Prédication du 12 mars: Pardonne, c'est un ordre!

Pardonne, c’est un ordre !

Décidément, les évangiles ne cessent de nous prendre à rebrousse-poil et Jésus de nous surprendre. On l’a vu dimanche dernier avec les béatitudes. Ce matin, c’est re-belotte.

 

L’interdiction du meurtre, on peut probablement tous y souscrire sans trop de problème. D’autant que nous vivons dans un pays qui ne pratique pas la peine de mort.

 

Mais se retrouver au tribunal sous prétexte de colère envers un frère qu’on aurait pu traiter d’imbécile…

… Malgré la tendance à la judiciarisation de notre époque, ça paraît un brin excessif. Et si c’était appliqué, j’avoue que je ne serais sûrement pas en train de vous parler, parce que, les noms d’oiseaux, hélas, j’en profère quelques-uns.

 

Se pose donc la question de savoir pourquoi Jésus énonce-t-il de tels propos ?

  • La loi juive, et ses nombreux commandements, il les connaît.
  • Le décalogue, qui en est le fondement, il le connaît aussi.
  • Il expérimente jour après jour que le système donne un cadre tout à fait correct au vivre ensemble.

Pourquoi ce besoin d’en radicaliser le propos ?

 

Et quand j’utilise le verbe “radicaliser“, vous percevez les dangers sous-jacents à l’attitude de Jésus.

 

Aujourd’hui, des personnes radicalisées, on en entend parler. On en voit aux infos. Et peut-être même en a-t-on côtoyées…

On ne les aime pas. On s’en méfie, à juste titre. Elles nous font peur. Parce qu’on les sait capables d’excès qui nous glacent le sang.

 

Des excès. Et pourtant, dans leur esprit, c’est presque toujours, une volonté de pureté dans leur compréhension de la loi civile ou religieuse qui guide leurs actes.

 

Ce qui est troublant, c’est qu’a priori, il y a quelque chose de ce même ordre dans la manière dont Jésus interprète les propos de la loi juive. À la différence essentielle, nous le savons aujourd’hui, qu’il n’a eu quasi aucun geste violent. Même s’il a souvent bouillonné intérieurement.

 

Ce qui explique sa démarche, c’est probablement que Jésus se situe à un point de rupture.

 

Incarnant l’irruption du Royaume de Dieu sur terre, il incarne de fait l’advenue d’une nouvelle justice qui l’incite durant tout le sermon sur la montagne soit à radicaliser la loi de Moïse, soit à en renverser la perspective.

 

Dans le fond, il fait ce que fait tout réformateur. Il conteste une certaine compréhension de la loi, plus largement de la tradition, pour en proposer une autre, supposée meilleure.

 

Ce que Jésus met ici en cause, très concrètement, c’est l’infaillibilité de la loi. Parce que, défend-il, ne pas toucher la loi de Moïse sous prétexte qu’elle est la parole de Dieu, c’est en faire un tabou, donc une idole. Et les idoles doivent être brisées.

 

Pour Jésus, la loi de Moïse dont il précise par ailleurs qu’il n’est pas venu l’abolir, souffre. Elle souffre doublement. Tout à la fois d’être figée et d’être lue d’une manière qui ne rend pas justice à l’esprit qui a prévalu quand elle a été donnée.

 

Or, nous dit-il, la loi est susceptible d’interprétation. Il nous démontre même qu’elle doit être interprétée. Car son rôle ne consiste pas tant à maintenir l’ordre qui a prévalu jusque-là, mais bien plutôt à établir les règles qui permettent un vivre-ensemble fécond aujourd’hui et demain.

 

Ce faisant, Jésus conteste, une vision atrophiée de la loi qui consiste à en respecter scrupuleusement la lettre sans en comprendre l’intention profonde.

 

Ne pas tuer son prochain, c’est un bon début. Mais c’est insuffisant.  Ce qui est en jeu, c’est le respect intégral de l’autre.

 

Non seulement il ne faut pas le tuer, mais il ne faut pas le blesser. Et non seulement il ne faut pas le blesser physiquement, mais il ne faut pas non plus le blesser spirituellement ou moralement. Et non seulement il ne faut pas non plus le blesser spirituellement ou moralement, mais encore faut-il l’aimer et en prendre soin.

 

En radicalisant certains termes de la loi, en détournant la perspective d’autres termes, Jésus nous rappelle que la loi est au service de l’humain, et pas l’inverse.

 

Un rappel qui sonne agréablement à nos oreilles. Surtout, si on pense aux nombreux fronts qui ont opposé Jésus aux docteurs de la loi et autres pharisiens avec lesquels nous sommes rarement tendres. Cela dit, 2000 ans après, c’est facile d’être du côté du frondeur. Ou, pour reprendre un terme politiquement plus correct, du côté du réformateur.

 

Pour autant, ne tombons-nous pas, trop souvent, dans les mêmes travers que les légalistes de l’époque ? Par exemple, en pensant que les lois existantes sont bonnes et suffisantes ?

 

Les mouvements qui déferlent dans nos rues et les actuels débats aux Chambres à Berne, posent cette même question qui s’attelle à définir ce qui est performant, non seulement pour maintenir le vivre-ensemble que nous connaissons, mais pour développer celui dont nous aurons besoin demain.

 

Jésus a raison de ne pas se contenter de la loi de Moïse.

 

L’interdiction du meurtre est essentielle. Nul doute là-dessus. Mettre en garde le colérique, celui ou celle qui traite son frère d’imbécile, est tout aussi essentiel. Et ô combien d’actualité.

 

Grâce, ou à cause, des réseaux sociaux, nous sommes rendus attentifs aux dégâts que des insultes répétées à l’endroit d’une personne peuvent provoquer.

 

Nous savons que des jeunes (et des moins jeunes) en souffrance font des tentatives de suicide parce qu’ils sont objets de moquerie et de dénigrement.

 

 

                                                              

Et le pire, c’est qu’aujourd’hui, il n’y a même plus besoin d’être face à face pour insulter quelqu’un. Cela se passe depuis chez soi, confortablement installé sur son canapé, avec le fantasme pour les harceleurs et autres quérulents que l’écran de leur portable ou de leur ordinateur les tient à distance des conséquences de leurs propos.

 

« Quand donc tu vas présenter ton offrande à l’autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande, devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère. »

 

Telle est la manière dont Jésus interprète la loi mosaïque qui dit « Tu ne commettras pas de meurtre ».

 

La majorité bien-pensante de son époque l’a condamné pour cette liberté.

 

Pour ma part, j’aime à réaliser que Jésus a choisi de faire violence au texte. Pour éviter de faire violence à autrui.

 

En ce sens, il nous apprend que le pardon n’est pas une démarche qui dépend de notre bon vouloir. Mais que c’est un devoir. Il se garde néanmoins d’affirmer que c’est facile.

 

Amen