Culte du 2ème dimanche de l’Avent, il y a des dialogues de sourds qui laissent sans voix!

Dieu dit à Abraham : « Tu n’appelleras plus ta femme du nom de Saraï, car elle aura pour nom Sara. Je la bénirai et même je te donnerai par elle un fils… » À ces mots, Abraham se jeta face contre terre et il rit.

 

C’est là le tout premier rire de la Bible. Suivi de peu par celui de Sara.

 

Si on résume à l’extrême :

Dieu promet.

L’être humain rit.

La vie est belle.

C’est ce qu’on pourrait-on croire.

La réalité, pourtant, n’est ni pas si simple.

 

Souvenez-vous, lorsque Dieu a ordonné à Abram de quitter sa terre et de se mettre en route vers le pays promis tout en lui assurant qu’il ferait naître de lui un grand peuple, Abram était âgé de 75 ans.

 

Aujourd’hui, il en a 99.

 

Et depuis tout ce temps, et bien, il n’a pas cessé d’être itinérant. Cherchant régulièrement des coins de stabilité dans une région politiquement instable. Fuyant les famines. Et s’il est désormais riche de serviteurs, de servantes, de bergers, cela ne représente pas encore la réalisation de la promesse que Dieu lui avait faite Je ferai naître de toi un grand peuple ; je te bénirai et je rendrai ton nom célèbre.

 

24 ans après sa mise en route, la vie d’Abram se déroule donc toujours dans la précarité de l’itinérance. Il n’est le père que d’Ismaël.

 

Autant dire que son rire, suite à l’annonce de Dieu, demande à être interprété : rit-il de dépit parce qu’on ne la lui fait plus ou d’espérance parce qu’il a bien envie d’y croire ? À ce stade, impossible de trancher.

 

Saraï, quant à elle, a probablement maintes fois prié Dieu pour qu’il lui accorde une descendance. En vain.

Aujourd’hui, elle se sait trop vieille pour jouir et pour concevoir un enfant. Elle s’est faite une raison.

 

Depuis le temps, elle n’a pas eu d’autre choix que d’accepter cette malédiction, car c’en est une, à l’époque : être stérile.

 

La stérilité, c’est la mort dans la vie.

Dans le Premier Testament, elle est souvent l’apanage des femmes les plus aimées qui, pour garder la face, choisissent alors de solliciter une servante ou une parente pour donner une descendance à leur époux.

 

Mais l’impossibilité de porter un enfant revêt pour ces femmes un triple drame :

  • leur corps les renie,
  • la société les déconsidère,
  • Dieu reste sourd à leurs appels.

 

Bien avant Job, Saraï incarne l’intolérable du lien entre souffrance et culpabilité. Elle subit une souffrance non méritée. Elle s’en sent néanmoins coupable.

 

Saraï donc n’est pas mère. Dieu, pourtant, l’avait laissé entendre à Abram il y a quelque 24 ans.

 

Et voilà qu’aujourd’hui, il promet à nouveau. Un fils, une descendance, un peuple, une bénédiction.

 

Mais comment réagie à cette promesse si on se met à la place d’Abram et Saraï ?

 

J’ai envie de dire que la promesse, c’est cette terre invisible sur laquelle on tient debout et sur laquelle on grandit en espérant.

 

Et je constate qu’Abram et Saraï, ont tenu debout.

Ils ont grandi en espérant sur la terre si peu visible des promesses de Dieu. Ils sont aujourd’hui ouverts à ce qu’ils entendent.

 

Et cette double promesse qu’ils entendent, elle a quelque chose de particulier, de nouveau. Puisqu’elle rime, pour l’un et l’autre, avec un changement d’identité. C’est sans doute un indice qu’elle va se concrétiser.

 

Abram, qui signifie probablement « le père est élevé », devient Abraham, traditionnellement traduit par « le père d’une multitude ».

 

Avec son premier prénom, « le père est élevé », tout tournait autour d’Abram et de sa grandeur.

 

Devenant Abraham, « le père d’une multitude », sa grandeur n’existe plus d’être tournée sur lui-même. Elle existe désormais d’être source de vie, source de bénédiction pour une multitude.

 

C’est un changement de perspective à 180°. Qui me fait dire que l’élection d’Abraham, c’est paradoxalement un remède contre le narcissisme et l’égoïsme.

 

Il est choisi par Dieu, et c’est le gage qu’il regardera au-delà de sa propre personne. Qu’il portera son attention sur la multitude.

 

L’élection d’Abraham, comme toute élection, engage à développer une éthique de l’altérité.

 

Saraï, elle, devient Sara. Saraï signifie « ma princesse » ; comme on dirait « ma chose, ma possession ». Elle n’existe ainsi que d’être à son homme. Devenant Sara, elle devient une princesse. Elle existe pour elle-même.

 

Mais, là encore, ce « pour elle-même » ne souffre d’aucun égoïsme ni nombrilisme. Puisqu’en devenant elle-même, elle donnera la vie à un autre.

 

Ce double changement d’identité, à peine perceptible à l’oreille, révèle donc une transformation en profondeur.

 

Sans compter que c’est une transformation qui s’inscrit physiquement en eux, dans leur chair. Par la circoncision pour l’un et la maternité pour l’autre.

 

Cela dit, revenons-en à leurs deux rires. Qu’est-ce qui se cache derrière eux ? Que signifient-ils ?

 

Je crois que ces deux rires permettent aux promesses oubliées de rejaillir. Ces promesses qui datent de si longtemps qu’on n’y pensait plus ; qu’on n’espérait plus.

 

Grâce à ces éclats de rire, l’impossible entre dans l’histoire comme par effraction.

 

Je vous avoue que j’admire Abraham et Sara. En dépit de leur souffrance et du temps passé, ils ont su garder ouverte la possibilité de l’impossible. Du coup, ils se rendent capables de recevoir ces nouvelles promesses de Dieu. Je ne pense pas qu’ils les entendent sans plus y croire. Ils les reçoivent et les prennent au sérieux.

 

Le rire devient alors la marque du bonheur, à peine croyable, de ceux qui, ayant attendu un si long temps ne se sont pas murés dans l’affirmation, résignée ou complice du “c’est trop tard“.

 

Ils le pensaient sans doute. Ils l’ont susurré ce fameux “c’est trop tard“. Mais ils n’y sont pas restés accrochés.

 

Ce faisant, Abram et Saraï, nous rappellent que si on n’attend de Dieu que ce que l’on peut concevoir, il ne nous surprendra jamais.

 

Ce serait dommage.

 

Bien des histoires de la Bible nous l’enseignent : ne cessez pas d’espérer, car Dieu n’a pas fini de vous surprendre.

 

Amen