Prédication du 10 août, "Il y a un temps pour chercher et un temps pour perdre"

 

« UN TEMPS POUR CHERCHER ET UN TEMPS POUR PERDRE. », prédication par Jean-François Ramelet, pasteur

 

J’ai mis longtemps à comprendre que si j’étais un 

jour devenu pasteur, c’était parce que j’étais au 

fond un agnostique.

 

Agnostique, ce n’est pas un vilain mot.

 

Je me suis beaucoup appliqué à être un croyant 

modèle, ou du moins à correspondre à ce que 

j’imaginais devoir être un croyant modèle.

Mais je dois le confesser, j’ai échoué. Je ne suis 

qu’un agnostique, mais pas un incroyant, ni un 

dissident.

 

J’ai de la peine à réciter un credo d’un bout à 

l’autre sans buter sur des formulations, des mots 

que je ne peux pas prendre pour argent 

comptant.

Notez que j’aimerais bien, car je crois que cela 

me reposerait sans doute, mais c’est plus fort que 

moi, je n’y arrive pas.

 

Peut-on être pasteur et agnostique ?

Et puis c’est quoi être agnostique ?

Pour moi, être agnostique, c’est reconnaître que 

le moteur, le combustible de ma foi (car j’en ai 

une), c’est le questionnement, l’étonnement.

Et – aussi - une forme d’intranquillité.

 

Je suis riche en « pourquoi » et pauvre en 

« parce que ».

 

La seule chose que « je sache », c’est la vaste 

étendue de mon ignorance.

 

Alors je m’étonne.

Je m’émerveille.

Je questionne les formules toutes faites, les mots 

que je chante, ceux que je prie, ceux que je lis.

Et puis je cherche.

 

On aime à dire en Église que la foi ne s’explique 

pas : que certains l’ont et d’autres pas.

 

Il en va de même pour l’agnostique.

Je n’ai pas choisi de l’être.

Je ne saurais même pas dire ni comment, ni depuis quand je me pose des questions.

 

Ce que je peux dire, par contre, c’est que je suis 

un agnostique devant Dieu.

Un agnostique avec Dieu.

 

J’admets qu’être agnostique devant et avec Dieu 

puisse être là assez déroutant à entendre.

 

Je crois ne pas être le seul.

 

Plus j’avance dans mon ministère, plus je 

rencontre et côtoie des agnostiques avec lesquels 

je me sens parfois plus à l’aise qu’avec des 

croyants sûrs de leur foi qui m’intimident et me 

déroutent.

 

Ce besoin de questionner ma foi vient du besoin 

que je ressens de la formuler en tenant compte du 

réel et de ce que nous en disent les scientifiques. Les physiciens, les astrophysiciens, les 

neuroscientifiques, les paléontologues et tant 

d’autres.

À dire vrai, je ne comprends qu’un peu, ceux et 

celles qui s’adonnent à la vulgarisation.

 

La question qui m’habite et m’accompagne dans 

mon ministère est : comment me tenir devant Dieu en tenant compte de l’immensité de l’univers, de 

la complexité extrême de la vie et de son 

improbable surgissement ?

 

Karl Barth disait qu’il fallait « tenir la Bible dans 

une main et le journal dans l'autre ».

J’essaie de tenir aussi …  je dis j’essaie car je n’ai 

que deux mains …j’essaie de tenir et les Écritures et le journal et les connaissances et les 

méconnaissances de la science.

 

Non pas pour les concilier, mais pour conjuguer 

et formuler ma foi aux prises avec le réel.

 

A force d’ouvrir les Écritures, j’en viens à me 

demander si tel n’est pas le cas de nombreux 

auteurs des livres qui composent la Bible.

 

J’ai une affection particulière pour les auteurs des 

récits de la création dans la Genèse.

 

Je les imagine au bord des fleuves de Babylone 

ou campant dans la nuit noire du désert de 

Judée.

