Prédication de Vendredi-Saint, la noirceur de l'humanité

La noirceur de l’humanité

 

De quel bois était donc fait Jésus ?

 

Cette question me revient, lancinante, à chaque fois que je lis le récit de sa Passion.

 

Serait-il du bois dont on fait les héros ?

 

Suivant la définition retenue pour ce mot, il en a les caractéristiques.

 

  • Jésus se distingue par sa grandeur d’âme, sa bravoure, ses mérites, son sens du service… 

  • Il est l’acteur principal d’un certain nombre de récits.

  • Et puis, le plus important, celles et ceux qui ont croisé son chemin sont prêt.e.s à le diviniser tant il a humanisé leur vie : une naissance d’en haut pour Nicodème, une dignité rendue à la Samaritaine, un pardon sans condition pour la femme pécheresse.

 

On peut donc affirmer de Jésus qu’il est du bois dont on fait les héros.

 

Mais attention. Il se distingue quand même de la conception grecque du héros, cet être qui est un semi-Dieu, un semi-Homme.

 

Jésus, lui, il est pleinement Dieu.

Pleinement homme.

Il est entier.

Et ne fait rien à moitié.

 

Jusqu’à sa reddition Sachant tout ce qui allait lui arriver, Jésus s’avança devant les cohortes et les gardes et leur dit : « Qui cherchez-vous ? » Ils lui répondirent : « Jésus le Nazôréen. » Il leur dit : « C’est moi. » 

 

Jusqu’à sa marche forcée vers son supplice, Portant lui-même sa croix, Jésus sortit du palais du gouverneur et gagna le lieu dit du Crâne, qu’en hébreu on nomme Golgotha. 

 

De quel bois est-il donc fait pour agir ainsi ?

 

Le réduire à un héros ne rend pas hommage à la grandeur de celui qui n’a cessé de porter attention aux plus petit.e.s de son époque.

 

En psychologie, on invite à être roseau plutôt que chêne parce que l’on se casse à la mesure de sa rigidité.

 

Face aux intempéries, le roseau peut être balayé par les plus fortes tempêtes, dans un sens puis dans l’autre, jeté momentanément au sol, il plie mais ne casse pas.

 

Le chêne, grand, droit, solide, supporte des vents incroyablement forts, mais si le vent est trop fort pour lui, il se brise. D’un coup.

 

Jésus était probablement un roseau.

 

Il était souple. Alerte. Finaud. Incroyablement libre dans sa façon de penser, d’agir, de passer outre les codes de son époque.

 

Cette agilité lui a valu quelques soucis ; elle lui a aussi permis de résister à nombre d’aléas.

 

Cette agilité de Jésus me fait penser à ceux que Marion Muller-Colard nomme les intranquilles.

 

Sont intranquilles celles et ceux qui sont incapables de vivre sans se demander pourquoi. Ils questionnent le sens là où d’autres voient une évidence. Empêcheurs de tourner en rond, ils se découvrent insomniaques par vigilance. Curieux de tout, ils s’inventent de folles croisades pour conduire le monde vers plus de justice. Détestant la résignation autant que l’absurdité, ils sont à l’affût de ce qui est encore inédit, inouï. Comme l’étudiant arrivé en retard à son examen, ils ne savent pas que la résolution du problème est impossible ; alors ils cherchent quitte à brasser de l’air une fois ou l’autre. 

 

Jésus était un homme de cette trempe-là. Je crois que c’est pour cela qu’il a apporté tant de lumière, de joie, de légèreté dans la vie de celles et ceux qu’il a croisé.e.s. C’est pour cela qu’il en apporte encore tant dans la vie de celles et ceux qu’il rejoint par-delà les temps, par-delà les lieux.

 

À l’opposé, la noirceur de l’humanité, hier comme aujourd’hui, est le fait d’hommes et de femmes qui ressemblent à des chênes.

 

Bien sûr, il faut des tornades pour les briser. Ce n’est pas facile.

 

Mais c’est bien leur rigidité d’être et de penser qui les rend capables d’atrocités.

Aucune souplesse.

Pas plus de finesse.

Ils avancent dans le monde à coup de certitudes assénées et imposées.

Curieux de si peu de choses.

Avides du seul pouvoir.

 

De Hanne en Caïphe, de Caïphe en Pilate, de “parle“ en “tais-toi“, de gifles en crachats, c’est la valse de la tricherie, de la cruauté. De la mauvaise foi aussi.

 

« Quelle accusation portez-vous contre cet homme ? » … tente Pilate…  « Prenez-le et jugez-le vous-mêmes suivant votre loi. »

Les autorités juives lui dirent : « Il ne nous est pas permis de mettre quelqu’un à mort ! » 

 

Sans mauvais jeu de mots, la messe était dite bien avant que Pilate ne se tortille pour trouver une échappatoire.

 

La messe fut dite dès que les gardes sont entrés dans le jardin. La justice, un bien grand mot pour ce simulacre de procès, la justice serait expéditive… elle aurait même lieu de nuit, ce qui contraire à toutes les règles, parce que c’est la veille de la Pâques, et, qui sait, l’agneau pascal est peut-être déjà apprêté. Les préparatifs de la fête sont en cours. Il ne faudrait pas la gâcher.

