Prédication du 13 septembre

"Faute avouée est à moitié pardonnée"?  Quand Jésus passe par là, il s'avère le pardon n'existe qu'à la seule condition d'être sans conditions.
D'après Genèse 4: 8 à 15 et Matthieu 18: 21 à 27
« Faute avouée est à moitié pardonnée » … c’est ce que dit l’adage. Et peut-être que, comme moi, vous en avez été abreuvés durant votre enfance.
Je l’avoue, j’ai peu goûté entendre ces mots. Surtout lorsque je n’avais pas la conscience tranquille. Ce n’était pas tous les jours, je vous rassure. Mais, à force de les entendre, ce genre de mots, ils finissent par vous titiller, y compris dans des moments où on ne vous les adresse pas …
« Faute avouée est à moitié pardonnée ». Voilà une affirmation qui semble a priori très juste, très sage ; digne d’une belle morale. A l’ère de la transparence, c’est du politiquement correct, grand cru.
 
Et… c’est sans doute ce qui me dérange.
 
Parce qu’on ne peut pas dire que Jésus faisait bon ménage avec le politiquement correct. S’il fallait s’en persuader, l’entier de ce chapitre 18 de l’évangile de Matthieu en témoigne. Un chapitre qui, à la manière d’un puzzle, assemble différentes pièces pour dresser une image du pardon. Pour évoquer un cheminement possible permettant d’aller au-delà du mal subi ; permettant d’envisager une forme de réconciliation. Mais, par rapport à la morale de l’époque, que de révolutions dans ce cheminement !
 
Tout part de l’interrogation des disciples : « qui donc est le plus grand dans le Royaume des cieux ? »
 
Et Jésus de construire sa réponse par séquences, en mettant à chaque fois au centre de la scène le plus petit. Les disciples rêvent de grandeur. Jésus se concentre sur le plus petit. Il focalise son attention sur celui qui se trouve fragilisé parce qu’il est tombé, parce qu’il est offensé, parce qu’il s’est perdu. Première révolution ! Premier changement de regard.
 
S’il fallait résumer en une phrase l’enjeu de l’attitude de Jésus au travers de tous les exemples qu’il déploie, je dirais qu’il nous force à nous demander : pourquoi… pourquoi le pardon ne va-t-il pas de soi ? Qu’est-ce qui le rend si difficile à offrir parfois aussi à recevoir quand bien même on en a fait l’expérience et qu’on sait à quel point il est libérateur ?
 
Pourquoi le pardon ne va-t-il pas de soi ? Peut-être parce que nous nous méprenons sur ce qu’il est réellement.
 
Dans notre culture, je le disais tout à l’heure, le pardon a à voir avec la sphère de la morale. Or, chrétiennement, bibliquement, le pardon n’est pas affaire de morale, mais de vie. Il est un élan de vie. Et dans le court extrait que nous avons réentendu, c’est bien l’évolution que va devoir faire Pierre et nous à sa suite. Passer de la morale à la vie.
 
Pour comprendre le contexte, rappelons que la communauté à laquelle s’adresse Matthieu traverse une phase critique. Nous sommes à la fin du 1er siècle. Les tensions entre les Juifs et les nouveaux convertis à la foi chrétienne s’intensifient à tel point que la cohésion de la communauté est en jeu. Après une sorte d’exaltation propre à l’émergence de toute nouvelle communauté, le poids, les contraintes du vivre ensemble commencent à se faire sentir. Et c’est ce dont Pierre se fait l’écho : « Seigneur, quand mon frère commettra une faute à mon égard, combien de fois lui pardonnerai-je ? Jusqu’à sept fois ? »
 
Cette question est profonde. Mais elle est dictée par l’illusion que l’on peut quantifier le mal subi et que le pardon pourrait être proportionnel à la faute.
A cette illusion, la réponse de Jésus sonne comme un couperet « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois. »
 
Pourquoi cette réponse ?
 
Dans le livre de la Genèse, nous avons réentendu que Caïn, chassé du paradis serait vengé 7 fois si quelqu’un attentait à sa vie. Juste après cela, le récit raconte qu’un de ses descendants nommé Lamek affirme : « Caïn sera vengé sept fois, et Lamek soixante-dix-sept fois. » Une manière de dire que la vengeance peut ne pas avoir de fin !
Dans l’évangile, Jésus saisit cette allusion au vol, mais, comme si souvent, il en inverse la dynamique et l’applique au pardon. « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois. »
Le pardon devient ainsi aussi illimité que peut l’être le besoin de vengeance. C’est la deuxième révolution ! L’idée d’un pardon illimité.
 
Et Jésus va continuer à déplacer Pierre, un peu plus encore, avec la parabole qui suit.
 
Face à la faute, face au mal subi incarné par le serviteur qui a des dettes au-delà du concevable, il présente un roi qui, loin de tout calcul mathématique, choisit de répondre au serviteur indélicat par un sentiment profond, que connaissent toutes les mères (mais pas seulement) : la miséricorde. « Pris de pitié », littéralement « ému aux entrailles », le maître pardonne et remet la dette. C’est la figure la plus maternelle qui soit pour décrire Dieu, et elle est présente dans les deux testaments : être ému aux entrailles.
 
Une manière de nous signifier, à chacune et chacun, que le pardon est précisément destiné à ce qui n’est pas excusable. A ce qui est au-delà du concevable. Il n’existe qu’à la seule condition d’être sans conditions. Geste fou à l’image du pardon originel de Dieu. Et non calculs d’épiciers pour lesquels nous sommes si doués.
 
Et c’est bien l’inconditionnalité de ce geste qui sort le pardon du domaine de la morale pour nous le faire considérer comme un véritable élan de vie.
Jésus nous rend ainsi attentifs au fait que la raison d’être du pardon n’est pas seulement pour celle ou celui qui est pardonné, mais aussi pour celle ou celui qui pardonne.
Car en pardonnant, on se libère du mal subi.
Ne pas pardonner, c’est maintenir l’offenseur dans son rôle d’offenseur ; c’est donc maintenir l’offensé dans sa posture d’offensé.
Seul un pardon sans conditions permet de nous affranchir d’une situation aussi vicieuse que diabolique.
 
Dans le fond, on pourrait dire que le pardon, c’est un peu comme l’amour. En le donnant, on ne perd rien.
 
La preuve ?
 
Juste avant notre passage, vous en avez peut-être souvenir, il y a cette fameuse affirmation de Jésus : « là où deux ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux. »
 
Quand un offensé pardonne à son offenseur, il sort de son enfermement, de sa solitude, de son isolement et se donne la possibilité de retrouver un vis-à-vis.
 
C’est la citation de Pohier qui est sur le feuillet de culte : « Le vrai pardon ne fait pas la leçon, il est trop occupé à se tenir, presque incrédule, sur le seuil de la rencontre retrouvée, de se réhabituer au fait que l’autre soit là, qu’on ne soit plus séparé, qu’on soit de nouveau ensemble, même meurtris. »
 
Quand on pardonne, on ne perd rien. Pas même la face. Mais on gagne quelque chose d’important : un frère, un ami… et je le redis… « là ou deux ou 3 se trouvent réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux » dit Jésus…
 
… Pardonner, retrouver un frère même en demeurant meurtri, c’est la possibilité d’être deux… et donc la possibilité de bénéficier pleinement de la présence de Jésus.
 
N’est-ce pas ainsi que le pardon devient le plus beau des cadeaux d’abord pour celle ou celui qui le donne ?
 
                                                                         Amen