Prédication du 26 octobre, "Quand les pierres ont du souffle"

 

 

Quand les pierres ont du souffle, par Line Dépraz, pasteure

 

Une pierre “vivante“…

… il n’y a probablement que chez les chrétiens, un peu connaisseurs de la bible, que l’expression ne heurte pas.

 

Dieu sait pourtant qu’elle dit une incongruité.

La pierre étant par définition une matière inerte et inorganique, en bonne logique, parler d’une pierre vivante est un non-sens.

 

C’est pourtant ainsi que l’apôtre Pierre décrit Jésus-Christ. C’est ainsi, aussi, qu’il nous appelle à être. Et cet appel a passé les siècles. Il s’agit donc de l’entendre et de le comprendre.

 

Pourquoi comparer l’être humain à une pierre ?

 

J’ai posé la question à quelques personnes, cette semaine. Et ce qui est ressorti, c’est que qualifier l’humain de pierre vivante dit quelque chose de sa solidité, de sa stabilité.

 

L’homme est un roc.

 

La résilience de l’être humain est impressionnante, c’est vrai. Il peut se relever de situations inouïes.

 

Je l’ai souvent constaté dans mon rôle de pasteure.

 

Je l’ai aussi expérimenté pendant la quinzaine d’années où j’étais engagée dans l’équipe de soutien d’urgence, intervenant aux côtés de la police, pour du soutien à des proches, des témoins ou des victimes de situations potentiellement traumatisantes. Des moments où l’on voit des situations de détresses profondes, de détresse totale. Et où peu à peu, d’un chaos initial, émerge la faculté de reprendre pied et de faire face.

 

Pourtant, malgré ces expériences, je peine à assimiler l’être humain à un roc.Il y a, pour moi, quelque chose de beaucoup trop massif dans cette manière de le décrire.

 

D’ailleurs Jésus, qui est la pierre vivante, la pierre angulaire par excellence dont parle ce récit, n’était pas un super-héros, bandant les muscles, résistant à tout, trouvant instantanément une solution à chaque problème.

 

Ce n’est pas Superman que Dieu a choisi comme pierre vivante, c’est son fils au destin tellement surprenant.

 

Né à l’écart parce qu’il n’y avait pas de place pour ses parents dans l’auberge.

Exilé tout petit en Égypte pour éviter le courroux meurtrier de Hérode.

Un charpentier devenu pêcheur d’hommes.

Qui n’aimait pas tant s’abriter dans les maisons que marcher sur les routes.

Il priait rarement dans le temple ou les synagogues ; bien plus souvent en retrait, dans les montagnes voire le désert.

Il remarquait celles et ceux que les autres ne voulaient pas voir.

Il entendait les personnes que les dirigeants voulaient faire taire.

Il se mettait à la hauteur de son interlocuteur. S’abaisser ne l’effrayait pas.

 

Toutes ces caractéristiques de Jésus disent une solidité intérieure incroyable. C’est vrai, mais, à mon sens, pas celle d’un roc. Pas celle non plus d’un granit ou d’un marbre. Peut-être celle d’une mollasse…

 

Qui nous inviterait à entendre ces expressions, “pierre angulaire“, “pierre vivante“, en ayant à l’esprit non pas une pierre lisse, mais une pierre poreuse.

 

Tout ruisselle sur une pierre lisse. Rien n’accroche. Elle demeure parfaitement imperméable.

 

Une pierre poreuse absorbe l’eau.

C’est sa fragilité.

Celles et ceux qui restaurent la cathédrale le savent bien.

 

Mais comparé à l’être humain, cette expression de pierre vivante prend alors tout son sens.

 

Être poreux, poreuse, c’est accepter d’être touché par son environnement, touché par les autres. Touché par les évènements portés à notre connaissance, qu’ils se passent au près ou au loin.

 

Être poreux, poreuse, c’est se découvrir empathique et capable de compassion. Ce qui manque cruellement à notre monde aujourd’hui.

 

Parce qu’il était poreux, Jésus-Christ, choisi et précieux aux yeux de Dieu, a été rejeté par les humains.

 

Il ne correspondait pas, et ne correspond toujours pas, au schéma de ce qui est supposé fort, solide, incassable, imperméable.

 

Ses qualités, sa porosité, loin d’être le signe d’une faiblesse, sont le reflet d’une certaine fragilité, d’une certaine humanité. Pour ne pas dire d’une humanité certaine.

 

Être appelé.e.s, à sa suite, à devenir des pierres vivantes pour participer à la construction de la maison de Dieu, n’implique donc pas que nous soyons solides comme du roc, mais poreux comme de la mollasse.

 

Dans un registre un peu différent, le dialogue entre Jésus et la Samaritaine ne dit pas autre chose. Avec ce subtil déplacement que Jésus nous invite à opérer entre le “où“ et le “comment“.

 

L’important, dit-il à la Samaritaine, n’est pas de savoir s’il est juste et si nous avons raison de prier Dieu sur le Mont Garizim, à Jérusalem, à la cathédrale, dans un temple ou quelqu’autre lieu que ce soit.

 

Ce qui importe, c’est d’adorer Dieu en esprit et en vérité.

 

Ce passage du « où » au « comment » est fondamental. Il l’est d’autant plus si nous gardons en mémoire les mots de l’apôtre Paul qui affirme que nous sommes le temple de Dieu, chacune, chacun.

 

La manière dont nous témoignons de lui. Notre capacité à le révéler au monde. C’est cela l’important. Pas le lieu où nous le faisons. Même si nous avons besoin d’églises et de cathédrales pour nous rassembler en communautés.

 

Comme le disait le cinéaste Michel Audiard : heureux les fêlés car ils laisseront passer la lumière.

 

Les fêlés c’est tout à la fois ceux qui connaissent une douce folie, celle qui rend toute personne unique de par sa manière de voir le monde.

Les fêlés, c’est aussi ceux qui ont des marques de blessures, de déchirures, de cassures, des signes de porosité.

 

Les piliers d’église dont Dieu a besoin sont paradoxalement mobiles, souples, imparfaits, fêlés.

 

Il se laissent traverser par le Souffle de Dieu.

C’est ainsi qu’ils deviennent des pierres vivantes.

C’est ainsi que nous le sommes. Et que nous donnons souffle à à ces murs et au monde.

 

 

lecture de Jean 4 : 20 à 24

Parole de la Samaritaine à Jésus : Nos pères ont adoré sur cette montagne et vous, vous affirmez qu'à Jérusalem se trouve le lieu où il faut adorer. » Jésus lui dit : « Crois-moi, femme, l'heure vient où ce n'est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père. Vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs. Mais l'heure vient, elle est là, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ; tels sont, en effet, les adorateurs que cherche le Père. Dieu est esprit et c'est pourquoi ceux qui l'adorent doivent adorer en esprit et en vérité. » 

 

lecture de 1 Pierre 2 : 4 à 5

Approchez-vous de lui, pierre vivante, rejetée par les hommes mais choisie et précieuse devant Dieu.

Vous-mêmes, comme des pierres vivantes, entrez dans la construction de la Maison habitée par l'Esprit,pour constituer une sainte communauté sacerdotale, pour offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu par Jésus Christ.