« UN TEMPS POUR CHERCHER ET UN TEMPS POUR PERDRE. », prédication par Jean-François Ramelet, pasteur
J’ai mis longtemps à comprendre que si j’étais un
jour devenu pasteur, c’était parce que j’étais au
fond un agnostique.
Agnostique, ce n’est pas un vilain mot.
Je me suis beaucoup appliqué à être un croyant
modèle, ou du moins à correspondre à ce que
j’imaginais devoir être un croyant modèle.
Mais je dois le confesser, j’ai échoué. Je ne suis
qu’un agnostique, mais pas un incroyant, ni un
dissident.
J’ai de la peine à réciter un credo d’un bout à
l’autre sans buter sur des formulations, des mots
que je ne peux pas prendre pour argent
comptant.
Notez que j’aimerais bien, car je crois que cela
me reposerait sans doute, mais c’est plus fort que
moi, je n’y arrive pas.
Peut-on être pasteur et agnostique ?
Et puis c’est quoi être agnostique ?
Pour moi, être agnostique, c’est reconnaître que
le moteur, le combustible de ma foi (car j’en ai
une), c’est le questionnement, l’étonnement.
Et – aussi - une forme d’intranquillité.
Je suis riche en « pourquoi » et pauvre en
« parce que ».
La seule chose que « je sache », c’est la vaste
étendue de mon ignorance.
Alors je m’étonne.
Je m’émerveille.
Je questionne les formules toutes faites, les mots
que je chante, ceux que je prie, ceux que je lis.
Et puis je cherche.
On aime à dire en Église que la foi ne s’explique
pas : que certains l’ont et d’autres pas.
Il en va de même pour l’agnostique.
Je n’ai pas choisi de l’être.
Je ne saurais même pas dire ni comment, ni depuis quand je me pose des questions.
Ce que je peux dire, par contre, c’est que je suis
un agnostique devant Dieu.
Un agnostique avec Dieu.
J’admets qu’être agnostique devant et avec Dieu
puisse être là assez déroutant à entendre.
Je crois ne pas être le seul.
Plus j’avance dans mon ministère, plus je
rencontre et côtoie des agnostiques avec lesquels
je me sens parfois plus à l’aise qu’avec des
croyants sûrs de leur foi qui m’intimident et me
déroutent.
Ce besoin de questionner ma foi vient du besoin
que je ressens de la formuler en tenant compte du
réel et de ce que nous en disent les scientifiques. Les physiciens, les astrophysiciens, les
neuroscientifiques, les paléontologues et tant
d’autres.
À dire vrai, je ne comprends qu’un peu, ceux et
celles qui s’adonnent à la vulgarisation.
La question qui m’habite et m’accompagne dans
mon ministère est : comment me tenir devant Dieu en tenant compte de l’immensité de l’univers, de
la complexité extrême de la vie et de son
improbable surgissement ?
Karl Barth disait qu’il fallait « tenir la Bible dans
une main et le journal dans l'autre ».
J’essaie de tenir aussi … je dis j’essaie car je n’ai
que deux mains …j’essaie de tenir et les Écritures et le journal et les connaissances et les
méconnaissances de la science.
Non pas pour les concilier, mais pour conjuguer
et formuler ma foi aux prises avec le réel.
A force d’ouvrir les Écritures, j’en viens à me
demander si tel n’est pas le cas de nombreux
auteurs des livres qui composent la Bible.
J’ai une affection particulière pour les auteurs des
récits de la création dans la Genèse.
Je les imagine au bord des fleuves de Babylone
ou campant dans la nuit noire du désert de
Judée.
Levant les yeux vers le ciel, fascinés par son
immensité, mais aussi par le prodige de la vie et
de l’humain, comme le psalmiste qui s’en étonne :
Qu’est-ce que l’homme pour que tu
pense à lui, tu en as presque fait
un Dieu.
Ces auteurs ne sont pas tombés de la dernière
pluie, ils connaissaient les cosmogonies en vogue
en Mésopotamie, en Egypte, en Grèce … et peut-
être de plus loin encore.
Ils ont emprunté à ces récits certains de leurs
motifs qu’ils se sont réappropriés pour
développer une pensée originale.
Pour eux, un Dieu créateur ne peut se tenir que
hors du monde, hors du réel, en retrait, et
même « caché » confessera Esaïe[1].
Il faudrait relire tout le récit de la création en
paraphrasant le 1er livre des Rois et la fameuse
révélation de Dieu à Élie sur le Mont Horeb.
Il y eut le soleil et la lune, mais Dieu n’était ni
dans le soleil ni dans la lune.
Il y eu les eaux d’en haut et les eaux d’en bas,
mais Dieu n’était ni dans les eaux d’en haut ni
dans les eaux d’en bas.
Il y eut les végétaux, les poissons dans les mers,
les oiseaux du ciel, mais Dieu n’était ni dans les
végétaux, ni dans les poissons dans les mers,
ni dans les oiseaux du ciel.
Le Dieu que postule les auteurs de la Genèse ne
se confond pas avec le monde et l’univers.
Ce Dieu qui se tient à distance du monde va
infuser la pensée juive et chrétienne et permettra
plus tard l’essor de la science.
En effet, c’est parce que Dieu ne se confond pas
avec le réel que l’homme pourra examiner le
réel, l’étudier sous toutes les coutures sans risquer
de profaner Dieu.
Si les auteurs des récits de création écrivent par
étonnement et émerveillement, d’autres auteurs
sont – quant à eux - tourmentés par la violence
qu’ils observent ; cette violence qui couve en
l’humain et défigure le monde.
