« Alors Dieu dit à Noé : Sors de l’arche ! »[1] - par Laurent Jordan, pasteur
Chères amies et amis en Christ, « différentes catastrophes ont laissé des traces dans la mémoire collective de l’humanité : Des récits de déluges et de destructions, pas seulement dans la bible, mais aussi dans d’autres cultures »[2].
Dans notre récit de ce matin, l’heure n’est pourtant plus au déluge, mais à l’après-déluge ! Noé sort de l’arche avec sa famille et une diversité d’espèces vivantes, symbolisant un recommencement de vie possible après la dévastation. Plus jamais de déluge, « l’avenir est à la promesse »[3] ! Alors Noé répond à cette grâce en témoignant sa reconnaissance par un don offert à Dieu !
Après le déluge, l’avenir est à la promesse ! Comme c’est vite dit, n’est-ce pas ?
Vous le savez, comme vous, je suis plein d’espoir ! Or je n’ignore pas que tout nous porte à penser le contraire. En Ukraine, il n’y a pas d’après déluge ni d’après-guerre en vue, mais seulement des morts et des blessés et des menaces pour l’Europe. Pas d’après déluge non plus pour un millier de migrants qui meurent chaque année dans les flots de la méditerranée. A Gaza, depuis vendredi, est-ce l’après déluge ? Certes, les otages seront libérés, mais les foules qui rentrent à la maison vont camper sur des amas de pierres qui ne murmurent pas la bienveillance comme dans cette cathédrale ; elles crient la perte et l’impuissance ; la destruction est encore là pour longtemps.
Avec vous, j’ose dire pourtant ce matin que je suis plein d’espoir, parce que, comme l’écrivait Yannick Haenel : « Ce monde qui court à sa perte porte en lui quelque chose qui résiste à l’horreur ! »[4]
« Cela ne suffit pas à sauver ce qui est déjà mort, mais au moins cela suffit à ce que l’indemne existe » ajoute-t-il.
La résistance est celle d’une lueur, d’une lumière ressentie et partagée comme sous les voutes de notre cathédrale avec les illuminations de bougies de ces deux derniers soirs. Une lumière qui témoigne d’une autre respiration, d’une autre manière de vivre. Résister au désespoir signifie alors : Ecouter une parole lumineuse qui vient d’Ailleurs ou comme ce matin, écouter une narration poétique de déluge et de recommencement.
Le langage et la terre ne sont-ils pas le même territoire à nous « réapproprier » après avoir été « expropriés »[5] par nos propres déluges, par la souffrance, les rejets et les blessures ?
Les mots n’ont-ils pas la force de nous faire sortir de nos violences et nos enfermements, de même que Noé est appelé à sortir de l’arche par une Parole de Dieu qui le fait exister ? De quel nom appeler cette résistance lumineuse d’après déluge, si ce n’est du nom d’espérance au-delà de toute espérance, de bénédiction ? Des paroles bienfaisantes, réparatrices qui nous ramènent sur terre, au sec, sur un territoire réapproprié. Paroles qui nous encouragent à exister.
Pour nous ce matin, l’heure n’est plus au déluge, mais à une parole d’espérance. L’heure n’est ni au retrait, ni au confinement, ni à nous abriter, nous réfugier dans l’arche de Noé collante de goudron et bien étanche. L’arche d’une peau dure qui nous protègerait de notre environnement, des agressions, des paroles méchantes, des relations toxiques, des mauvaises nouvelles !
En effet, à force de lutter et de résister, il arrive que vous et moi nous finissions par avoir la peau dure ! Avec le temps, nous nous sommes endurcis ! Je pense à toutes celles et ceux qu’on n’a plus dans la peau, dans l’arche avec nous! Que sont-ils devenus dans le déluge des jours passés ? Perdus de cœur et de vue parce qu’on n’a plus su se dire qu’on s’aime, qu’on se pardonne, parce qu’on a oublié la fin du déluge et l’invitation à recommencer à vivre autrement, en paix, humblement et avec reconnaissance. Noé, à la sortie de l’arche ne commence-t-il sa nouvelle vie d’après déluge en offrant un don au Vivant qui sauve !
Dans le récit de la Genèse, l’heure n’est plus à la violence et à la dévastation, mais au projet de vie. Dieu choisit de continuer sa création première, bonne ; Dieu choisit de déposer ses armes dans le ciel. Il choisit l’arc-en-ciel, l’arche des cathédrales plutôt que l’arche d’un bateau-refuge enduit de goudron pour résister à l’adversité des flots.
Le Vivant décide de ne plus céder à la colère destructrice, quand bien même l’humanité reste portée au mal, à « tordre les relations , avec soi-même, avec autrui, avec la création, avec Dieu »[6].
L’auteur Jacques Attali[7] a écrit : « L’humanité mérite-t-elle d’exister, quand on voit les ravages qu’elle cause à la nature, la façon dont les humains s’entretuent, les femmes et enfants martyrisés, violés, affamés, la pauvreté des systèmes de santé, la médiocrité des dirigeants ? » Puis il ajoute : « Et pourtant malgré sa monstruosité suicidaire l’humanité mérite de survivre car elle a produit tellement de trésors, d’intelligence. Tellement d’humains ont encore envie de changer les choses de manière positive. Il y a encore tellement de savants, d’artistes, de gens de bonne volonté, d’ humbles et de puissants que l’on peut espérer que l’humanité soit utile encore à elle-même ! »
Oui, Dieu cultive ce projet d’espérance, celui de nous bénir en nous abritant autrement que dans une arche sombre et puante ! C’est dans l’arche gracieuse de ses mains jointes, en prière que le Christ nous tient en vie et en espérance !
