Prédication du culte de consécration, "Sur la pointe des pieds"

 

Sur la pointe des pieds, par Line Dépraz, pasteure

 

Vous vous souvenez de votre première fois ?

Où c’était ?

Comment ça s’est passé ?

 

Moi, j’avoue que c’était un peu un flop…

 

Je devais avoir 9 ans.

C’était du côté du Pays-d’en Haut.

Et j’étais pressée, par une gentille monitrice de camp, de répondre à Dieu et de lui donner mon cœur, parce que Dieu m’appelait et que son appel était suffisamment important pour que je me décide illico.

 

À cette époque, j’avais le sens de la répartie, et je n’avais pas la langue dans ma poche. Je me souviens donc assez bien avoir répondu que si Dieu me voulait vraiment -je ne savais pas trop ce que cela voulait dire, mais je répétais la formule-, donc si Dieu me voulait vraiment, il serait sans doute d’accord d’attendre un peu, histoire de me laisser le temps de comprendre ce qu’il se passait.

 

J’étais, sans doute, triplement troublée.

 

Tout d’abord, parce que je ne savais pas que Dieu pouvait me parler comme mes copines ou mes parents le faisaient. Je n’avais aucune idée du son de sa voix.

 

Et puis, Dieu, et bien, je ne l’avais pas entendu me demander que je lui donne mon cœur. Je trouvais ça louche, pour ne pas dire lâche de sa part. Pourquoi disait-il à Laurence, c’était le nom de la monitrice, ce qu’il aurait dû me dire, à moi ?

 

J’avais enfin un peu la trouille, aussi. Dans ma logique, puisque je devais répondre tout de suite, c’est qu’il y avait urgence quelque part. D’où ma crainte : Et si Dieu me demandait de partir sur-le-champ, très loin, je devrais, pour cela, abandonner ma grand-mère payernoise que j’aimais tant. Ça n’allait pas le faire.

 

Ce jour-là, j’ai donc dit “pouce“ à Dieu ; ou en tout cas à l’une de ses témoins. Au milieu d’un camp où je venais de découvrir que le récit du buisson ardent, c’est le récit de la première rencontre entre Dieu et Moïse.

 

Pour Moïse, sa première fois avec Dieu, c’était ça. Ça en jette ! Mais comme enfant, ça m’a probablement un peu refroidie.

 

Alors aujourd’hui, je peux le dire, on ne sait pas comment s’est réellement passé ce premier rendez-vous.

 

Mais peu importe le degré de réalité des faits rapportés dans le livre de l’Exode.

Comme tout texte sacré, ce récit du buisson ardent demande à être interprété. Encore et encore, génération après génération.

 

Il n’a pas, et n’aura jamais fini de révéler son sens. De venir questionner et, peut-être, éclairer notre quotidien.

 

Alors pour vous qui êtes aujourd’hui consacrés, agrégées, reconnu.e.s dans votre engagement.

Plus largement pour chacune et chacun de vous tous, je garde 3 impulsions de ce récit.

 

  1. Ne craignez pas les détours.

  2. Si un buisson peut brûler sans se consumer, c’est que tout n’est pas voué à disparaître.

  3. Dieu veut densifier nos vies.

 

« Ne craignez pas les détours. »

Voilà qui tranche avec nombre de discours ambiants sur l’efficacité, ou l’efficience, c’est selon.

 

C’est qu’en période de vaches maigres, entendez quand la relève ministérielle est belle et bonne, mais peu abondante. Quand la somme des engagements professionnels et bénévoles ne permet plus d’assumer la mission “comme avant“. Quand le frein à l’endettement est déclenché, le message dominant veut qu’on aille au but avec efficacité, en prenant des mesures efficientes.

 

Ce n’est pas inutile de le rappeler en Église, j’en conviens. Quand on pense avoir l’éternité devant soi, on perd parfois le sens de la réalité. 

 

Moïse, lui, après un début de vie quelque peu chaotique, coule des jours heureux avec sa famille en terre de Madiân où il s’occupe notamment du bétail de son beau-père.

 

Ce n’est probablement ni l’opulence ni la crise. Juste une vie, un peu banale, qui suit le cours de ses jours.

 

Ce matin-là, il décide de faire paître le troupeau de Jéthro au-delà du désert. Et comme cette région, il la connaît par cœur, il sait par avance le chemin qu’il va prendre. Par où il va passer pour permettre au troupeau de brouter au plus vite.

 

Et soudain, un peu à l’écart, ce buisson en feu.

Qui accroche son regard, suscite sa curiosité, et lui fait faire quelques pas de côté. Prudemment. Sur la pointe des pieds.

 

Moïse n’a aucune idée de ce qui est en train de se jouer.

Pourtant, il n’hésite pas à se laisser détourner. (La curiosité est un bon défaut.)

Il consent à l’imprévu.

Il en oublie même un peu ses moutons.

Et le voilà qui rencontre Dieu et entame un dialogue avec lui.

 

Aujourd’hui, comme ce jour-là et comme tant d’autres jours, je crois que Dieu continue à surgir là où on ne l’attend pas, où on ne l’imagine pas. Et qu’à vouloir aller trop vite à tel ou tel but, on prend le risque de le rater en chemin.

 

Je sais que, dans les Églises comme dans la société, on aime les directions claires, les formules bien senties.

Les certitudes, les affirmations.

Le palpable, la permanence.

 

Personnellement, je fais plutôt l’expérience de Dieu dans mes hésitations et mes balbutiements.

Je le découvre dans des questions plus souvent que dans des réponses.

