Prédication du 2 février, "Nul n'est prophète en son pays"

Pilgrim's shell sign and two old boots on hiking milestone in the Camino de Santiago. Lugo muralla stone wall in the background. Copy space available on the right side of this front view. Galicia, Spain.

« nul n’est prophète en son pays »

 

Comme je me suis inspirée du lectionnaire catholique pour ces deux derniers dimanches et pour aujourd’hui, nous retrouvons ce matin Jésus avec l’entier du récit dont nous avons médité le début la semaine dernière.

 

Jésus qui, au tout début de son ministère, revient à Nazareth.

 

Nous remarquions dimanche dernier, que la notoriété montante de Jésus ne lui avait pas pour autant valu un accueil triomphal chez lui. L’enfant du pays n’étant de loin pas accueilli comme un héros.

 

Et dans les hypothèses pour comprendre cet accueil froid et poli, le fait que ce jour-là, à la synagogue, Jésus n’a pas commenté les Écritures, comme c’était la coutume. Mais il les a actualisées en disant simplement : « Aujourd’hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l’entendez. »

 

Cette actualisation nous a permis de mettre en évidence la différence qu’il y a entre “seriner ou se contenter de répéter une parole connue“, fût-ce une prophétie ; et “incarner les mots de la tradition“ pour les rendre pleinement vivants et efficients dans le présent. Ce que Jésus a fait, ce jour-là. Avec cette intuition qu’à la suite de Jésus, nous sommes appelés à faire de nos vies des évangiles, c’est-à-dire des lieux où la bonne nouvelle prend corps.

 

« Aujourd’hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l’entendez. »

 

À ces mots, les personnes présentes à l’office se sont probablement demandé si elles avaient bien entendu.

Après des siècles d’attente et de partage de l’Écriture, patiemment transmise de génération en génération, chacun, en Israël, espérait la réalisation de la prophétie d’Esaïe, sans oser croire qu’elle se réaliserait de son vivant.

 

On imagine la surprise. En entendant Jésus, la question qui jaillit, c’est : Qui est-il pour oser parler ainsi ?

 

Après l’affirmation de Jésus, c’est bien la question de son identité qui se pose avec acuité.

 

N’est-il pas le fils de Joseph et de Marie ? Celui que l’on a vu grandir ? Celui qui jouait dans la cour avec nos enfants ?

 

Les membres de l’assemblée ne peuvent pas concevoir que la réalisation des promesses de Dieu passe par l’un des leurs qu’ils connaissent et qui leur ressemble tant.

 

Ce que Jésus dit est littéralement extra-ordinaire, mais lui ne l’est pas (ou pas encore). Du coup, ses paroles, loin de réjouir les cœurs, font trembler les corps.

 

Jésus sent bien toutes ces tensions, tous ces paradoxes. Il aurait pu calmer le jeu. Loin d’apaiser les tensions, il les pousse à leur paroxysme :

« … il y avait beaucoup de veuves en Israël à l'époque d'Élie … Pourtant Dieu n'envoya Élie chez aucune d'elles, mais seulement chez une veuve qui vivait à Sarepta ... 

Il y avait aussi beaucoup de lépreux … à l'époque du prophète Élisée ; pourtant aucun d'eux ne fut purifié de la lèpre, mais seulement Naaman le Syrien. »

 

Ces mots sonnent comme une claque pour les habitants de Nazareth. Ils y entendent le fait que Jésus ne les aime pas, qu’il n’est pas là pour eux et que c’est auprès d’autres qu’il va poursuivre sa route. Se glissant ainsi dans la lignée d’Élie et d’Élisée.

 

Même si elle ne l’accueille pas chaleureusement et ne le comprend pas vraiment, l’assemblée voudrait tellement garder la main sur Jésus. Le contenir dans ce qu’elle sait – ou croit savoir - de lui.

 

Mais il met en garde. « Sûrement vous allez me citer ce dicton : “Médecin, guéris-toi toi-même.” Nous avons appris tout ce qui s'est passé à Capharnaüm, fais-en donc autant ici dans ta patrie. » Et il ajouta : « Oui, je vous le déclare, aucun prophète ne trouve accueil dans sa patrie ».

 

Autrement dit, il ne guérira pas pour convaincre. Les gens ont à le prendre en considération pour qui il est, pour ce qu’il vient de dire.

 

Une manière de rappeler que nul ne se résume à ses origines. Qu’aucune filiation ne se réduit à un arbre généalogique. Que ce que nous apportons au monde ne se limite pas à notre CV.

 

C’est encore plus vrai pour les prophètes, eux qui par essence sont nomades. Eux qui toujours regardent la mer, et pour lesquels un pays n’est jamais qu’un îlot sur lequel ils passent.

 

Comme tout prophète, Jésus sait que la vérité se trouve au-delà de l’horizon mais qu’elle se donne déjà dans le mouvement de celui qui rompt les amarres.

