Prédication du 12 juin 2022: inclusif ou exclusif?

Merci à Hendrika, jeune baptisée, d’incarner aujourd’hui cette évidence que toutes et tous, nous sommes les actrices et les acteurs de Dieu dans le monde.
D'après Marc 9: 33 à 40
Ces paroles de l’évangile de Marc, elles ont fait couler beaucoup d’encre et suscité bien des discordes.
 
Alors, pas tant celles où Jésus place un enfant au milieu de ses disciples, l’embrasse et déclare : « Qui accueille en mon nom un enfant comme celui-là, m’accueille moi-même… »
Si l’accueil inconditionnel de Jésus envers celles et ceux qui croisaient sa route a parfois été critiqué, là, c’est plutôt la suite qui a fait grincer des dents.
 
Quand les disciples se demandent qui peut faire quoi au nom de Jésus, et que ce dernier réplique : « Celui qui n’est pas contre nous est pour nous. »
Elle n’a l’air de rien, cette petite phrase. Mais, en la prononçant, Jésus demande à ses disciples une véritable conversion, un véritable demi-tour dans leur manière de penser.
Il leur dit  en résumé: « Vous voulez dissuader un homme de chasser les démons en mon nom parce que vous ne le connaissez pas, parce qu’il ne vous suit pas ou ne fait pas partie de votre petit groupe ? »  Sottise ! « Personne ne peut réaliser un miracle en mon nom et me vouloir du mal… »
Le raisonnement est limpide ; imparable. La conclusion simple : « Qui n’est pas contre nous est pour nous… »
 
C’est simple et c’est ainsi que, dans l’évangile de Marc, la communauté chrétienne naissante est définie. « Qui n’est pas contre nous est pour nous… »
 
La question des disciples était légitime ; et elle le demeure : Qui peut se réclamer de Jésus ou non ? Qui peut prétendre faire partie de la communauté ou pas ? Répondre à cette question en affirmant « Qui n’est pas contre nous est pour nous », c’est assez vague, il faut bien l’admettre. Mais ça marque, de la part de Jésus, une ouverture incroyable. Et ça met le doigt sur quelques éléments que je trouve particulièrement intéressants et qui rappellent le baptême que nous venons de vivre. J’en relève trois.
 

  1. En reprenant ses disciples, Jésus commence par affirmer qu’il n’est pas un VIP. Du coup, qu’ils n’ont pas à se transformer en gardes du corps pour le protéger des autres. Il leur donne une leçon de réalisme.
  2. Deuxièmement, sa réponse implique que ce ne sont pas les disciples, qui se considèrent évidemment comme faisant dûment partie d’une petite communauté, ce ne sont pas eux qui peuvent en définir les contours et déterminer qui est habilité ou non à en faire partie. Leçon d’humilité.
  3. Enfin, dans le cas présent, les membres de la communauté ne se distinguent pas tant par ce qu’ils sont ou même ce qu’ils croient; on n’est pas dans le registre dogmatique si cher aux réformés. Les disciples sont reconnaissables du simple fait qu’ils ne sont pas contre Jésus et qu’ils agissent en son nom. On table sur des faits, sur des actes et non sur des grandes déclarations. Leçon de pragmatisme.

 
La définition de la communauté chez Marc est pour le moins sobre et ouverte.
 
Mais si ces versets ont suscité la controverse c’est parce que, dans d’autres passages de la Bible, c’est juste l’inverse qui est affirmé. Par exemple, dans l’évangile de Matthieu, dont je n’ai repris que la phrase finale de l’argumentaire de Jésus : « Qui n’est pas avec moi est contre moi… »
 
On pourrait avoir l’impression que c’est pareil. « Qui n’est pas contre nous est pour nous »« Qui n’est pas avec moi est contre moi »
La différence est pourtant de taille. Dans la compréhension de Matthieu, qui n’est pas avec moi est contre moi, la communauté se définit par exclusion. Alors que chez Marc, qui n’est pas contre nous est pour nous la communauté se définit par inclusion.
 
L’enjeu ecclésiologique mais aussi sociologique, social, de la définition inclusive ou exclusive d’une communauté, c’est de savoir si le focus est mis sur la limite de son périmètre (l’extérieur du cercle, pourrait-on dire) qui permet de définir clairement si on en est ou si on n’en est pas. Avec une frontière étanche. Avec un dehors et un dedans. Ce que propose Matthieu.
Ou alors, si l’important c’est d’avoir un noyau commun fort et des frontières externes beaucoup plus floues comme le propose Marc.
 
Appliquée ici, la question c’est : Qui sont les membres de la communauté de la Cathédrale ? Nous, réunis ce matin ? Les baptisés ? Ceux qui viennent au culte régulièrement ? Celles qui aiment s’y arrêter ? Ceux qui s’engagent bénévolement ? Celles qui font des dons ?
 
Suivant comment on répond, on est plus ou moins inclusif ou exclusif. On ressemble plus ou moins à Jésus selon ce que Marc ou Matthieu en dit.
 
Cette question, elle s’est posée pour les disciples et pour les premiers chrétiens de manière aiguë. Les mots de Paul que nous avons réentendu en témoignent.
 
Les premiers convertis ont cédé aux querelles de chapelle et les communautés se sont jouées les unes contre les autres. Avec ceux qui disaient appartenir à Paul, les autres à Apollos ou encore à Céphas… Paul leur rappelle alors : tous, c’est au Christ que vous appartenez.
 
Autrement dit, c’est Christ le noyau de notre foi. L’horizon de notre espérance. Notre point commun. En regardant à lui, nous sommes invités à regarder ce qui nous fonde et nous relie plutôt que de nous focaliser sur ce qui nous différencie et, potentiellement, nous sépare.
 
Facile en théorie ; plus difficile en pratique. Parce qu’on a beau dire que la reconnaissance de la différence est essentielle ; que la différence est source d’enrichissement ; que si on était tous pareils le monde serait mortellement ennuyeux. Il arrive que la différence nous heurte, nous blesse, nous inquiète, nous paralyse, nous inconforte.
Il est alors tentant de restreindre la notion de communauté à celles et ceux qui nous entourent, qui nous ressemblent, qui pensent comme nous, qui prient comme nous…
… Ceux qui sont sur les réseaux sociaux savent bien comment ça fonctionne. L’entre-soi…
 
Alors comment regarder ce qui nous unit, sans gommer les différences ou les particularismes mais sans les exacerber non plus ?
Je n’ai pas de réponse toute faite. Sans doute n’y a-t-il pas de recette inmanquable. Pas de Betty Bossi de la théologie car les questions de sens sont toujours complexes. Par contre, je crois que toujours il y a des paroles à oser, des mains à tendre, des êtres à relever, des actes prophétiques à poser.
 
Je remercie l’évangéliste Marc de nous rappeler qu’il ne nous incombe pas de décider qui est pour, ni qui est contre. Qui en est, qui n’en est pas.
Je le remercie de nous rappeler que ce qui compte, à notre niveau, c’est de suivre le Christ ; de repérer les signes du Royaume, d’en témoigner et d’y contribuer concrètement.
 
Merci aussi à Hendrika d’incarner cette réalité ajourd’hui. Cette évidence que toutes et tous, nous sommes les actrices et les acteurs de Dieu dans le monde.