Le récit d’ouverture de l’arche nous témoigne que le temps est aux recommencements possibles ! Est-ce malgré, en dépit de ou à cause de la violence et du mal – je ne sais le dire - mais « Dieu est résolument du côté du pardon et de la vie »[8] !
Hannah Arendt[9] a écrit : « Les êtres humains, bien qu’ils doivent mourir, ne naissent pas pour mourir mais pour commencer ! Plus précisément pour recommencer à entrer dans la perspective d’alliance avec le créateur. »
Alors, oui, Noé, entre dans sa nouvelle vie et une relation renouvelée avec le Vivant qui l’interpelle encore et toujours et nous avec lui : « Sortez de l’arche, quittez vos refuges ! Sortez de vos peurs, de vos déluges, de vos chamboulements de vie pour entrer encore davantage dans la quête du sens de votre vie et plus profondément dans la promesse d’avenir offerte. Sortez de l’arche pour entrer dans ce cadeau et cette jouissance d’exister ! Essayez d’en faire quelque chose de beau, de réussi ! Recommencez à vivre par de-là la violence, la haine et la dévastation. Résistez à la méchanceté humaine, n’en désespérer pas puisque Dieu lui-même fait avec ! »
Chères amies et amis en Christ, dans le souffle de l’Esprit consolateur , nous passons, nous aussi de la désespérance à l’espoir. Nous passons avec Noé de l’arche ballottée par le déluge à l’arc-en ciel de Lumière trônant au-dessus des eaux. Nous passons du désespoir à la confiance !
Ce matin, par pure grâce, la terre est sèche sous nos pieds ! Je ne parle pas de climat ni de météo – mais de salut. Nous pouvons nous tenir debout sans nous enfoncer ; nous osons sortir avec Noé et les siens de nos vies encaissées par la peur, comme des arches de bois goudronnées, étanches à l’environnement hostile, nous protégeant des agressions, gardant la distance, nous renfermant dans nos esprits assombris.
Dans notre cathédrale, les arches ne sont pas de bois mais de pierres pérennes qui murmurent à nos cœurs depuis 7 siècles et demi d’espérer au-delà de tout déluge ; des arches de lumière qui élèvent nos prières à travers le visible et l’invisible, inspirent notre reconnaissance et notre joie d’exister.
Oui, au-delà de tout déluge, Dieu ouvre un avenir même si les humains ne changent pas !
Car vous l’aurez bien compris : Dieu a une infinie patience avec nous !
Dieu nous sauve à cause du mal qui nous colle à la peau. « Les dessins du cœur de l’être humain sont mauvais dès sa jeunesse » rappelle l’auteur de l’après déluge.
Finalement le déluge n’a peut-être pas servi à grand-chose si ce n’est à témoigner , bien avant l’heure, que le Vivant est bien celui qui fait grâce une fois pour toutes et que le déluge de mort et d’impuissance est bien derrière nous en Jésus -Christ, mort sur la croix et ressuscité.
Au-delà du déluge, la promesse est à la stabilité et à la permanence[10]. Même si tout ce que construisons aujourd’hui dans ce monde est d’apparence éphémère, fragile comme un cessez-le-feu, un retour d’otages, un espoir de paix ou un recommencement de vie à Gaza. Il n’en demeure pas moins que l’avenir le plus sûr est à bâtir sur le roc. C’est-à-dire à l’écoute de la Parole Vivante, une Parole d’espérance , comme nous y invite l’évangile de Matthieu ce matin et non sur le sable mouvant du désespoir[11] et du désengagement.
Noé est donc sorti des arches abyssales du déluge. Jésus quant à lui est sorti et relevé de ce même gouffre pour que nous vivions éternellement ; aussi ce matin nous offrons dans ce culte notre don de foi et de louange tel un parfum de reconnaissance qui monte jusqu’aux voutes du ciel et de l’arc-en- ciel. Lumière d’espérance imprégnant aux arches de pierre la trace d’une Présence aimante, inconditionnellement bienveillante, heureuse.
« Nos histoires de vie ne sont pas condamnées à se répéter et à échouer indéfiniment »[12] !
J’ose le redire : Il ne faut jamais désespérer ni de soi-même, ni des autres, ni de ce monde , ni-même de Dieu ! Il y a encore de la bénédiction dans l’air à inspirer et du bonheur à partager sur terre, sous les voutes du ciel et sous les arches de nos cathédrales.
« Tant que la terre durera, semailles et moissons, chaleur et froidure, été et hiver, jour et nuit ne cesseront jamais »[13].
Amen
[1] Genèse 8,13
[2] Référence perdue
[3] Nicolas Künzler – Le déluge – l’avenir est à la promesse Ed. Du Moulin 1990 p.31
[4] Yannick Haenel -Charlie Hebdo -- 17 septembre 2025
[5] Idem
[6] Cité d’après Nicolas Künzler - l’avenir est à la promesse ou prof. Christophe Chalamet – L’alliance de Dieu
[7] Jacques Attali – danser près de la porte – Flammarion 2025 p. 36
[8] Nicolas Künzler
[9] Hannah Arendt, politologue américaine 1906-1975, citée par Jean-Christophe Chalamet
[10] Nicolas Künzler. idem
[11] Mat 7, 26
[12] Jean- Baptiste Germain, Méditation
[13] Genèse 8, 22