Prédication du 15 juin, "Se tenir à la fois dans et à l'écart du monde"

"Se tenir à la fois dans et à l'écart du monde", par Jean-François Ramelet, pasteur

Jésus venait d’envoyer ses disciples en mission.

Deux par deux.

 

Ils ont enseigné.

Ils ont guéri.

Ils ont chassé des démons.

Enchaîné les onctions d’huile.

Tout un programme prévu par leur cahier des 

charges.

 

Jésus leur avait dit :

« Vous ne prendrez rien avec vous ».

Ni pain, ni sac, ni monnaie dans la ceinture.

Une seule tunique, des sandales et un bâton.

 

Être disciple de Jésus, c’est s’exposer sans artifice.

S’exposer aux autres, au monde.

Simplement avec ce qu’ils sont et ce « je ne sais 

quoi » qui les habite.

 

« Va avec la force que tu as » avait dit Dieu, 

jadis à Gédéon.

 

Alors les disciples sont partis avec la force qu’ils 

avaient.

 

« Vamos ! »

 

On les retrouve à leur retour.

Les voilà qui font leur rapport à Jésus.

Aujourd’hui on dirait en bon français un « reporting ».

Les disciples avaient tout monitoré, ne reste plus 

qu’à lui énumérer par le détail tout ce qu’ils 

avaient fait, et Dieu sait qu’ils en ont fait.

 

Jésus, qui sait ce que ce qu’il en coûte que de 

s’exposer, les invite à un temps de repos.

Non pas un chemin de fuite comme celui qu’avait 

emprunté jadis Elie, lui qui n’en pouvait plus.

 

Jésus ne propose pas ici un temps de fuite, mais 

un temps de retrait.

A l’écart.

 

Vous l’avez sans doute remarqué, quand on 

prend du repos, quand on prend des vacances, 

ou que l’on prend sa retraite … il y a toujours 

une bonne âme pour vous dire avec beaucoup 

d’aménité que c’est bien mérité.

 

J’imagine les disciples être réjouis par cette 

perspective.

Peut-être que dans leur for intérieur, ils récitent

le psaume 23 :

Le Seigneur est mon berger : je ne manque 

de rien. 

Sur des prés d'herbe fraîche, il me fait 

reposer. 

 

Merci doux Jésus !

 

Sauf qu’ici pour ce qui est du repos, c’est plutôt 

raté !

Ça part même en cacahuète.

 

Jésus aurait-il littéralement mené ses disciples en 

bateau ?

 

Il faut dire qu’ils sont mis sous pression par 

une foule nombreuse dont le texte précise que les 

individus qui la composent allaient et venaient 

dans tous les sens et qu’ils font tout pour que le 

plan de Jésus échoue … et ils y arrivent.

 

Ceux et celles qui fréquentent les évangiles 

savent que Jésus et ses disciples sont familiers de 

ces ratages-là.

De ces « turbo-repos » manqués.

 

Je pense à ces épisodes où Jésus demande à ses 

disciples de nourrir les foules avec le peu qu’ils 

avaient sous la main, alors qu’eux n’avaient 

qu’une idée en tête : les congédier pour souffler 

un peu.

 

La foule, qui incarne ici le monde et nous aussi, 

semble comme dévorée par une sorte d’urgence 

intérieure que ni Jésus, ni les disciples ne peuvent 

remettre à plus tard.

 

La foule presse, parce qu’elle ne peut attendre.

Le monde presse, parce qu’il ne peut attendre.

 

A propos de « dévorer », Jésus et ses disciples 

n’ont pas une minute à eux, même pas une pour 

casser la croute.

 

Ce détail, unique dans les évangiles, m’étonne un 

peu.

Parce que les Évangiles ne ratent jamais une 

occasion de nous rappeler que Jésus et ses 

disciples étaient des bons vivants.

 

Dans les peintures religieuses, on représente 

souvent Jésus svelte, élancé comme un coureur de 

demi-fond, mais peut-être qu’en réalité il avait des 

réserves, peut-être était-il un faux maigre quoi !

De quoi lui permettre de faire un jeûne 

intermittent.

Bon, peu importe, ce n’est pas là l’essentiel.

 

On peut – dit-on – vivre 30 jours sans manger.

3 jours sans boire.

3 minutes sans respirer.

 

Vous savez déjà ce que c’est qu’une minute ?

 

Combien de temps peut-on vivre sans repos ?

 

Promis à un repos bien mérité, Jésus et les 

disciples en sont privés.

Il faut être résistant à la frustration pour suivre 

Jésus.

 

Pas de repas. Pas de repos, pas de répits.

 

Mais comment font Jésus et les disciples pour 

tenir le coup, pour enchaîner sans donner 

l’impression de l’être.

 

La question est d’actualité.

 

On parle beaucoup de fatigue aujourd’hui.

D’usure.

D’accablement.

D’épuisement.

 

Aucun domaine de la vie n’échappe à cette 

sourde pandémie.

Aucun âge de la vie non plus.

Personne n’est immunisé.

Nous sommes tous guettés par le danger d’être 

consumés de l’intérieur.

