. Elle n’incite donc pas à mépriser ou rejeter le monde, mais à le porter avec le Christ, sans être abattus, à prier sans relâche, malgré tout, sans être écrasés ou aigris.
C’est pourquoi, finalement, je me réjouis de la double traduction heureux et en marche. Oui, heureux, êtes-vous, vous qui placez librement votre existence à l’écoute d’un autre. Heureux êtes-vous qui ne croyez pas ou plus aux discours qui posent la puissance et la force comme seuls moyens d’affirmation et d’identité. Heureux êtes-vous qui renoncez à l’avoir pour l’être, vite dit mais non vite fait.
Mais impossible d’imaginer que ce bon-heur permet d’attendre simplement, d’opter pour la passivité, jusqu’à croire qu’un tel bonheur se satisfait du statu quo. Et c’est pourquoi l’expression en marche traduit également l’adjectif utilisé par Jésus. Oui, une marche vous attend, aussi exigeante que nécessaire, pour rester à l’écoute, pour ne pas perdre pied, pour ne pas se laisser prendre par l’anxiété et la déprime au cœur du bruit et de la fureur du monde.
Vous voici tendus dans l’écoute jusqu’à découvrir que cette attention, cette écoute d’un autre, vous conduisent à l’attention de ceux que l’on ne voit pas ou plus, à l’écoute des non écoutés, à l’écoute de la création toute entière qui aujourd’hui plus encore qu’hier, souffre et gémit.
Et si la lassitude guette et qu’il fallait être encouragé pour cette marche exigeante, rappelez-vous que bien des témoins du Christ, ses amis, nous pré-cèdent, ceux que l’on désigne parfois comme saints. Ce sont ceux dont Dieu connaît les noms, inscrits au livre de vie. Ces saints qui ont tenu bon malgré tout, malgré le mal et l’injustice, malgré les menaces, la souffrance et parfois la mort. Ils ont tenu malgré tout, témoi-gnant par leur ténacité du Dieu vivant qui essuiera toute larme des yeux, qui rassasie toute faim et étanche toute soif.
Heureuses, êtes-vous mes sœurs en Christ. Heureux, êtes-vous mes frères en Christ. Amen
lecture de Esaïe 6 : 1 à 8
L'année de mort du roi Ozias, je vis le Seigneur assis sur un trône très élevé. Sa traîne remplissait le temple. Des séraphins se tenaient au-dessus de lui. Ils avaient chacun six ailes : deux pour se couvrir le visage, deux pour se couvrir les pieds et deux pour voler.
Ils se criaient l'un à l'autre : « Saint, saint, saint, le SEIGNEUR de l'univers, sa gloire remplit toute la terre ! » Les pivots des portes se mirent à trembler à la voix de celui qui criait, et le temple se remplissait de fumée.
Je dis alors : « Malheur à moi ! Je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, j'habite au milieu d'un peuple aux lèvres impures et mes yeux ont vu le roi, le SEIGNEUR de l'univers. »
L'un des séraphins vola vers moi, tenant dans sa main une braise qu'il avait prise avec des pinces sur l'autel. Il m'en toucha la bouche et dit : « Dès lors que ceci a touché tes lèvres, ta faute est écartée, ton péché est effacé. »
J'entendis alors la voix du Seigneur qui disait : « Qui enverrai-je ? Qui donc ira pour nous ? » et je dis : « Me voici, envoie-moi ! »
lecture de Apocalypse 7 : 2 à 17
Et je vis un autre ange monter de l'orient. Il tenait le sceau du Dieu vivant. D'une voix forte il cria aux quatre anges qui avaient reçu pouvoir de nuire à la terre et à la mer :
Gardez-vous de nuire à la terre, à la mer ou aux arbres, avant que nous ayons marqué du sceau le front des serviteurs de notre Dieu.
Et j'entendis le nombre de ceux qui étaient marqués du sceau : Cent quarante-quatre mille marqués du sceau,
de toutes les tribus des fils d'Israël.
De la tribu de Juda douze mille marqués du sceau.
De la tribu de Ruben douze mille,
de la tribu de Gad douze mille,
de la tribu d'Aser douze mille,
de la tribu de Nephtali douze mille,
de la tribu de Manassé douze mille,
de la tribu de Siméon douze mille,
de la tribu de Lévi douze mille,
de la tribu d'Issakar douze mille,
de la tribu de Zabulon douze mille,
de la tribu de Joseph douze mille,
de la tribu de Benjamin douze mille marqués du sceau.
Après cela je vis :
C'était une foule immense que nul ne pouvait dénombrer,
de toutes nations, tribus, peuples et langues. Ils se tenaient debout devant le trône et devant l'agneau, vêtus de robes blanches et des palmes à la main. Ils proclamaient à haute voix : Le salut est à notre Dieu qui siège sur le trône et à l'agneau. Et tous les anges rassemblés autour du trône, des anciens et des quatre animaux tombèrent devant le trône, face contre terre, et adorèrent Dieu.
Ils disaient : Amen ! Louange, gloire, sagesse, action de grâce, honneur, puissance et force à notre Dieu pour les siècles des siècles ! Amen !
L'un des anciens prit alors la parole et me dit : Ces gens vêtus de robes blanches, qui sont-ils et d'où sont-ils venus ?
Je lui répondis : Mon Seigneur, tu le sais !
Il me dit : Ils viennent de la grande épreuve.
Ils ont lavé leurs robes et les ont blanchies dans le sang de l'agneau. C'est pourquoi ils se tiennent devant le trône de Dieu et lui rendent un culte jour et nuit dans son temple.
Et celui qui siège sur le trône les abritera sous sa tente.
Ils n'auront plus faim, ils n'auront plus soif, le soleil et ses feux ne les frapperont plus, car l'agneau qui se tient au milieu du trône sera leur berger, il les conduira vers des sources d'eaux vives. Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux.
lecture de Matthieu 5 : 1 à 12
A la vue des foules, Jésus monta dans la montagne. Il s'assit, et ses disciples s'approchèrent de lui. Et, prenant la parole, il les enseignait :
« Heureux les pauvres de cœur : le Royaume des cieux est à eux.
Heureux les doux : ils auront la terre en partage.
Heureux ceux qui pleurent : ils seront consolés.
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice : ils seront rassasiés.
Heureux les miséricordieux : il leur sera fait miséricorde.
Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu.
Heureux ceux qui font œuvre de paix : ils seront appelés fils de Dieu.
Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice : le Royaume des cieux est à eux.
Heureux êtes-vous lorsque l'on vous insulte, que l'on vous persécute et que l'on dit faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi. Soyez dans la joie et l'allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ; c'est ainsi en effet qu'on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés.