Prédication de Pâques: entre crainte, joie et mensonge, Pâques!

Si Netflix avait existé à l’époque, nul doute que la chaîne aurait négocié une exclusivité avec le scribe Matthieu. Son annonce du tombeau vide est digne des meilleurs scénarios. Avec au programme : des émotions, du fantastique, des retrouvailles, un brin de supercherie, de la corruption. De quoi cartonner sur les écrans.

 

Si je reprends les termes bibliques qui alimentent ceux cinématographique, on a :

  • 2 femmes en chemin.
  • Un grand tremblement de terre.
  • Un ange tombant du ciel.
  • Le ressuscité qui débarque et salue les femmes le plus naturellement du monde.
  • Les grands prêtres et les anciens réécrivant l’histoire à coup de mensonge pour ne pas en être les perdants.
  • Les gardes romains qui encaissent sans broncher les pots de vin.

 

Le récit est palpitant.

N’empêche que, plus de 2000 ans après, un matin de Pâques, c’est étrange de le redécouvrir de cette manière. On peut dire, à tout le moins, qu’il nous emmène à 1000 lieues de l’imagerie populaire qui colle à cette fête. Difficile en effet de faire un lien entre ce récit et des lapins, du chocolat, des œufs, voire même une joie que certains voudraient aussi évidente que béate.

 

Si on voulait s’attarder sur tous les éléments de ce récit, on en aurait pour long. Je vais donc me contenir et vous proposer de revenir sur 2 éléments, avant de survoler globalement l’évangile de Matthieu sous la forme d’une confession de foi toute personnelle.

 

« Après le sabbat, au commencement du premier jour de la semaine, Marie de Magdala et l’autre Marie vinrent voir le sépulcre. »

 

Contrairement à ce que la traduction française peut nous faire croire, ce n’est pas au petit matin que les femmes se mettent en route. Quand les lueurs de l’aube viennent éclairer les coins de rue. Rassurer les humains. Et que la nature déjà laisse entrevoir ses mille-et-une couleurs. C’est de nuit, alors que tout est encore sombre, que commence leur périple.

 

Vous le savez, ou vous me l’avez peut-être entendu dire, dans la tradition juive, le jour nouveau commence au moment où paraissent, dans le ciel, les premières étoiles qui annoncent la fin de la journée en cours. Ce sont elles, par exemple, qui le vendredi soir dictent le début de Shabbat.

 

C’est cette même logique, ce même rythme, qui est décrit dans le livre de la Genèse pour évoquer la création. Souvenez-vous : Dieu sépara ceci de cela, « il y eut un soir, il y eut un matin : premier jour », « il y eut un soir, il y eut un matin : deuxième jour », et caetera.

 

Donc, c’est parfaitement contrintuitif pour nous, mais dans la logique qui était celle de Jésus, si vous m’aviez demandé hier soir, après le coucher du soleil, « quel jour sommes-nous ? », j’aurais dû vous répondre : « Nous sommes demain, c’est dimanche. Et cela, bien avant minuit. »

 

Que Marie de Magdala et l’autre Marie se soient mises en route de nuit, nous révèle une réalité essentielle.

 

Pour vivre Pâques, il ne suffit pas de guetter les aubes, de scruter le soleil qui point, d’attendre passivement l’éclosion du neuf...

 

Pour vivre des Pâques dans nos vies, il faut sortir dans nos nuits, il faut les affronter, y avancer, même à tâtons.

 

En d’autres termes, et les 2 expos en témoignent, il convient de se pencher sur ce qui, en nous et autour de nous, est blessé, meurtri, souffrant, sombre. Puis, du coeur de ces lieux-là, favoriser ou laisser émerger la guérison, la réconciliation, la résurrection.

 

Marie de Magdala et l’autre Marie sont sorties de nuit, courageusement. Elles ont fini par courir, remplies de joie. C’est à cette même audace qu’elles nous invitent.

 

À l’inverse, les soldats supposés garder le tombeau font piètre figure.

