Prédication de la Nuit de Noël, "Pas de lumière sans ombre!"

Lecture de l’évangile de Luc, chapitre 2

À cette époque, l'empereur Auguste donne l'ordre de compter les habitants de tous les pays.  C'est la première fois qu'on fait cela. À ce moment-là, Quirinius est gouverneur de Syrie.  Tout le monde va se faire inscrire, chacun dans la ville de ses ancêtres. 

Joseph quitte donc la ville de Nazareth en Galilée pour aller en Judée, à Bethléem. C'est la ville du roi David. Or, David est l'ancêtre de Joseph.Joseph va se faire inscrire avec Marie, sa femme, qui attend un enfant.

 

Lecture d’Ésaïe, chapitre 30

Le SEIGNEUR attend le moment de vous montrer sa bonté, il se lèvera pour vous montrer sa tendresse.

Oui, le SEIGNEUR est un Dieu juste. Ils sont heureux, ceux qui l'attendent avec espoir.

Il vous donnera du pain dans la détresse, de l’eau dans l’oppression, celui qui doit t’instruire ne se dérobera plus, et tes yeux le verront. Tes oreilles entendront la voix qui dira derrière toi quand tu devras aller ou à droite ou à gauche : « Voici le chemin, prenez-le. » Ce jour-là, la lumière de la lune sera comme celle du soleil, et la lumière du soleil sera multipliée par sept lorsque le SEIGNEUR bandera les plaies de son peuple et soignera les blessures qu’il a reçues.

 

Lecture de l’évangile de Jean, chapitre 3

La lumière est venue dans le monde, mais les gens ont préféré la nuit à la lumière parce qu'ils font le mal. 

Tous ceux qui font le mal détestent la lumière et ils ne vont pas vers la lumière. Car ils ont peur qu'on découvre leurs mauvaises actions. 

Mais ceux qui font la volonté de Dieu vont vers la lumière. Ainsi, on voit ce qu'ils font, on voit qu'ils obéissent à Dieu. »

 

Prédication dialoguée: Pas de lumière sans ombre!

On associe souvent Noël à une trêve. On l’espère particulièrement cette année en regard de toutes les atrocités dans le monde dont nous avons connaissance.

 

Associer Noël à une trêve, c’est se prendre à rêver.

De paix. De bienveillance.

De lumière, d’amitié, de tolérance.

 

Ces ingrédients, ils saupoudrent bel et bien le récit de Noël. De façon subtile et délicate, il est vrai. Mais ils sont présents. Mon seul regret, c’est qu’ils ne réhaussent malheureusement pas la saveur de la vie de nombreuses personnes aujourd’hui.

 

Pourtant, j’en fais le pari : ces ingrédients sont là, à notre portée. Ils attendent que les cuisinières et les cuisiniers du monde que nous sommes les utilisions non seulement pour la dinde du 25. Mais pour assaisonner chacune de nos journées.

 

Paix, lumière, amitié, tolérance.

Dans le monde et entre les humains.

 

Ce même pari, Dieu le fait. Depuis la nuit des temps.

 

Il aurait de quoi déprimer en observant le monde. Pourtant, cela ne l’empêche pas de venir, de revenir, encore et encore pour déposer dans le monde un peu de sa lumière, de sa paix, de sa grâce.

 

Oh, je sais, on a perdu la grâce. Non qu’elle ait pris la poudre d’escampette. Mais plus personne n’en parle. Ni dans la société, ni même dans les Églises.

 

La grâce fait partie de ces gros mots théologiques qu’on n’ose plus utiliser, parce qu’on ne sait pas comment les traduire en français courant.

 

Avec d’Esaïe, j’affirme qu’une société (pas seulement une Église), une société sans grâce est une société inhumaine. Invivable. Sans espoir. Sans horizon.

 

C’est exactement ce que traverse le peuple d’Israël à l’époque du prophète Ésaïe. Il vit une salle passe.

Il prie Dieu, par moments.

Il se tourne aussi vers d’autres idoles.

Il va même jusqu’à espérer que l’Égypte pourrait le sauver.

 

C’est un leurre.

L’Égypte, même alliée, est incapable à sauver Israël. Elle est tout juste bonne à lui donner de quoi survivre en le maintenant dans une situation de dépendance. Comme quand on met une pièce d’argent dans la main d’un mendiant, alors qu’il lui faudrait du travail pour ne plus quémander.

 

C’est cela, un monde sans grâce. Un monde qu’on cherche à rendre supportable tel qu’il est plutôt que de s’attacher à le transformer.

