Jésus signifie “Dieu sauve“. De quoi sauve-t-il ?
(Les paroles d’Arnaud Robert sont quelques points saillants relevés par Line Dépraz ; elles ne sont pas exhaustives ; ce ne sont pas des citations ; elles permettent de rendre compte de l’atmosphère de l’échange.)
Pour cette prédication dialoguée, je vais faire ce que je pense n’avoir jamais fait. Je vais commencer par la fin du récit et terminer avec le tout début.
La fin du récit, c’est l’annonce de la fuite de Joseph, Marie et Jésus en Égypte. Une fuite qui est rendue nécessaire par la démesure d’Hérode qui règne sur la région et qui est viscéralement attaché à son pouvoir. Il aime la puissance que lui confère son titre. C’est ainsi, en tout cas, qu’il l’entend.
Alors, l’annonce de la naissance d’un nouveau roi des Juifs, bien que bébé, le perturbe au plus haut point. Il ne peut pas la concevoir autrement que comme une concurrence.
Il cherche donc à savoir où se trouve ce nouveau roi. Mais, bizarrement, c’est le seul protagoniste de tout le récit de Noël qui ne se déplace pas.
Si on croise les récits des deux évangiles qui parlent de la naissance de Jésus, Joseph et Marie ont dû se mettre en route pour répondre à l’exigence du recensement.
Les mages se sont mis en route de très loin parce que le scintillement d’une étoile les avait intrigués.
Les bergers des alentours de Bethléem se sont mis en route.
Juste après sa naissance, Jésus « Dieu sauve » doit se mettre en route avec ses parents pour être sauvé de la folie meurtrière d’Hérode. Qui lui, le seul, ne bronche pas.
Ça donne à penser que son rapport au monde est un rapport de domination. Un rapport utilitaire aussi : le monde ne l’intéresse que dans la mesure où ses propres intérêts sont servis. C’est le jeu du mikado, un peu comme dans certaines entreprises en temps de restructuration : le premier qui bouge a perdu.
Hérode ne donne aucun signe d’une réelle curiosité. Et encore moins l’envie de rencontrer des gens.
Arnaud, vous avez été un grand voyageur. Je ne sais pas dans combien de pays vous êtes allés, mais j’ai des souvenirs de plusieurs reportages : votre initiation au culte vaudou en Haïti, les toilettes dans le monde, les pilules du bonheur. Et tant d’autres.
Vous avez beaucoup voyagé ; beaucoup rencontré de personnes.
Quel était votre moteur ? Pourquoi voyager ?
Et, selon vous, en quoi c’est important d’être curieux du monde ? D’être curieux des autres ?
Arnaud Robert souligne l’importance de l’ouverture au monde comme un décentrement de soi. Rencontrer l’autre relativise ce que je crois savoir et me fait découvrir ce que j’ignore.
Il évoque aussi le rapport au corps si différent d’une culture à l’autre. Cela a un impact sur la manière dont il considère aujourd’hui son corps.
La venue de Jésus a été annoncée et elle est encore aujourd’hui proclamée comme la venue d’un Sauveur.
Le mot de « Sauveur », il a passé tous les siècles sans trop de problèmes. Ce qui n’est pas le cas de certaines catégories théologiques comme celle du salut, c’est pourtant la même racine ou le péché… on y reviendra.
Lorsque je lis l’histoire de Jésus, je me dis qu’il a sauvé pas mal de personnes, pas forcément de manière spectaculaire, quoi que laissent entendre certains récits de miracle, mais que le miracle premier pour toutes ces personnes, c’est peut-être d’avoir été considérées par Jésus.
Rappelons-nous qu’à l’époque tout problème de santé, toute incapacité physique, toute maladie, toute infirmité signifiait toujours aussi une exclusion sociale.
Or, lorsqu’il était interpelé, lorsque des amis lui en amenaient un autre, Jésus prenait le temps d’un regard, puis de l’écoute, du dialogue, enfin de l’action.
Toutes ces personnes ont existé à ses yeux alors qu’elles étaient invisibles aux yeux de la société. Pour moi, c’est là un premier miracle.
Depuis votre accident en février 2022, Arnaud, vous revisitez et interrogez cette notion de miracle.
Elle est présente dans votre podcast « Mon corps électrique » où vous décrivez la recherche expérimentale très lourde à laquelle vous avez consenti comme tout premier patient, Up2-001 pour peut-être redonner vie à votre bras gauche.