 

Alors, au milieu de l’agitation des gens de son peuple, « il passa au milieu d’eux et s’en alla ».

 

Son ministère l’attend. L’épisode de Nazareth n’est que le début de l’histoire qu’il va tisser avec les gens de son époque.

 

Après ce retour aux sources, il est appelé à surgir dans le quotidien de moult personnes qui ne sont pas de son village. Qu’il ne connaît pas.

Et qui ne le connaissent pas.

 

Alors, il passe son chemin.

 

Ce faisant, Jésus nous rappelle que si nous voulons rester unis à lui, il nous faut aussi renoncer à vouloir le garder pour nous, dans la synagogue de notre village, dans nos institutions ou nos églises, dans cette cathédrale.

 

Il nous faut nous mettre en route avec lui. Le suivre et aller vers celles et ceux qu'il vient accueillir de la part de Dieu.

 

 

Des personnes qui se laissent mettre en route, il y en a beaucoup ce matin, ici.

 

La joie et le privilège de passer la parole à l’une d’entre elle : Jacqueline Briod.

 

Bonjour, c'est à la demande des Amis de St-Jacques que je vous fais lecture de mon témoignage.

Je m’appelle Jacqueline, je suis retraitée depuis quelques années, et je viens d'Orbe, une petite localité du Nord Vaudois.

C’est suite à la perte d’un proche que j’ai ressenti le besoin de marcher autrement ; je me suis alors intéressée à l’histoire des Chemins de Compostelle, l’idée de toutes ces énergies dirigées vers un seul but me semblait porteur de sens. J'ai commencé à marcher sur la Via Jacobi, 5 jours, 1,2 semaines, mais ce n’était pas ce que je cherchais, je voulais m’immerger dans la marche, me donner du temps, 1,2 voir 3 mois ; j’allais donc attendre que la retraite m’apporte cette liberté vagabonde !

2022 me voilà partie seule pour mon premier chemin, j’ai fermé la porte de mon appartement, je n’ai pas de billet de retour ; je marche sur la voie de Genève, j’apprends le chemin, j’y découvre mes limites physiques, je remercie et je prends soin chaque jour de mon corps qui s’adapte si bien à ce que je lui fais subir, et petit à petit je réalise à quel point lui et moi nous aimons repartir chaque matin. Puis, c’est l’arrivée au Puy en Velay, la messe et la bénédiction du pèlerin à la cathédrale seront un moment émouvant.

De SJPDP je me dirige vers Compostelle par le chemin français. Beaucoup de pèlerins sur ce chemin et chaque jour c’est à celui qui arrivera le premier à l’auberge, moi qui avais décidé de laisser du temps au temps, que le chemin serait l’éloge de la lenteur je résiste tant bien que mal à cette espèce de course qui pour moi n’à pas de sens et je trouve toujours sans réserver ni courir un endroit pour dormir.

Dans la foulée, suivra la Voie d’Aragon, un chemin montagneux dans une nature sauvage. 

Ces 2 chemin m’ont beaucoup appris, tout d’abord que j’ai besoin de marcher seule au jour le jour sur des chemins peu fréquentés ce qui me procure un immense sentiment de liberté. Cette solitude me permet de réfléchir, d’apprécier et remercier pour la chance que j’ai d’être là à l’instant présent. L’immersion dans une nature sauvage m’invite à la contemplation, l’émerveillement et à la gratitude.

C’est également sur ce chemin plus précisément à Belorado que j’ai décidé de donner du temps comme hospitalière.

Au printemps 2023 ce sera le Piémont Pyrénéen, depuis Carcassonne jusqu’à SJPDP puis jusqu’à Bélorado à l’auberge des pèlerins gérée par notre association ou pendant 2 semaines je serais un des 2 hospitaliers. 

Ce chemin est exceptionnel tant par la diversité des paysages, des sentiers, des petites routes et des pistes forestières avec beaucoup de petits dénivelés et de rudes grimpées qui serpentent dans une nature sauvage et isolée.  J’y ai galéré plus d’une fois en suivant un balisage farfelu, je me suis même perdue dans le brouillard mais ce chemin offre tant de belles choses qu’on oublie vite, chaque jour apportant son lot d’émotions et d’émerveillement.

Il est exceptionnel aussi par la qualité de l’accueil on n’y est gâté en hébergements, des auberges, des gites d’étapes, des couvents, des Abbayes, des familles, je suis assurée chaque soir de trouver un accueil dans l’esprit du chemin.

L’étape à Lourdes est incontournable, et la messe célébrée dans la basilique Saint Pie X sera chargée d’émotion.

En été 2024 ce sera la route de la laine, de Alicante à Burgos en passant par Cuenca, 680 km de pur bonheur puis quelques étapes à contre sens sur le chemin français jusqu’à Bélorado où je serais de nouveau hospitalière pendant 2 semaines.

