Prédication “Il y a un temps pour naître et il y a un temps pour mourir” autour de Qohéleth 3, 1 et 2, par André Joly, pasteur
Appuis: Ps 30, Gal. 1,13-24
Le temps.
Ah, les belles discussions que nous pouvons avoir autour du temps.
Celui qui fait.
Celui qu’on n’a plus.
Le bon, souvent passé.
Le mauvais temps qui menace.
Les temps anciens enjolivés.
Et puis tous les autres auxquels vous pensez.
Sans non plus évoquer la confusion souvent faite entre temps et durée.
Le temps qui devient si prégnant plus on avance en âge parce que la question de la mort s’impose. Quelqu’un a dit: Je me suis rendu compte que j’avais pris de l’âge le jour où j’ai constaté que je passais plus de temps à bavarder avec les pharmaciens qu’avec les patrons de bistrot.
Alors en relisant ce texte il y a peu, je me suis demandé si l’auteur n’enfonçait pas un peu des portes ouvertes. Avec ces vérités qui tombent sous le sens et qui nous font dire
Naître, c’est fait
Mourir, ça va se faire.
Quand est-ce qu’on mange ?
Celui qui a écrit ce livre du Qohéleth - ou de l’Ecclésiaste, qu’on attribue parfois au roi Salomon nous offre une bibliothèque de proverbes, de pensées, d’aphorismes tirés de l’observation d’une longue vie de réussites suivies d’échecs. Certains inacceptables aux yeux de Dieu.
Alors il pense. Il écrit. Parfois il s’écoute écrire. Ajoutant soupirs de sagesse, à regrets de sagesse.
La tentation serait grande de faire de ce livre une collection pour un calendrier bien-pensant ou des proverbes de Carambar et de hausser les épaules et de redire: et puis quoi ? La vie est suffisamment absurde pour qu’on s’attelle d’abord à en profiter.
D’autant que ce livre commence par ce dicton célèbre: Vanité des vanités, tout est vanité.
De quoi soupirer…
Mais retournons au texte:
Il y a un temps pour naître…
Si cela tombe sous le sens, le texte original est plus précis que cela.
D’abord sur le mot temps.
Il faudrait plutôt traduire par moment favorable.
Il y a un moment favorable pour …
Et nous voilà à la deuxième difficulté de traduction. Le mot utilisé veut bien dire naître, et aussi enfanter, et aussi être enfanté, et aussi mettre au monde, donner naissance, et aussi faire le travail d’une sage-femme.
Avec toutes les précisions de bijoutier qu’il faut se rajouter. Naître et enfanter semblent à la fois antinomique et pourtant participent tous les deux à l’acte de naître.
Reprenons avec la traduction de la TOB:
Il y a un temps pour enfanter et un temps pour mourir.
Gardons d’abord les deux verbes: enfanter et mourir.
Si, du temps des rois de Judée, enfanter était le signe d’une bénédiction divine, on ne peut décidément pas s’arrêter à l’acte biologique seul. Enfanter participe non seulement d’un chemin biologique où la mort est déjà annoncée, mais aussi et tout autant à ce que nous faisons de la vie que nous avons reçu. Donner naissance et être enfanté sont les deux faces d’une même pièce. Qui se rejoignent dans des événements uniques, comme la naissance: un enfant est enfanté, un père et une mère naissent au statut de parent. Comme une pièce de musique est écrite pour qu’un autre la lise, l’interprète, et lui donne ainsi vie.
Donner la vie n’est pas seulement un acte physiologique. Donner la vie, être donné à la vie traverse toute la Bible, quand bien même la mort rôde abondamment.
Nous sommes donc des êtres de transmission. Transmission de valeurs, de créations, de vie, de partage, de redressements, de travail. Parce que c’est ce pour quoi nous avons été créés.
La vie ne se garde pas, elle se transmet. C’est non seulement vrai pour nos enfants biologiques, mais c’est encore plus vrai lorsque vous êtes pédagogue ou formateur. Si nous voulons continuer à vivre, alors il nous faut transmettre. C’est ainsi. Inscrit dans le projet de vie de Dieu. Autrement nous ressemblerions à des cailloux. Peut-être beaux et précieux. Mais à des cailloux quand même.