Je l’entends (j’ai appris depuis) dans les marges des récits, là où la page noircie par l’encre reste blanche.

Je le sens dans l’invisible souffle qui donne vie aux lettres.

Je le perçois dans toute étincelle qui donne à l’instant présent une saveur d’éternité.

 

À cause de cela, pour cela, je vous le redis : ne craignez pas les détours. 

 

D’autant plus que, si un buisson peut brûler sans se consumer, c’est que tout n’est pas fichu. Tout n’est pas voué à disparaître. Il y a du potentiel. C’est, pour moi, une des grandes révélations de Dieu dans ce récit.

 

Nous le savons.

Tout ce qui brûle est appelé à se consumer peu à peu jusqu’à n’être plus qu’un petit tas de cendres.

 

Dieu se présente à nous, du coeur d’un buisson ardent, comme un feu qui ne se consume pas.

 

Si nous pouvons consentir à la rencontrer ainsi, alors nous ne sommes pas au début d’une histoire qui, comme toute histoire, aura sa fin.

 

Nous sommes au premier rendez-vous d’une histoire qui pourrait ne pas avoir de fin.

 

Celle de notre relation avec ce Dieu au nom mystérieux, « JE SUIS QUI JE SERAI. » 

Les hébraïsants le savent, un nom qui dérive d’un verbe conjugué à l’inaccompli, ça veut dire que ce verbe ne décrit pas une action qui est passée et révolue. Mais une action qui est en train de se passer ou qui va se passer. Ce qui nous autorise à penser que Dieu, toujours, est du côté de ce qui advient.

 

Dieu n’est pas “un agent conservateur“ pour reprendre l’expression de James Woody. Il ne cherche pas à maintenir le monde en l’état. Il s’attache à le créer encore et encore.

 

En ce sens, il est un stimulateur des possibles. Il ouvre l’avenir. Il dévoile des perspectives.

 

C’est probablement tout ce dont Moïse avait besoin.

 

Jusqu’à ce jour, sa vie ressemblait à une sorte de mosaïque ou de puzzle qui n’arrivait pas à s’assembler de manière harmonieuse.

 

Une enfance en terre d’exil. Entre deux mères, deux langues, deux cultures.

Un meurtre commis.

Une récompense pour qui le tuerait.

Un nouvel exil.

Une terre d’accueil.

Une famille.

 

Du cœur du buisson ardent, Dieu vient unifier ces morceaux de vie épars et éclatés. Qui donnaient à Moïse l’impression de subir ce qui lui arrivait, d’être balloté dans l’existence au gré d’évènements qui lui échappaient.

 

En unifiant ces morceaux de vie, Dieu vient densifier l’existence de Moïse.

 

Il lui permet de se sentir suffisamment ample et solide (même si le dialogue n’est pas fini) pour répondre à son appel et accepter la mission qu’il veut lui confier.

 

En se laissant rencontrer dans les détours de nos existences, en se manifestant comme celui qui brûle sans se consumer et sans consumer autrui, en se proposant de densifier chacune de nos existences, Dieu fait le pari que nous accepterons de faire ce dont il nous rend capables contre toute attente.

 

Quelle grâce !

 

 

Récit biblique, Exode 3 : 1 à 14

Moïse faisait paître le troupeau de son beau-père Jéthro, prêtre de Madiân. Il mena le troupeau au-delà du désert et parvint à la montagne de Dieu, à l'Horeb. L'ange du SEIGNEUR lui apparut dans une flamme de feu, du milieu du buisson. Il regarda : le buisson était en feu et le buisson n'était pas dévoré. Moïse dit : « Je vais faire un détour pour voir cette grande vision : pourquoi le buisson ne brûle-t-il pas ? » Le SEIGNEUR vit qu'il avait fait un détour pour voir, et Dieu l'appela du milieu du buisson : « Moïse ! Moïse ! » Il dit : « Me voici ! » Il dit : « N'approche pas d'ici ! Retire tes sandales de tes pieds, car le lieu où tu te tiens est une terre sainte. » Il dit : « Je suis le Dieu de ton père, Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob. » Moïse se voila la face, car il craignait de regarder Dieu. Le SEIGNEUR dit : « J'ai vu la misère de mon peuple en Egypte et je l'ai entendu crier sous les coups de ses chefs de corvée. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer de la main des Egyptiens et le faire monter de ce pays vers un bon et vaste pays, vers un pays ruisselant de lait et de miel, vers le lieu du Cananéen, du Hittite, de l'Amorite, du Perizzite, du Hivvite et du Jébusite. Et maintenant, puisque le cri des fils d'Israël est venu jusqu'à moi, puisque j'ai vu le poids que les Egyptiens font peser sur eux, va, maintenant ; je t'envoie vers le Pharaon, fais sortir d'Egypte mon peuple, les fils d'Israël. »

Moïse dit à Dieu : « Qui suis-je pour aller vers le Pharaon et faire sortir d'Egypte les fils d'Israël ? » –  12« JE SUIS avec toi, dit-il. Et voici le signe que c'est moi qui t'ai envoyé : quand tu auras fait sortir le peuple d'Egypte, vous servirez Dieu sur cette montagne. »

Moïse dit à Dieu : « Voici ! Je vais aller vers les fils d'Israël et je leur dirai : Le Dieu de vos pères m'a envoyé vers vous. S'ils me disent : Quel est son nom ? – que leur dirai-je ? » Dieu dit à Moïse : « JE SUIS QUI JE SERAI. » Il dit : « Tu parleras ainsi aux fils d'Israël : JE SUIS m'a envoyé vers vous. »