 

Ils sont payés pour ne prendre aucun risque. Ils doivent rester sagement assis devant le tombeau, ne pas fermer l’œil de la nuit, et dénoncer toute tentative de supercherie. Parce que les grands prêtres et les anciens craignent que les amis de Jésus ne viennent voler son corps pour faire croire à sa résurrection.

 

Et l’évangéliste nous confie cette délicieuse précision : « Il se fit un grand tremblement de terre. L’ange du Seigneur descendit du ciel, vint rouler la pierre et s’assit dessus.  Dans la crainte qu’ils en eurent, les gardes furent bouleversés et devinrent comme morts. »

 

C’est quand même incroyable. Ces gardiens qui veillent sur le mort pour s’assurer qu’on ne le vole pas, ou pire qu’il revienne vraiment à la vie, les voilà comme saisis par la mort au moment où le crucifié ressuscite.

 

C’est peut-être là, le paradoxe de la résurrection, qui révèle un paradoxe dans chacune de nos vies.

 

Il y a en nous des gardiens robustes. Que nous créons, que nous plaçons en stratagème de défense... pour nous protéger de nos peurs, de nos sentiments, des nouveautés, des autres, de soi...

 

… Mais lorsque Dieu intervient dans nos vies, il ne saurait se laisser enfermer dans nos sépulcres.

 

Sa puissance est plus forte que tous nos gardiens ; son amour est plus puissant que toutes nos craintes. Il fait resurgir la vie, coûte que coûte, quitte à tout renverser : la pierre du tombeau autant que nos principes et nos certitudes.

 

Et c’est bien l’image de ce Dieu qui fait resurgir la vie coûte que coûte qui m’inspire ce matin une rapide relecture de l’évangile de Matthieu sous forme de confession de foi. En 6 mots : Je crois en un Dieu sage-femme.

 

L’évangile de Matthieu, en son tout début vous vous en souvenez, égrène les 3 fois 14 générations qui, depuis Abraham en passant par David et la déportation de Babylone, ont précédé la naissance de Jésus. Dieu apparait dans cette longue liste de noms comme celui qui accompagne fidèlement les contractions de son peuple en chemin pour que chaque génération accouche de la suivante.

 

Plus discret durant la grossesse de Marie, il n’en a pas moins accompagné Joseph pour le préparer à ce qui allait advenir. Il a usé de toute sa finesse pour que la naissance soit officiellement reconnue à l’occasion du recensement et dûment notifiée par le monde politique et social. Avant de laisser la vie sauve à la jeune famille en lui donnant l’ordre de prendre le chemin de l’exil alors qu’Hérode fait massacrer les enfants de Bethléem.

 

Ensuite, dès les débuts de son ministère public, Jésus a incarné les traits d’un accoucheur en aidant les personnes qu’ils croisaient à naître au monde, à s’y découvrir une place réelle, alors même que la société voulait les en exclure.

 

Jésus n’a eu de cesse d’encourager les hommes, les femmes et les enfants à accoucher de l’humanité qui sommeillait en eux.

 

Et puis, il y a eu ce terrible vendredi où des fossoyeurs ont voulu l’arrêter. Il fut mis à l’index par les grands de son peuple et pendu sur la croix.

 

Tout aurait pu s’arrêter là.

 

C’était compter sans Dieu. Qui, au troisième jour, généra un grand tremblement de terre. Semblables aux contractions d’un monde qui ne pouvait pas en avoir fini d’accoucher de la vie.

 

Et la nouvelle s’est répandue comme un murmure.

 

Les femmes ont repris le murmure qui, peu à peu, s’est amplifié. Christ est ressuscité. Il est vraiment ressuscité. Il vous attend en Galilée.

 

Christ vous précède et vous attend. Marchez donc, désormais, vous aussi comme des vivantes et des vivants.

 

Le monde a plus que jamais besoin des sages-femmes et des accoucheurs que vous êtes.

Amen