Alors ils s’inquiètent : d’où vient le meurtre, la
guerre, ce besoin inassouvi d’asseoir son
pouvoir, de dominer, de posséder ?
De leurs inquiétudes, ils en feront des histoires en
guise d’hypothèses.
La violence s’explique-t-elle par ce besoin qu’a
l’humain de se prendre pour Dieu, comme Adam
et Ève ?
Ou s’explique-t-elle par la peur de ne pas être
aimé, comme celle qui tenaille Caïn qui finira par
tuer son frère Abel.
D’autres auteurs sont littéralement dévorés par
l’intrigue du mal qui frappe aveuglément sans
raison.
Ainsi en est-il de l’auteur du livre de Job.
D’autres expriment leur désenchantement devant
l’apparente absurdité de la vie, comme le fait
Qohéleth.
J’observe que tous le font devant Dieu, avec Dieu.
Tous, dans leurs écrits, dialoguent avec Dieu, ou
l’interpellent, parfois avec l’opiniâtreté de ceux
qui cherchent ou l’accusent avec la colère des
victimes.
Devant le mystère du monde ou l’énigme du mal,
je ne peux pas me résoudre à l’idée que
l’univers, le monde, la vie et les êtres vivants
relèveraient du pur accident, du pur hasard.
Notez que c’est-là une conviction qui ne se fonde
sur rien d’objectif.
C’est une conviction qui n’a pas besoin de
preuve.
On doit à Victor Hugo l’anecdote suivante à
propos du grand mathématicien et physicien
Pierre-Simon de Laplace qui venait de publier ses
volumes sur la mécanique céleste.
Après avoir pris connaissance des travaux de
Laplace, l'empereur Napoléon le convoqua et
l'apostropha, furieux :
« Comment, vous donnez les lois de toute la
création et, dans tout votre livre, vous ne parlez
pas une seule fois de l'existence de Dieu !
Sire, répondit Laplace, je n'avais pas besoin de
cette hypothèse ».
Je suis convaincu que ni les croyants, ni les
agnostiques comme moi, ni les athées, ni les
scientifiques ne pourront jamais apporter la
moindre preuve de l’existence ou non de Dieu[2].
Et ce n’est pas grave.
Un Dieu dont on pourrait prouver l’existence ne
serait qu’un simple objet et je n’ai que faire d’un
Dieu objet.
A quoi bon chercher Dieu, si on peut prouver son
existence.
Je n’ai pas besoin de la preuve de l’existence de
Dieu, mais j’y tiens.
Je ne peux me résoudre ni au diktat du hasard, ni
à la tyrannie de la matière.
Et c’est cette conviction qui est le moteur de
ma recherche.
De ma quête.
De mon étonnement.
De mon intranquillité devant le réel auquel je me
cogne le plus souvent.
J’ai la ferme conviction que le monde, comme ma
vie et la vie de tout être humain, est précédé par
un appel, une vocation qui lui donne sens.
Alors oui, cher Qohéleth, chaque instant qui
passe est le moment favorable pour s’étonner,
pour s’émerveiller, pour questionner, pour
chercher.
Et il y a beaucoup à perdre à ne pas se saisir de
ce kairos de tous les instants.
Je ne crois pas pour avoir raison, pour détenir la
vérité, mais parce que je cherche, parce que je
m’étonne.
Je m’étonne de ce Dieu dont on nous dit qu’il
nous cherche sans se lasser, depuis la Genèse
jusqu’au Golgotha.
On aime à dire que l’Église est communion des
croyants, soit !
J’aimerais qu’elle soit aussi la communion des
chercheurs, des curieux, des incrédules devant la
beauté du monde ou ses abîmes.
Nous sommes venus ici non pas pour y trouver
des preuves de Dieu, mais seulement pour y
chercher des traces qu’il laisse de son passage.
Comme celle qu’a recueillie un jour Jérémie :
« Vous me rechercherez et vous me
trouverez : vous me chercherez du fond
de vous-mêmes, et je me laisserai
trouver par vous. »
Amen
JEREMIE 29,10-14
« Ainsi parle le SEIGNEUR : Quand soixante-dix ans seront écoulés pour Babylone, je m'occuperai de vous et j'accomplirai pour vous mes promesses concernant votre retour en ce lieu. Moi, je sais les projets que j'ai formés à votre sujet – oracle du SEIGNEUR –, projets de prospérité et non de malheur : je vais vous donner un avenir et une espérance. Vous m'invoquerez, vous ferez des pèlerinages, vous m'adresserez vos prières, et moi, je vous exaucerai. Vous me rechercherez et vous me trouverez : vous me chercherez du fond de vous-mêmes, et je me laisserai trouver par vous – oracle du SEIGNEUR –, je vous restaurerai, je vous rassemblerai de toutes les nations et de tous les lieux où je vous ai dispersés – oracle du SEIGNEUR –, et je vous ramènerai à l'endroit d'où je vous ai déportés.
ECCLÉSIASTE 3,1 et 6
Il y a un moment pour tout
et un temps pour chaque chose sous le ciel : (…)
(…) un temps pour chercher et un temps pour perdre,
MATTHIEU 7,7-8
« Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira. En effet, quiconque demande reçoit, qui cherche trouve, à qui frappe on ouvrira.
[1] Esaïe 54,1
[2] Contrairement à ce que les auteurs d’un ouvrage récent prétendent.