 

Marc, vous avez fait des études de théologie, vous avez bossé dans le milieu bancaire, dans celui de l’industrie pharmaceutique, vous écrivez des polars assez sombres ; avec ou sans Andreas Auer, quel regard portez-vous sur le monde aujourd’hui ? Quelle serait votre définition de la grâce ?

 

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Bien que mes polars soient assez sombres, il y a aussi de la lumière. « Pas de lumière, sans ombre » est une phrase que répète souvent mon inspecteur Andreas Auer. Son travail le confronte constamment à la part sombre, la part d’ombre de l’être humain, aux ténèbres qui peuvent l’habiter. La question qu’Andreas se pose à chaque fois qu’il est confronté à un être humain qui commet un crime, est celle de l’origine du mal, bien sûr. Comment une personne peut-elle en arriver à ôter la vie d’un autre être humain, à laisser les ténèbres l’envahir tout en ne laissant plus la lumière pénétrer ? Cette question, en tant qu’auteur, je me la pose aussi. Et si je continue à écrire, c’est sans doute que je n’ai pas trouvé la réponse.

Carl Gustav Jung, le célèbre psychanalyste suisse, un spécialiste du côté obscur, lui, nous invite justement à découvrir la part d’ombre dont nous sommes tous porteurs et à l’intégrer au mieux dans notre conscience. Il n’y a pas de lumière sans ombre, dit Jung ! Et pas un être humain sans sa part d’ombre… Il ne la considère pas comme mauvaise en soi, mais pour nous épanouir, nous devons l’apprivoiser. L’ombre est, comme le dit Jung, un éternel antagoniste : elle nous impose de nous confronter à ce que nous voulons parfois ignorer de nous-mêmes…

L’être humain, on le sait, est capable du meilleur comme du pire. Ce n’est pas Andreas Auer, qui me contredira.

Finalement, peut-être que la question la plus importante, n’est pas de savoir ou de tenter de comprendre l’origine du Mal avec un M majuscule, mais de savoir comment je peux faire pour accueillir la lumière, cet extraordinaire cadeau qui est fait à chacun de nous.

La lumière et l’ombre sont indissociablement liés. La lumière permet de révéler ce qui est dans l’obscurité. La lumière nous permet d’avoir une nouvelle perspective, une nouvelle compréhension.

La grâce, pour moi, ce serait justement le don inconditionnel de cette lumière qui nous est fait, cette lumière qui peut nous transformer en profondeur.

 

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Ce qui frappe à l’époque d’Ésaïe, c’est que Dieu veut vraiment « grâcier » son peuple.

Dieu veut nourrir, guider, éclairer, soigner… Il le promet. Il en a hâte. Ce qu’il veut, c’est la libération totale de son peuple. 

 

Or, Israël tergiverse.

 

Face à cette incroyable générosité divine, qu’est-ce qui cloche chez l’humain pour qu’il ne dise pas « oui » tout simplement ?

 

D’un côté, la lumière est bénéfique pour nous. Elle est par exemple source de chaleur et de vie sur Terre. Elle nous permet aussi de voir les choses telles qu’elles sont réellement. Mais d’un autre côté, elle révèle ce qui est caché dans l’obscurité et qu’on préférerait laisser dans l’ombre. Elle peut même nous aveugler si elle est trop forte pour des yeux qui ne sont pas habitués à la lumière. 

Mais assez parlé sur un plan conceptuel. Ça veut dire quoi, concrètement d’accueillir la lumière ?

Il y a, à mon sens, un élément de réponse dans le récit d’un meurtre, un meurtre dont il est question dans la Bible, celui d’Abel par Caïn. En le plaçant au tout début de l’histoire de l’humanité, la Bible nous rappelle que la violence, et la relation à l’autre dans sa différence, sont au fondement de notre humanité. La Genèse raconte que Dieu a refusé l’offrande de Caïn, tandis qu’il a accepté celle d’Abel, ce qui a rendu Caïn tellement furieux qu’il a tué son frère. Pourquoi ? Comment comprendre cette différence de traitement entre les deux frères ? Dieu serait-il partial ? La réponse est : non ! L’explication repose sur la différence de disposition intérieure des frères. La Bible ne cesse de répéter qu’il ne sert à rien d’offrir un sacrifice s’il n’est pas l’expression d’un cœur sincère. Dieu demande d’ailleurs à Caïn : « Pourquoi es-tu irrité, pourquoi ce visage abattu ? », et surtout il lui dit : « Si tu agis bien, ne relèveras-tu pas ton visage ? Mais si tu n’agis pas bien, le péché est accroupi à ta porte. Il est à l’affût comme une bête qui te convoite, mais tu dois le dominer. » Malgré l’exhortation divine, Caïn n’arrive pas à se dominer, et il tue Abel sans rien lui dire, sans prononcer un seul mot. Caïn s’est laissé envahir par l’ombre tapie en lui en la projetant sur son frère, le rendant responsable du mal-être qui l’habitait. Ce dont il est question dans ce premier meurtre de l’humanité, c’est la relation à l’autre et la gestion de la différence, qui peut être source de conflits, source de violences, de jalousie, de haine.