 

Tant de fourberie. Tant de mensonges, d’injustice, de violence gratuite…

 

… et 20 siècles plus tard, une humanité qui ne cesse de continuer à enténébrer le monde.

 

De quel bois sommes-nous faits ?

 

De quels bois sont-ils faits, ces dirigeants politiques et autres leaders d’opinion qui répandent le sang à tout va, alors que c’est une denrée si précieuse ? Cela devant de trop nombreux Pilates qui ne cessent de se contorsionner pour marquer un semblant d’intérêt sans, pour autant, poser quelque geste de salut que ce soit.

 

Ce jour-là, à Jérusalem, les derniers mots de Jésus rapportés dans l’évangile de Jean sont « Tout est achevé ».

 

Ce matin, ici, l’impression que rien n’a véritablement changé. « Tout est achevé », « tout a été accompli », faudrait-il le dire les yeux fermés tant la réalité contredit ces mots ?

 

Non.

 

Non. Parce que l’achèvement dont parle Jésus ne concerne pas le monde, mais sa vie.

 

Ce n’est pas l’histoire du monde qui s’est achevée, ce jour-là, sur la colline de Jérusalem.

 

C’est la vie de Jésus.

 

En regard des attentes que Dieu avait placées en lui, ses mots sont justes. Le crucifié peut remettre l’esprit ; il peut rendre son dernier souffle. Car pour lui, « Tout est achevé ». Oui.

 

Dieu ne lui avait pas demandé de changer le monde. Mais de l’humaniser.

 

C’est parce qu’il y est parvenu que nous en parlons aujourd’hui encore, que nous en vivons aujourd’hui toujours.

 

Comme Jésus à son époque, il y a de quoi être ravagé quand on ouvre les yeux sur le monde. Il est illusoire de penser que nous pourrons le changer.

 

Mais, l’humaniser, c’est à la portée de chacune et chacun.

 

Y déposer de la lumière, de la joie, de la légèreté. De la compassion, de l’amour, de la tolérance, c’est dans nos cordes.

 

Refuser de banaliser les actes de violence. S’engager à ne pas y céder.

C’est notre devoir.

 

Et qui sait, peut-être bien qu’à force, nous favoriserons dans le monde l’aube d’une nouvelle humanité.

 

Mais ça, c’est pour dimanche…

 

  • Lecture de Jean 18-19, extraits

 

Jésus s’en alla, avec ses disciples, au-delà du torrent du Cédron ; il y avait là un jardin où il entra avec ses disciples. 

Or Judas, qui le livrait, connaissait l’endroit, car Jésus s’y était maintes fois réuni avec ses disciples. Il prit la tête de la cohorte et des gardes fournis par les grands prêtres et les Pharisiens, il gagna le jardin avec torches, lampes et armes. 

Jésus, sachant tout ce qui allait lui arriver, s’avança et leur dit : « Qui cherchez-vous ? » Ils lui répondirent : « Jésus le Nazôréen. » Il leur dit : « C’est moi. » 

La cohorte avec son commandant et les gardes des autorités juives saisirent donc Jésus, et ils le ligotèrent.

Ils le conduisirent tout d’abord chez Hanne. Celui-ci était le beau-père de Caïphe, qui était le Grand Prêtre cette année-là.

Le Grand Prêtre Hanne se mit à interroger Jésus sur ses disciples et sur son enseignement. Puis, il l’envoya, ligoté, à Caïphe.

On a ensuite emmené Jésus de chez Caïphe à la résidence du gouverneur. C’était le point du jour. Ceux qui l’avaient amené n’entrèrent pas dans la résidence pour ne pas se souiller et pouvoir manger la Pâque. 

Pilate vint donc les trouver à l’extérieur et dit : « Quelle accusation portez-vous contre cet homme ? » 

Ils répondirent : « Si cet individu n’avait pas fait le mal, te l’aurions-nous livré ? » 

Pilate leur dit alors : « Prenez-le et jugez-le vous-mêmes suivant votre loi. » Les autorités juives lui dirent : « Il ne nous est pas permis de mettre quelqu’un à mort ! » 

Après plusieurs aller-retours Pilate leur livra Jésus, pour qu'on le crucifie.

Portant lui-même sa croix, Jésus sortit du palais du gouverneur et gagna le lieu dit du Crâne, qu’en hébreu on nomme Golgotha. 

C’est là qu’ils le crucifièrent ainsi que deux autres, un de chaque côté et, au milieu, Jésus. 

Près de la croix de Jésus se tenaient debout sa mère, la sœur de sa mère, Marie, femme de Clopas et Marie de Magdala. 

Voyant ainsi sa mère et près d’elle le disciple qu’il aimait, Jésus dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. » 

Il dit ensuite au disciple : « Voici ta mère. » Et depuis cette heure-là, le disciple la prit chez lui.

Après quoi, sachant que dès lors tout était achevé, pour que l’Écriture soit accomplie jusqu’au bout, Jésus dit : « J’ai soif » ; il y avait là une cruche remplie de vinaigre, on fixa une éponge imbibée de ce vinaigre au bout d’une branche d’hysope et on l’approcha de sa bouche. 

Dès qu’il eut pris le vinaigre, Jésus dit : « Tout est achevé » et, inclinant la tête, il remit l’esprit.