Levant les yeux vers le ciel, fascinés par son 

immensité, mais aussi par le prodige de la vie et 

de l’humain, comme le psalmiste qui s’en étonne :

Qu’est-ce que l’homme pour que tu 

pense à lui, tu en as presque fait 

un Dieu.

 

Ces auteurs ne sont pas tombés de la dernière 

pluie, ils connaissaient les cosmogonies en vogue 

en Mésopotamie, en Egypte, en Grèce … et peut-

être de plus loin encore.

 

Ils ont emprunté à ces récits certains de leurs 

motifs qu’ils se sont réappropriés pour 

développer une pensée originale.

Pour eux, un Dieu créateur ne peut se tenir que 

hors du monde, hors du réel, en retrait, et 

même « caché » confessera Esaïe[1].

 

Il faudrait relire tout le récit de la création en 

paraphrasant le 1er livre des Rois et la fameuse 

révélation de Dieu à Élie sur le Mont Horeb.

 

Il y eut le soleil et la lune, mais Dieu n’était ni 

dans le soleil ni dans la lune.

Il y eu les eaux d’en haut et les eaux d’en bas, 

mais Dieu n’était ni dans les eaux d’en haut ni 

dans les eaux d’en bas.

Il y eut les végétaux, les poissons dans les mers, 

les oiseaux du ciel, mais Dieu n’était ni dans les 

végétaux, ni dans les poissons dans les mers, 

ni dans les oiseaux du ciel.

 

Le Dieu que postule les auteurs de la Genèse ne 

se confond pas avec le monde et l’univers.

 

Ce Dieu qui se tient à distance du monde va 

infuser la pensée juive et chrétienne et permettra 

plus tard l’essor de la science.

 

En effet, c’est parce que Dieu ne se confond pas 

avec le réel que l’homme pourra examiner le 

réel, l’étudier sous toutes les coutures sans risquer 

de profaner Dieu.

 

Si les auteurs des récits de création écrivent par 

étonnement et émerveillement, d’autres auteurs 

sont – quant à eux - tourmentés par la violence 

qu’ils observent ; cette violence qui couve en 

l’humain et défigure le monde.

 

Alors ils s’inquiètent : d’où vient le meurtre, la 

guerre, ce besoin inassouvi d’asseoir son 

pouvoir, de dominer, de posséder ?

De leurs inquiétudes, ils en feront des histoires en 

guise d’hypothèses.

La violence s’explique-t-elle par ce besoin qu’a 

l’humain de se prendre pour Dieu, comme Adam 

et Ève ?

Ou s’explique-t-elle par la peur de ne pas être 

aimé, comme celle qui tenaille Caïn qui finira par 

tuer son frère Abel.

 

D’autres auteurs sont littéralement dévorés par 

l’intrigue du mal qui frappe aveuglément sans 

raison.

Ainsi en est-il de l’auteur du livre de Job.

 

D’autres expriment leur désenchantement devant 

l’apparente absurdité de la vie, comme le fait 

Qohéleth.

 

J’observe que tous le font devant Dieu, avec Dieu.

Tous, dans leurs écrits, dialoguent avec Dieu, ou 

l’interpellent, parfois avec l’opiniâtreté de ceux 

qui cherchent ou l’accusent avec la colère des 

victimes.

 

Devant le mystère du monde ou l’énigme du mal, 

je ne peux pas me résoudre à l’idée que 

l’univers, le monde, la vie et les êtres vivants 

relèveraient du pur accident, du pur hasard.

 

Notez que c’est-là une conviction qui ne se fonde 

sur rien d’objectif.

C’est une conviction qui n’a pas besoin de 

preuve. 

 

On doit à Victor Hugo l’anecdote suivante à 

propos du grand mathématicien et physicien 

Pierre-Simon de Laplace qui venait de publier ses 

volumes sur la mécanique céleste.

