Prédication de Pentecôte

Une magistrale leçon de communication par Dieu. Il s'adresse à tous. Il se fait entendre personnellement par chacun.
A partir de Actes 2, 1 à 13

Texte de Actes 2                                                                                
 Quand le jour de la Pentecôte arriva, ils se trouvaient réunis tous ensemble. 
Tout à coup il y eut un bruit qui venait du ciel comme le souffle d’un violent coup de vent : la maison où ils se tenaient en fut toute remplie ; alors leur apparurent comme des langues de feu qui se partageaient et il s’en posa sur chacun d’eux. 
Ils furent tous remplis d’Esprit Saint et se mirent à parler d’autres langues, comme l’Esprit leur donnait de s’exprimer.
Or, à Jérusalem, résidaient des Juifs pieux, venus de toutes les nations qui sont sous le ciel.  A la rumeur qui se répandait, la foule se rassembla et se trouvait en plein désarroi, car chacun les entendait parler sa propre langue. 
Déconcertés, émerveillés, ils disaient : « Tous ces gens qui parlent ne sont-ils pas des Galiléens ? Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle ? Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, du Pont et de l’Asie, de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Égypte et de la Libye cyrénaïque, ceux de Rome en résidence ici,  tous, tant Juifs que prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons annoncer dans nos langues les merveilles de Dieu. »  Ils étaient tous déconcertés, et dans leur perplexité ils se disaient les uns aux autres : « Qu’est-ce que cela veut dire ? » 
D’autres s’esclaffaient : « Ils sont pleins de vin doux. »
Prédication                                                                                      
Dans la vie, tout est toujours question de point-de-vue. Vous le savez bien…
Suivant comment on aborde les choses, et bien un même événement peut être raconté de manières totalement différentes.
Le dernier exemple en date, c’est le semi-confinement dont nous sortons progressivement.

  • Il y a ceux qui en parlent avec des yeux pétillants parce qu’ils ont pu se retrouver, retrouver leurs proches, dans une période où pour beaucoup le rythme s’est ralenti.
  • Il y a ceux qui en parlent avec tristesse parce qu’ils n’ont pas pu exercer leur passion durant de nombreuses semaines. Ça a manqué à leur équilibre.
  • Il y a ceux qui ont vécu ce temps comme un cauchemar.

Cauchemar de se retrouver seul, reclus, coupé du monde.
Cauchemar de se retrouver trop nombreux dans un espace trop petit.
Cauchemar économique -et c’est loin d’être terminé- pour nombre d’indépendants. Cauchemar d’avoir perdu un proche, en EMS ou ailleurs, sans avoir parfois pu le revoir, l’accompagner, lui parler.
Dans la vie, tout est toujours question de point-de-vue. Ce n’est pas nouveau. Et le récit de Pentecôte ne fait pas exception.
A sa lecture, on peut distinguer trois groupes de personnes :

  • Il y a d’abord les apôtres qui sont réunis tous ensemble dans une maison de Jérusalem. Ils reçoivent l’Esprit de Dieu et ils se mettent à parler d’autres langues que la leur ; des langues qu’ils ne connaissaient pas jusqu’alors.
  • Et puis, il y a la foule, les badauds, au sein desquels deux sous-groupes apparaissent.
    • Ceux qui sont déconcertés mais émerveillés parce qu’ils réalisent que des Galiléens sont en train de leur parler dans leurs propres langues.
    • Et ceux qui sont morts de rire et qui voient dans les apôtres une bande de joyeux copains qui ont un peu trop fêté et qui sont manifestement saouls.