On y apprend aussi dans ce podcast que vous avez acheté une gravure qui représente l’épisode de la bible où 4 amis en amènent un 5ème, paralysé, dans la maison de Pierre pour que Jésus le guérisse. Il est au centre du tableau, si je me souviens bien, mais personne ne le regarde. Parce que Jésus et les docteurs de la loi se querellent pour savoir ce qui peut être dit et fait sans usurper le rôle de Dieu.
Ce mot de « miracle », Arnaud, pour vous, il résonne comment ?
Ça représente quoi ?
Arnaud Robert revient sur les premiers jours après son accident, alors qu’il découvrait une immobilité quasi-totale… la période la plus immobile de sa vie.
Alité, il a « revu » en pensée nombre de personnes rencontrées. Autant de souvenirs qui lui ont permis de « rester vivant ».
Il réalise à ce moment, en voyant des images d’une femme fuyant l’Ukraine en portant son enfant infirme, la chance qui est la sienne d’être soigné en Suisse.
À ce moment-là, comme au moment où il a accepté d’entrer dans le protocole des médecins et scientifiques Jocelyne Bloch et Grégoire Courtine, le miracle, c’était l’espoir que son corps retrouve sa mobilité.
Le miracle aurait réparé ce qui avait été abîmé, permettant à sa vie de reprendre là où elle en était avant sa chute.
Aujourd’hui, le miracle consiste à accepter qu’il n’y en aura pas. Et que le sens de sa vie se donne dans ce qu’il vit chaque jour.
En marge de cette question du miracle, j’aimerais prolonger un instant notre échange en revenant sur le fait que ce qui nous réunit ce soir, c’est la naissance de Jésus, un faiseur de miracle.
C’est important pour les chrétiens, et c’est une spécificité du christianisme, d’affirmer que Dieu s’est incarné, qu’il a pris corps en un homme, pour marcher sur terre, rencontrer les humains, annoncer le royaume déjà présent.
Arnaud, il y a une année, nous l’avons réentendu, vous écriviez à votre corps depuis un pays sans corps.
Ce soir, en cette nuit de Noël, du chœur de la cathédrale, que lui dites-vous ?
Comment le regardez-vous ?
Comment le considérez-vous ?
Arnaud Robert dirait aujourd’hui à son corps qu’il a bien fait de résister.
Pour terminer, j’en reviens comme promis, au tout début du récit de l’évangéliste Matthieu avec cette question : était-il pompette au moment de rédiger son évangile ?
Il fait dire à l’ange du Seigneur : « Joseph, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse (…) elle enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus, car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. »
Tout cela arriva pour que s'accomplisse ce que le Seigneur avait dit par le prophète : Voici que la vierge concevra et enfantera un fils auquel on donnera le nom d'Emmanuel, ce qui se traduit : « Dieu avec nous ».
Jésus ou Emmanuel ?
Dieu sauve ou Dieu avec nous ?
Jésus sauve des péchés précise l’évangéliste… Depuis des siècles, peut-être même avant, la notion de péché est devenue une catégorie morale. Le péché, c’est ce qui est mal.
Dans la langue hébraïque, celle de Jésus, le péché, pourrait être traduit par “le fait de rater sa cible“. La nuance est de taille : faire le mal ou rater sa cible.
Cette nuance, elle me fait dire en cette nuit de Noël que, peut-être, Dieu vient nous sauver de nos ratages, des coups qui ne partent pas comme on l’avait imaginé, là où on l’avait espéré. Qu'il nous sauve de nos ratages de cible, non pas en nous évitant ces erreurs, mais en les traversant avec nous, en étant avec nous, Emmanuel, dans nos réussites et dans tout le reste aussi.
Je crois qu’il nous garde son amour et sa confiance, jour après jour, nuit après nuit, en dépit de nos cibles ratées.
En ce sens, Dieu nous sauve, de notre désespérante volonté d’être Dieu.
Soyons donc humains, vous Arnaud, moi, vous toutes et tous, soyons humains, et joyeux Noël.