 

Comment ne pas se brûler ?

 

Revenons à l’invitation de Jésus à ses disciples.

 

À quel repos les invitait-il ?

Et c’est quoi ce retrait ?

Qu’est-ce que cet écart dont il parle.

Les invite-t-il à mettre sur pause.

À respirer.

À faire le vide.

À prendre du bon temps ?

Après le faire, le farniente !

 

On connait tous ces ingrédients d’une bonne 

hygiène de vie.

 

Jésus est-il venu jusqu’à nous pour que l’on 

prenne soin de soi ?

 

Est-ce à cela que Jésus invite ses disciples, à penser à 

eux ?

 

Jésus ponctue son invitation de cette expression : 

« à l’écart ».

 

De quoi veut-il parler ?

C’est quoi cet écart ?

 

L’expression « Kat’idian » pour désigner cet écart

est difficile à traduire.

 

Ces mots pourraient désigner ce qui nous 

appartient en propre.

Ce qui est à l’écart, serait cet espace intime, 

privé, rien qu’à soi.

 

On pourrait alors traduire l’invitation de Jésus en 

ces mots:

« Venez avec moi dans un endroit 

isolé, pour vous reposer un moment, 

en vous. »

 

Mais « Kat’idian » peut aussi se traduire par « vis-à-

vis » ou « en tête-à-tête ».

« Venez avec moi dans un endroit 

isolé, pour vous reposer un moment, 

en vis-à-vis, en tête-à-tête !»

 

J’aime cette traduction et je la privilégie.

 

L’écart, c’est ce lieu sans lieu où je suis décentré 

de moi-même.

Les disciples venaient d’énumérer à Jésus tout ce 

qu’ils avaient fait …

« vois comme on est de bons 

disciples, performants, efficaces … »

 

En parlant de tout ce qu’ils ont fait, les disciples 

parlent surtout d’eux-mêmes. 

 

Le poète Jean Mambrino écrira un jour cet 

aphorisme qui nous aide à comprendre ce que 

peut signifier cet écart : 

« Pour être là, il faut être ailleurs 

qu’en soi ».

 

Pour être là, autrement dit pour être présent au 

monde, aux autres et à soi, il faut être ailleurs 

qu’en soi.

 

Ailleurs que dans le souci de soi.

Ailleurs que dans les mailles étroites du filet de 

son ego.

Ailleurs que dans ses préoccupations et ses 

besoins.

Ailleurs qu’en tout ce qui nous empêche de sortir 

de nous, de nous exposer.

 

Exister, signifie littéralement « se tenir hors de, 

sortir ».

Pour se trouver, il faudrait donc « sortir de soi ».

 

Si l’attraction terrestre attire tous les objets en son 

centre.

Il y a une force en nous qui s’exerce pour que 

nous soyons attirés par nous-mêmes, auto-centrés.

 

Une forme de pesanteur qui fait que tout gravite 

autour de nous.

 

C’est le fameux « me, myself & I ».

Moi, moi-même et moi.

 

N’est-ce pas cette pesanteur, cette attraction de 

soi pour soi qui nous fatigue et nous use ?

 

Ce besoin de s’appuyer sur soi.

De se construire.

De se bâtir un sens à sa vie.

D’être sa propre transcendance.

 

L’écart dans lequel Jésus invite ses disciples serait 

cet espace où dans un vis-à-vis avec Dieu, on 

échappe à notre propre attraction.

 

Pour être là, il faut être ailleurs qu’en soi.

 

Ou comme le disait Francine Carrillo, l’écart est 

ce lieu où l’on peut dire à Dieu :

Repose-moi de moi, que je me repose en toi.

Amen

 

1 ROIS 19,1-5

Akhab parla à Jézabel de tout ce qu'avait fait Elie, et de tous ceux qu'il avait tués par l'épée, tous les prophètes. Jézabel envoya un messager à Elie pour lui dire : « Que les dieux me fassent ceci et encore cela si demain, à la même heure, je n'ai pas fait de ta vie ce que tu as fait de la leur ! » Voyant cela, Elie se leva et partit pour sauver sa vie ; il arriva à Béer-Shéva qui appartient à Juda et y laissa son serviteur. Lui-même s'en alla au désert, à une journée de marche. Y étant parvenu, il s'assit sous un genêt isolé. Il demanda la mort et dit : « Je n'en peux plus ! Maintenant, SEIGNEUR, prends ma vie, car je ne vaux pas mieux que mes pères. »

 

MARC 6, 30-33

Les apôtres se réunirent auprès de Jésus et lui racontèrent tout ce qu'ils avaient fait et enseigné. Il leur dit : « Venez avec moi dans un endroit isolé, pour vous reposer un moment, à l'écart. » En effet, les gens qui allaient et venaient étaient si nombreux que Jésus et ses disciples n'avaient même pas le temps de manger. Ils partirent donc dans la barque, vers un endroit isolé, à l'écart. Mais beaucoup de gens les virent s'éloigner et comprirent où ils allaient ; ils accoururent alors de toutes les localités voisines et arrivèrent à pied à cet endroit avant Jésus et ses disciples.