Prédication du 18 décembre, l’annonce faite à Marie, une parole à fleur de peau

Dans la nature, il n’est pas rare d’être fécondé.e grâce au vent. Pensez aux fleurs. Et à leurs pollens volatiles qui nous permettent d’avoir des prairies si vivantes et si colorées.

 

Qu’une femme soit fécondée par un souffle, par une simple parole qui l’effleure. Voilà qui est plus rare. Et donc forcément un brin surprenant.

 

Cela dit, le récit de l’annonce faite à Marie par l’ange Gabriel ne relève ni d’une encyclopédie médicale, ni d’un traité de gynécologie.

Ne nous trompons donc pas d’étonnement à la lecture de ce récit.

 

On a dit tant de choses sur Marie.

 

Les représentations que la tradition nous laisse d’elle dégoulinent bien souvent de mauvais goût et de mièvrerie. Elles suffiraient à remplir l’album Panini du kitsch, s’il existait.

 

La tradition nous la décrit comme une jeune ingénue.

Qui obéit par fragilité.

Qui consent sans comprendre.

Marie, mère de l’abnégation avant d’être la mère du Seigneur.

 

Rien n’est plus faux.

Ces clichés sont indignes. Ils ne sont que des contre-vérités à ce que fut Marie.

 

Souvenons-nous que pour elle, jusqu’à ce jour de l’annonciation, les jeux étaient faits.

 

Des arrangements familiaux la dépassant l’avaient promise à un jeune homme prénommé Joseph.

Et ce choix, qui n’était pas le sien, sonnait pourtant comme une évidence.

Il ne serait pas discuté.

C’était la coutume… un mariage calculé… un mariage arrangé.

 

Marie allait donc quitter les siens, ses parents, la maison de son enfance et de ses habitudes pour fonder un nouveau foyer.

 

Elle apprendrait à connaître son homme. Elle aurait des enfants. Elle partagerait le quotidien de toutes les femmes de son époque, de toutes les femmes de sa région. Sans surprise.

 

Et voilà que l’ange Gabriel lui annonce que tout est bouleversé.

Contre toute attente, elle va être enceinte.

Dès à présent.

 

Marie était vouée à acquiescer à une vie qu’on avait choisie pour elle.

Elle était vouée à ne rien dire…

 

Dieu, en l’effleurant par sa parole, fait paradoxalement d’elle, une femme libre et responsable.

 

Car, rendons-nous à l’évidence, elle était en attente, mais pas attentiste.

 

Nullement muette ou passive devant l’ange, elle questionne : « Pourquoi me salues-tu ainsi ? Moi, enceinte, comment est-ce possible puisque je n’ai pas eu de relations conjugales ? »

 

Une ingénue, une naïve, se serait contenté de demander : « Où est le chou qui verra l’éclosion de l’enfant ? »

 

Et puis, lorsqu’elle consent, ce n’est pas par abnégation. Elle se dit « servante du Seigneur » ; cela ne signifie pas encore “servile“.

 

Marie assume le fait d’avoir été choisie par Dieu. Dès cet instant où elle dit “oui“, elle ne va pas se cacher. Elle va affronter le monde, les gens, la vie. Cette vie qu’elle pourrait perdre d’être enceinte sans être mariée.

 

Cessons donc nos balivernes sur Marie. C’est une femme forte et courageuse.

 

Le jour de sa rencontre avec l’ange, et les jours qui ont suivi, elle a été troublée.

On le serait à moins.

À cause de ce trouble, face à l’incertitude, pour ne pas dire la peur quant à son avenir, elle aurait pu garder cet épisode pour elle, dans le doute ou l’exaltation. L’annonciation aurait pu demeurer une sorte d’expérience mystique singulière …

 

Avec son Magnificat, Marie ouvre toutes les femmes, tous les hommes, tous les enfants au renversement des valeurs que Dieu espère dans la vie de celles et ceux qui l’aiment et se mettent à son service.

 

En replaçant ce qu’elle vient de vivre dans le cadre de l’histoire du peuple de Dieu, le chant de Marie se fait prière.

Une prière qui la libère de ce que son expérience pouvait avoir de trop subjectif.

 

Dans son Magnificat, Marie ne s’extasie à aucun moment sur son ventre rond.

Elle ne parle ni nausée ni envie.

 

Elle chante la vie que Dieu a déposée au creux d’elle ; cette vie promise à tous. Et qui se décline ainsi : « Il a porté son regard sur son humble servante… Il est intervenu de toute la force de son bras ; il a dispersé les hommes à la pensée orgueilleuse ; il a jeté les puissants à bas de leur trône et il a élevé les humbles ; les affamés, il les a comblés de biens et les riches, il les a renvoyés les mains vides. Il est venu en aide à Israël »

 

Avec cette prière, Marie raconte ce bonheur subversif promis à chacune et chacun.

Un bonheur qui l’habite et la dépasse. Un bonheur qui de, fait, n’a pas grand-chose à voir avec les nausées, les contractions, et autres couches-culottes.

 

En Marie, c’est par les petits et les inconnus, c’est par ceux qui viennent de nulle part (personne ne parlait de Nazareth avant l’annonciation) que Dieu écrit une nouvelle page de l’histoire.

 

Par Marie, c’est à chacune et à chacun de nous qu’il s’adresse.

Qu’il promet l’impensable.

Qu’il risque l’impossible…

 

Reste à savoir si nous sommes prêtes et prêts pour cela.

Reste à choisir quand et comment nous voulons accoucher de sa présence au monde.

 

Car une chose est sûre :

À l’époque, Dieu ne serait pas né au monde sans Marie et Joseph.

 

Aujourd’hui, il ne naîtra pas au monde sans nous.

 

Amen