Ainsi, si on en revient à la lumière, l’accepter, l’accueillir, signifie concrètement que c’est la lumière qui guide ma vie, et non l’obscurité, mais qu’elle doit aussi être au cœur de ma relation à l’autre.

 

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La lumière comme guide. La lumière au cœur de nos relations…

On trouve un écho à cela dans le Nouveau Testament. Tout particulièrement dans l’évangile de Jean. Qui parle de Jésus comme de la lumière dans le monde, comme la lumière du monde à un autre endroit de ce même évangile, ce qui a fait dire à l’un de mes collègues que Jésus est la lumière du monde parce qu’il ne fait d’ombre à personne.

 

Ça vous inspire quoi, Marc ?

 

J’aime beaucoup cette formule : « Jésus est la lumière du monde parce qu’il ne fait d’ombre à personne ». Elle illustre parfaitement le fait que cette grâce qui nous est faite de recevoir la lumière n’est pas un cadeau à ouvrir seul dans son coin, mais à partager. La lumière rayonne pour moi, mais aussi pour les autres, pour l’autre. Si je la reçois, c’est pour la faire réfléchir et propager ses rayons plus loin. Cela me fait penser à un mot qui pour moi est très important : la bienveillance.

La bienveillance se réfère à une attitude de bonté, de respect et de compassion envers les autres. Elle implique une attitude positive et empathique envers l’autre. Être bienveillant, à mon sens, signifie non seulement être charitable et compatissant, mais aussi avoir une préoccupation authentique pour le bien-être des autres.

Être bienveillant pour moi, c’est justement « ne faire d’ombre à personne ».

 

 

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Quand on associe Noël à la lumière, on ne dit pas pour autant que la lumière de Noël chasse toute obscurité.

 

C’est plutôt l’idée de dire que la lumière dont Jésus est porteur vient féconder nos ténèbres. Les féconder, ce n’est pas faire comme si elles n’existaient pas. C’est y ajouter un petit quelque chose pour les transformer. On est dans un registre analogue à celui de la grâce.

 

Comment décririez-vous la lumière dont le monde a besoin aujourd’hui ?

 

Nous n’allons pas réussir à chasser les ténèbres du monde d’un coup de baguette magique. Nous n’allons pas pouvoir chasser le voile obscur qui plane sur le monde de jour au lendemain. C’est pour cela que la lumière dont nous avons besoin est celle qui vient transformer ma vie et changer mon regard sur l’autre, sur celui qui est différent de moi ! 

 

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Une démarche d’abord intérieure, si je vous entends bien. Qui transparaît ensuite dans le monde.

 

En ayant cela à l’esprit, j’aimerais que nous terminions notre dialogue en revenant à l’évangile de Luc. À cette naissance qui n’a pas lieu sous les feux de la rampe. Les spots et autres leds n’existaient pas à l’époque.

 

On s’éclairait, on avançait à la lueur fragile des lampes à huile. Dont la lumière ne pointait rien de particulier. Mais restait diffuse et permettait de voir l’environnement dans lequel on évoluait.

 

Cette naissance, tout en discrétion, qu’est-ce qu’elle nous dit de Noël et qu’est-ce qu’elle nous permet d’espérer, aujourd’hui ?

 

Noël nous promet que la lumière de Dieu est là, à notre portée, malgré l’obscurité. Même si on a le sentiment que la lumière qui nous habite n’est qu’une petite lueur, si elle brille pour moi et pour l’autre, mon prochain, elle va gagner en intensité. À l’instar des milliers d’étoiles illuminant le ciel, leur éclat résulte de leur multitude. Je terminerai, par dire que cette lumière de Noël, bien plus qu’un espoir à cultiver, est une responsabilité, comme une flamme vive dont je dois m’occuper pour qu’elle ne s’éteigne pas.

 

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Ce sera le mot de la fin. La lumière de Noël comme une responsabilité individuelle et collective d’entretenir la flamme. D’agir dans le monde en relayant la lumière de Dieu. En d’autres mots, être des étoiles sur terre.

Merci, Marc.