La Ruta de la Lana, c’est le plus beau chemin sur lequel j’ai marché, il est parcouru en moyenne par 10 à 15 pèlerins par mois, on y trouve quelques albergues gérées par des associations, mais elles sont peu nombreuses ; moi-même, j’ai dormi sur le sol de vestiaires d’équipes de foot, sur des tapis dans des salles de gym, dans des centres sociaux, sur un canapé dans une salle de billard, par manque d’hébergements les étapes peuvent être longues jusqu’à 40 kilomètres et parfois leur longueur est imprévisible. Le balisage sur certaines étapes est inexistant du coup il vaut mieux être à l’aise avec l’orientation est dans certaines vallées, petits hameaux ou canyons il n’y a aucun réseau téléphonique ni réseau internet, inutile de vous dire que la liste des hébergements remise à Alicante n’était absolument pas à jour. Et quand enfin il y a un hébergement au village encore faut-il trouver la clé ce qui parfois était aussi une véritable aventure.

Ce chemin est un chemin qui permet au amoureux de la solitude dans des paysages magnifiques de vivre un temps de retraite active en alternant marche et méditation. C’est aussi où, pour ma part j’ai rencontré le plus de bienveillance venant de la population locale.

Aujourd’hui, après une 1ère expérience hivernale en 2023 sur le chemin français j’écris ces lignes depuis la voie de la Plata, alors pourquoi refaire encore un autre pèlerinage ?

Parce que une dentiste à ouvert son cabinet un jour de congé pour soigner ma dent malade !

Parce que une hospitalière c’est démenée pour m’y obtenir un rendez-vous !

Parce que alors que je marchais dans une chaleur étouffante une habitante m’a proposé de prendre une douche fraîche chez elle !

Parce que alors que je n’avais pas d’endroit où dormir un pharmacien à qui je demandais de l’aide à mis le canapé de la salle de son club de billard à ma disposition !

Parce que dans l’église d’un petit village de la Meseta, le vieux curé qui me voyait un peu perdue devant les gestes à accomplir par les fidèles pendant la messe ma rassurée dans un français approximatif en me disant : 《c’est pas grave si tu es protestante, tu peux rester quand même !》

Parce que j’ai le besoin de retrouver sans doute ce sentiment de liberté incroyable que je ne retrouve nulle part ailleurs !

L’envie de vivre une aventure riche en émotion en joie !

Le besoin de sortir de l’enferment du quotidien !

Le désir de rencontrer des hommes et des femmes qui partagent les mêmes expériences !

Le plaisir de traverser toutes ces belles régions et de partager avec la population locale !

La dimension spirituelle reste présente tout au long de mon parcours même si au fil des kilomètres mon chemin se transforme en chemin de vie, en chemin d’humanité, de tolérance et d’humilité.

Merci pour votre écoute !

 

Lecture de Luc 4 : 16 à 30

Jésus vint à Nazara où il avait été élevé. Il entra suivant sa coutume le jour du sabbat dans la synagogue, et il se leva pour faire la lecture. On lui donna le livre du prophète Esaïe, et en le déroulant il trouva le passage où il était écrit :

L'Esprit du Seigneur est sur moi parce qu'il m'a conféré l'onction pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres.

Il m'a envoyé proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté, proclamer une année d'accueil par le Seigneur.

Il roula le livre, le rendit au servant et s'assit ; tous dans la synagogue avaient les yeux fixés sur lui. 

Alors il commença à leur dire : « Aujourd'hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l'entendez. » Tous lui rendaient témoignage ; ils s'étonnaient du message de la grâce qui sortait de sa bouche, et ils disaient : « N'est-ce pas là le fils de Joseph ? »

Alors il leur dit : « Sûrement vous allez me citer ce dicton : “Médecin, guéris-toi toi-même.” Nous avons appris tout ce qui s'est passé à Capharnaüm, fais-en donc autant ici dans ta patrie. » Et il ajouta : « Oui, je vous le déclare, aucun prophète ne trouve accueil dans sa patrie.

En toute vérité, je vous le déclare, il y avait beaucoup de veuves en Israël aux jours d'Elie,quand le ciel fut fermé trois ans et six mois et que survint une grande famine sur tout le pays ; pourtant ce ne fut à aucune d'entre elles qu'Elie fut envoyé,mais bien dans le pays de Sidon, à une veuve de Sarepta.

Il y avait beaucoup de lépreux en Israël au temps du prophète Elisée ; pourtant aucun d'entre eux ne fut purifié, mais bien Naamân le Syrien. »

Tous furent remplis de colère, dans la synagogue, en entendant ces paroles. Ils se levèrent, le jetèrent hors de la ville et le menèrent jusqu'à un escarpement de la colline sur laquelle était bâtie leur ville, pour le précipiter en bas. Mais lui, passant au milieu d'eux, alla son chemin.