Si on donnait la parole à chacun de ces groupes, il y a fort à parier qu’on aurait des récits différents au point, peut-être, de se demander si c’est vraiment le même événement qui est raconté.
Si je prends le temps ce matin de nous rendre attentifs à ce tableau, avec des acteurs différents, des réactions différentes, c’est parce que dans le fond, je me demande si nous n’avons pas un peu de peine aujourd’hui à nous laisser enthousiasmer par l’Esprit. Moi la première…Et je ne dis pas cela uniquement à cause du coronavirus et de tout ce qu’il a généré ces dernières semaines.
Ce qui me frappe, dans notre récit, c’est que les apôtres ne laissent personne indifférent. Tous les gens sont déconcertés, perplexes. Certains prêts à s’émerveiller ; d’autres prompts à se moquer.
Or, j’ai la cruelle impression qu’actuellement, nous les chrétiens, nous laissons souvent les autres indifférents. Ils n’ont pas besoin de nous. Pas besoin de Dieu. Pas besoin d’évangile. Et je ne peux pas m’empêcher de me demander pourquoi.
Sans entrer dans les domaines de la sociologie ou de l’anthropologie. Sans expliquer le déclin d’aujourd’hui par des attitudes inappropriées hier, cette relative indifférence questionne mon action ; elle questionne notre mission.
Qu’est-ce qui fait que j’arrive si mal, ou si peu, à faire vibrer les gens à partir de toute la richesse de la Bible, alors qu’elle me fait vibrer, qu’elle me fait vivre, jour après jour ? Qu’est-ce qui fait qu’on est si souvent entre nous alors que l’on aimerait bien accueillir de nouvelles têtes ?
Pas sûre qu’il n’y air qu’une réponse à cette question. Mais je pense que, comme Église, nous avons un problème de communication. Un problème de langage. Nous essayons de nous adresser au plus grand nombre, mais contrairement à ce qu’il se passe à Pentecôte, la grande majorité des gens ne nous entendent pas dans leurs propres langues. Ils ne nous comprennent pas.
Ce qu’il se passe ce jour-là à Jérusalem, il faudrait pouvoir s’en inspirer. C’est incroyable. Un coup de génie. Un coup de maître.
Chacun, dans la foule, entendait les apôtres parler de Dieu dans sa langue maternelle… Vous imaginez ?
La langue maternelle…
… Cette première langue que nous avons entendue. Celle qui, dans le ventre de notre mère nous berçait. Langue des premières émotions, des premiers balbutiements.
Cette langue qui nous revient dans les moments douloureux de l’existence puisque nous exprimons spontanément notre douleur dans la langue qui nous a enfantés.
Cette langue qui nous reste jusqu’à la toute fin. Celle avec laquelle tant d’êtres humains appellent leur maman avant de rendre leur dernier souffle.
Que par son Esprit, Dieu veuille, Dieu puisse être entendu par chacun dans sa langue maternelle, voilà qui en dit long (sur ses capacités de communication, mais surtout) sur la relation qu’il souhaite construire avec nous.

  • A l’heure où, coronavirus ou pas coronavirus, l’économie dicte nos choix plus souvent que d’autres valeurs.
  • A l’heure où l’habitude du zapping et l’injonction du « tout tout de suite » menace de nous faire oublier nos racines.
  • A l’heure où la mode est au prêt-à-porter plutôt qu’au sur-mesure, où tout est fait pour nous laisser croire qu’il vaut mieux rester dans le rang que d’oser des paroles fortes et des actions signifiantes,

n’avons-nous pas trop rapidement céder à l’ère du politiquement-correct, de l’éthiquement-correct, du socialement-correct et … du religieusement-correct ? Qui nous rend un peu insipide et largement inaudible…
Dans un tel contexte, quelle leçon que cette Pentecôte ! Dieu s’adresse à tous. Il se fait entendre personnellement par chacun !
Autrement dit, pas de langage unique, pas de pensée unique, pas de vérité dogmatique imposable à tous comme une évidence. Mais des langues maternelles qui saluent les origines diverses des personnes présentes.
En clair, l’Esprit de Pentecôte veut permettre aux humains de s’entendre malgré des différences. Au-delà des différences, sans pour autant les abolir.
Le récit de la Pentecôte est donc bien une sorte d’anti-Babel comme on le dit parfois.
Babel, c’était la volonté démesurée des humains d’atteindre Dieu par l’uniformité, par l’unicité. Pentecôte, c’est la volonté de Dieu d’unir les hommes en respectant l’unicité de chacun.
Et cela, nous l’oublions sans doute trop souvent. Attachés que nous sommes à vouloir avoir raison contre les autres.
Affairés que nous sommes à tenter de rallier les autres à notre cause. Comme si nous détenions l’Esprit. Comme si nous possédions un Esprit de vérité.
Mais Pentecôte nous le rappelle, l’Esprit ne se détient pas, il ne se convoque pas. L’Esprit vient par surprise. C’est lui qui nous prend, qui nous enthousiasme, qui nous transporte.
Du coup, l’itinéraire de nos pérégrinations, devient le sien bien plus que le nôtre.
Du coup, vivre Pentecôte demande de l’humilité et de la confiance.
Humilité de celui qui sait et qui accepte qu’il ne mène pas sa barque à la seule force de son bras.
Confiance de celui qui ne craint pas les mises en mouvement de Dieu et qui peut se laisser guider sans avoir une idée précise des méandres à venir.
Cette humilité et cette confiance sont une forme de dessaisissement, de lâcher-prise. C’est une mise en retrait de soi pour faire place en nous à un Autre que nous.
Je crois que c’est en osant ce repli, qui n’a rien d’identitaire, que nous retrouverons le langage de Dieu lui-même qui saura toucher chacun en son cœur.
Amen