Lettre à mon corps depuis le « Pays sans corps », par l’avatar d’Arnaud Robert
« Cher corps, toi qui déambules dans ces travées humides, toi dont les pas ricochent sur les murs épais, toi qui humes, touches et te meus, je m’adresse à toi depuis le pays sans corps. Cela fait si longtemps que je suis débarrassé de ce fardeau, j’ai oublié jusqu’à l’idée même d’être incarné. C’est un monde de pure information que le mien. Nous échangeons, d’un esprit à l’autre, les mémoires codifiées de sensations dont nous n’avons plus qu’une vague intuition. Une douche qui ruisselle sur l’échine. Le goût âpre d’un vin qui a tourné. L’odeur d’un bébé lorsqu’il fait chaud. Les yeux que l’on plisse pour supporter une seconde encore la vue du soleil qui se couche. Le crissement du sable sous les pieds alors que la marée monte. Le chant du moustique – il ne vous lâchera pas avant d’être repu. Une caresse involontaire qui se prolonge un instant de trop. Tout cela ne s’envisage que théoriquement dans mon pays. Nous savons qu’il existe un monde, le vôtre, où rien ne se vit sans que le corps s’interpose. À cet instant précis, vous entendez ma voix et vous êtes en même temps happé par cette personne qui vient de vous frôler, par le parfum froid qui émane de ces murs, par l’image d’un dieu supplicié au cœur de ce lieu. A un moment dans notre évolution, nous avons compris que le corps était un obstacle, une limite, une geôle, et ceux qui le souhaitaient ont émigré en ces terres sans espace ni temps où la totalité du réel s’échange sans repos. Nous sommes plus rapides, plus efficaces, nous sommes omniscients, nous sommes immortels. Il arrive pourtant, dans le bruissement ininterrompu des transferts qu’une pensée parasite m’assaille. Je crois me souvenir de mon corps, de la gravité qui s’exerce sur lui, des autres corps avec lesquels il dialogue maladroitement. J’ose à peine me l’avouer. J’éprouve une forme légèrement acide de nostalgie. »
Lecture de l’évangile de Matthieu au chapitre 1
Voici quelle fut l'origine de Jésus Christ. Marie, sa mère, était accordée en mariage à Joseph ; or, avant qu'ils aient habité ensemble, elle se trouva enceinte par le fait de l'Esprit Saint. Joseph, son époux, qui était un homme juste et ne voulait pas la diffamer publiquement, résolut de la répudier secrètement. Il avait formé ce projet, et voici que l'ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse : ce qui a été engendré en elle vient de l'Esprit Saint, et elle enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus, car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » Tout cela arriva pour que s'accomplisse ce que le Seigneur avait dit par le prophète : Voici que la vierge concevra et enfantera un fils auquel on donnera le nom d'Emmanuel, ce qui se traduit : « Dieu avec nous ». À son réveil, Joseph fit ce que l'ange du Seigneur lui avait prescrit : il prit chez lui son épouse, mais il ne la connut pas jusqu'à ce qu'elle eût enfanté un fils, auquel il donna le nom de Jésus.
Lecture de l’évangile de Matthieu au chapitre 2
Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d'Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son astre à l'Orient et nous sommes venus lui rendre hommage. » A cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé, et tout Jérusalem avec lui. Il assembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple, et s'enquit auprès d'eux du lieu où le Messie devait naître. « A Bethléem de Judée, lui dirent-ils. » Alors Hérode fit appeler secrètement les mages, se fit préciser par eux l'époque à laquelle l'astre apparaissait, et les envoya à Bethléem en disant : « Allez vous renseigner avec précision sur l'enfant ; et, quand vous l'aurez trouvé, avertissez-moi pour que, moi aussi, j'aille lui rendre hommage. » Sur ces paroles du roi, ils se mirent en route ; et voici que l'astre, qu'ils avaient vu à l'Orient, avançait devant eux jusqu'à ce qu'il vînt s'arrêter au-dessus de l'endroit où était l'enfant. A la vue de l'astre, ils éprouvèrent une très grande joie. Entrant dans la maison, ils virent l'enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage ; ouvrant leurs coffrets, ils lui offrirent en présent de l'or, de l'encens et de la myrrhe. Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner auprès d'Hérode, ils se retirèrent dans leur pays par un autre chemin.
Après leur départ, voici que l'ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit : « Lève-toi, prends avec toi l'enfant et sa mère, et fuis en Égypte ; restes-y jusqu'à nouvel ordre, car Hérode va rechercher l'enfant pour le faire périr. »