Il nous faut alors nous demander à quoi et comment nous sommes conviés à transmettre la vie.
Jeune, on est focalisé sur son projet de formation, adulte sur ses projets familiaux, expérimenté - pour ne pas dire plus âgé - à ces instants qui disent l’amour gratuitement: un regard, une main tendue, une prière, ou bien une confiture aux meurons faite avec ses petits-enfants.
La vanité, c’est de croire qu’à la première goulée de souffle, il n’y a qu’à laisser aller et qu’on aura le meilleur pour longtemps. Naître, enfanter, c’est un travail d’une vie. Et jusqu’au bout c’est encore la vie qui passera plus loin.
Il y a un temps pour mourir.
Ça viendra. Rassurez-vous. Prêt mais pas pressé.
Ici, - et il faudrait relire tout le chapitre 3, il s’agit bien de mourir à ce qui ne donne pas ou plus la vie: ces frustrations qui ne sont pas digérées, ces aigreurs auteures de renvois acides, ces ruptures qui continuent de nous enchaîner, ces morts qui nous empêchent d’aller de l’avant. Et cette façon si particulière de nourrir l’inachevé en maronnant contre un autre, contre le temps, contre une autorité, contre le vide spirituel, la perte des valeurs, et contre tous ces nuages qui empêchent le beau.
Mourir, c’est devoir lâcher.
Mais nous, on ne lâche rien.
Il y a des gens qui ne lâchent jamais rien. Pas seulement au niveau de leur porte-monnaie, mais dans ce vivre-au-monde parmi les autres. Ils ont toujours raison, ne connaissent que leur manière de faire, sont convaincus qu’ils n’ont jamais tort, et font de leur personne leur référence et leur conviction d’être juste, y compris devant Dieu.
Nous ne possédons jamais rien.
Nous quitterons nos biens et nos personnes, nos relations et nos oeuvres.
Alors avant de mourir biologiquement, à quoi pourrions-nous renoncer ? A nos rêves démesurés, à nos faims de possession, à nos obsessions de contrôles, à nos ambitions pour nos enfants, à nos relations toxiques ?
Avant de répondre à nos propres questions, il nous faut revenir à cette notion de temps. Non pas dans sa structure propre avec ses heures et ses minutes, ses jours et ses saisons. Mais dans cette notion de moment favorable. Nous le savons, les 40 semaines de grossesse sont la durée au-delà de laquelle une naissance devrait avoir lieu. C’est le cours normal des événements.
Mais pour le reste, le temps favorable est ce moment qui nous le fait décider, comme une intuition que les choses sont alignées pour trouver ou retrouver la vie, mourir à ce qui nous étouffe pour mieux respirer, accueillir à nouveau une vie qui nous élargit au lieu de nous ratatiner,
une vie qui est confiée plutôt qu’une vie qui est due,
une vie ouverte à un avenir possible plutôt qu’à un passé enfermant.
Dans les deux premiers chapitres de ce livre de Qohéleth - ou de l’Ecclésiale, si vous préférez, l’auteur part d’un constat qu’il a d’abord passé sa vie à prendre tout ce qu’il pouvait prendre: de la sagesse, du plaisir, entreprendre de grandes oeuvres, de l’argent, et c’est à partir de ce qu’il a voulu, conduit, décidé, qu’il parle de vanité.
Le grand retournement - quand les choses ne sont plus vaines, c’est quand on réalise qu’on est d’abord véritablement vivant pour donner et non pour prendre.
Donner ce qui a été reçu, et non pas prendre ce que nous voulons conquérir.
C’est ainsi qu’on peut donner sa mort, avec - comme l’annoncera un peu plus tard un passionné de Dieu, pour trouver la vie pleine et entière en Dieu.
Aujourd’hui c’est un moment favorable.
Il y en aura d’autres.
Il y a un temps pour enfanter et pour naître, et un temps pour mourir.
Amen