Après avoir pris connaissance des travaux de 

Laplace, l'empereur Napoléon le convoqua et 

l'apostropha, furieux : 

« Comment, vous donnez les lois de toute la 

création et, dans tout votre livre, vous ne parlez 

pas une seule fois de l'existence de Dieu !

Sire, répondit Laplace, je n'avais pas besoin de 

cette hypothèse ».

Je suis convaincu que ni les croyants, ni les 

agnostiques comme moi, ni les athées, ni les 

scientifiques ne pourront jamais apporter la 

moindre preuve de l’existence ou non de Dieu[2].

Et ce n’est pas grave.

 

Un Dieu dont on pourrait prouver l’existence ne 

serait qu’un simple objet et je n’ai que faire d’un 

Dieu objet.

A quoi bon chercher Dieu, si on peut prouver son 

existence.

 

Je n’ai pas besoin de la preuve de l’existence de 

Dieu, mais j’y tiens.

Je ne peux me résoudre ni au diktat du hasard, ni

à la tyrannie de la matière.

 

Et c’est cette conviction qui est le moteur de 

ma recherche.

De ma quête.

De mon étonnement.

De mon intranquillité devant le réel auquel je me 

cogne le plus souvent.

J’ai la ferme conviction que le monde, comme ma 

vie et la vie de tout être humain, est précédé par 

un appel, une vocation qui lui donne sens.

 

Alors oui, cher Qohéleth, chaque instant qui 

passe est le moment favorable pour s’étonner, 

pour s’émerveiller, pour questionner, pour 

chercher.

Et il y a beaucoup à perdre à ne pas se saisir de 

ce kairos de tous les instants. 

 

Je ne crois pas pour avoir raison, pour détenir la 

vérité, mais parce que je cherche, parce que je 

m’étonne.

Je m’étonne de ce Dieu dont on nous dit qu’il 

nous cherche sans se lasser, depuis la Genèse 

jusqu’au Golgotha. 

 

On aime à dire que l’Église est communion des 

croyants, soit ! 

J’aimerais qu’elle soit aussi la communion des 

chercheurs, des curieux, des incrédules devant la 

beauté du monde ou ses abîmes.

 

Nous sommes venus ici non pas pour y trouver

des preuves de Dieu, mais seulement pour y

chercher des traces qu’il laisse de son passage.

 

Comme celle qu’a recueillie un jour Jérémie :

 

« Vous me rechercherez et vous me

trouverez : vous me chercherez du fond

de vous-mêmes, et je me laisserai 

trouver par vous. »

 

Amen

 

 

JEREMIE 29,10-14

« Ainsi parle le SEIGNEUR : Quand soixante-dix ans seront écoulés pour Babylone, je m'occuperai de vous et j'accomplirai pour vous mes promesses concernant votre retour en ce lieu. Moi, je sais les projets que j'ai formés à votre sujet – oracle du SEIGNEUR –, projets de prospérité et non de malheur : je vais vous donner un avenir et une espérance. Vous m'invoquerez, vous ferez des pèlerinages, vous m'adresserez vos prières, et moi, je vous exaucerai. Vous me rechercherez et vous me trouverez : vous me chercherez du fond de vous-mêmes, et je me laisserai trouver par vous – oracle du SEIGNEUR –, je vous restaurerai, je vous rassemblerai de toutes les nations et de tous les lieux où je vous ai dispersés – oracle du SEIGNEUR –, et je vous ramènerai à l'endroit d'où je vous ai déportés.

 

ECCLÉSIASTE 3,1 et 6

Il y a un moment pour tout

et un temps pour chaque chose sous le ciel : (…)

(…) un temps pour chercher et un temps pour perdre,

 

MATTHIEU 7,7-8

« Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira. En effet, quiconque demande reçoit, qui cherche trouve, à qui frappe on ouvrira.

 

 

 


[1] Esaïe 54,1

[2] Contrairement à ce que les auteurs d’un ouvrage récent prétendent.